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Citations sur Bérézina (369)

Napoléon n'aurait jamais dû s'approcher de la splendeur de Moscou. Il s'y brûla les yeux. Il y a comme cela des beautés interdites. En stratégie comme en amour : se précautionner de ce qui brille.
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Sur Maylis de Kerangal
Le salon du livre de Moscou était un succès. Pourquoi les organisateurs avaient-ils appelé débat-table ronde cette réunion de gens tous d’accord entre eux autour d’une table carrée ? J’étais assis près de Maylis de Kerangal et très intimidé par la beauté de l’auteur de Tangente vers l’est. Elle disait son amour pour la Russie avec nuance. Elle arrachait tout ce que j’aurais voulu exprimer. Elle portait les yeux très écartés, marque des gens supérieurs. Elle parlait de son voyage sur le Transsibérien. J’aurais voulu être dans le train avec elle, lui servir le thé, porter ses sacs, lui lire Boris Godounov le soir, pour l’endormir.

Sur le destin de Napoléon
Comment devient-on ce que l’on est ? C’était la question que le destin de Napoléon nous posait. Quels mystérieux enchaînements conduisirent l’obscur officier jusqu’au sacre de Notre-Dame de Paris, en 1804 ? Quelles forces mantiques le propulsèrent au commandement d’un demi-million de guerriers, redoutés par l’Europe entière ? Quelle étoile le mena au triomphe ? Quel génie lui inspira ses techniques de dieu grec : la foudre, l’audace, le kairos.
Il avait persuadé ses hommes que rien ne résisterait à leur marche glorieuse. Il leur avait offert les Pyramides en 1798, la Rhénanie en 1805, les portes de Madrid en 1808, les plaines de Hollande en 1810. Il avait mis à genoux l’Angleterre en 1802, à Amiens et contraint le tsar de toutes les Russie à ronronner gentiment, à Tilsit en 1807. Il avait régenté l’administration, réformé l’Etat, bouleversé les vieux modèles de civilisation, bâti une légende aux accents macédoniens.
Et, soudain, le rêve allait s’écrouler à cause d’une marche à la mort dans les steppes de Russie. L’année 1812 fut un tourbillon d’ombres dont le premier chapitre allait se jouer sur les bords du Niémen et s’achever trois ans plus tard entre les murs mangés de salpêtre de Sainte-Hélène.

Sur l’âme russe
Ce fut l’heure des toasts. Chacun se levait à tour de rôle, brandissait son verre, disait quelque chose, déclenchait les protestations ou l’enthousiasme des convives. En Russie, l’art du toast a permis de s’épargner la psychanalyse. Quand on peut vider son sac en public, on n’a pas besoin de consulter un freudien mutique, allongé sur un divan.

Je nourrissais une tendresse pour ces Slaves des plaines et des forêts dont la poignée de main vous broyait à jamais l’envie de leur redire bonjour. Me plaisait leur fatalisme, cette manière de siffler le thé par une après-midi de soleil, leur goût du tragique, leur sens du sacré, leur inaptitude à l’organisation, cette capacité à jeter toutes leurs forces par la fenêtre de l’instant, leur impulsivité épuisante, leur mépris pour l’avenir et pour tout ce qui ressemblait à une programmatique personnelle. Les russes furent les champions des plans quinquennaux parce qu’ils étaient incapables de prévoir ce qu’ils allaient faire eux-mêmes dans les cinq prochaines minutes. Quand bien même l’auraient-ils su, « ils n’atteignaient jamais leur but parce qu’ils le dépassaient toujours », précisait Madame de Staël…/…
…/…Nous autres, latins, nourris de stoïcisme, abreuvés par Montaigne, inspirés par Proust, nous tentions de jouir de ce qui nous advenait, de saisir le bonheur partout où il chatoyait, de le reconnaître quand il surgissait, de le nommer quand l’occasion s’en présentait. Dès que le vent se levait, en somme, nous tentions de vivre. Les Russes, eux, étaient convaincus qu’il fallait avoir préalablement souffert pour apprécier les choses. Le bonheur n’était qu’un interlude dans le jeu tragique de l’existence. Ce que me confiait un mineur du Donbass, dans l’ascenseur qui nous remontait d’un filon de charbon, constituait une parfaite formulation de la " difficulté d’être " chez les slaves : " Que sais-tu du soleil si tu n’as pas été à la mine ? ".

Humour et réflexions diverses
Bourgogne, lui se désole que la faim emporte les sentiments : " Il n’y avait plus d’amis, l’on se regardait d’un air de méfiance, l’on devenait même ingrat envers ses meilleurs amis ". " Aimez-vous les uns les autres " est une injonction de prophète qui vient de se payer un gueuleton.

Je me souviens de l’alpiniste Reinhold Messner pendant sa traversée de l’Antarctique. Tirant sur sa pulka, il avouait s’abîmer des heures durant dans des fantasmes érotiques. Par grand froid, on ne peut empêcher la pensée de cingler vers le souvenir des chairs chaudes. Nous roulions vers Smorgoni et tâchions d’abattre le plus de chemin possible avant la nuit. Devant mes yeux dansaient des ventres grassouillets, des danseuses moldaves et des cuisses bien roses.
" Tu penses à quoi, Tesson ?
- Aux hauts lieux ", dis-je.

Avant de mourir, foutus pour foutus, les hommes se saoulent, baisent et bouffent à s’en crever le ventre. Etrangement, aucun ne se met en quête d’une bibliothèque pour relire un dernier poème de Virgile.

Nous quittâmes Varsovie dans un froid de gueux et je me dis que, si Berkeley s’était gelé les os dans l’hiver polonais sur une foutue Oural, il aurait peut-être révisé ses élucubrations sur l’inexistence des phénomènes.

C’étaient les plans d’un homme qui ne savait pas qu’il était déjà mort. La confession d’un fou, en train de tomber de l’immeuble et qui fait sa liste de résolutions pour l’avenir, entre le troisième et le deuxième étage.
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Moi qui aime par-dessus tout la contemplation des atlas, je me disais que les stratèges exercent un beau métier. Ils vivent, penchés sur les cartes, à piqueter des épingles et dessiner des flèches, en s'offusquant que le mouvement des troupes ne suit pas les tracés.
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Je vous rajoute quelques extraits du très bel hommage rendu aux chevaux par Sylvain Tesson.

Ils furent les grands martyrs de la Retraite. On les creva sous les charges, on les écorcha vifs, ... Personne n'a célébré la souffrance des chevaux de 1812 à la juste hauteur de leurs souffrance.
...S'il y a une innocence fauchée par la guerre, c'est bien celle des animaux : ils se seraient passés de la violence des hommes.
...Pourquoi m'avez-vous conduit ici ? Vous autres, Hommes, avez failli, car aucune de vos guerres n'est celle des bêtes. Les français possédaient près de cent cinquante mille bêtes en commençant la guerre : cent mille chevaux de trait et quarante-cinq milles montures. Les Russes en disposaient d'à peu près autant . Sur ces trois cent mille bêtes, deux cent mille moururent pendant les six mois de campagne.

P. 160-161-162

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Il ( Milan Kundera ) répugnait à ce penchant des compatriotes de Dostoïevski à toujours sentimentaliser les choses, à éclabousser la vie de pathos alors même qu'ils se rendaient coupables d'exactions. Et si c'était là la clé du mystère russe ? Une capacité à laisser partout des ruines, puis à les arroser par des torrents de larmes.

P. 101
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De quel droit se plaindre ? A-t-on l'autorisation de geindre sur une route où des hommes se mangèrent entre eux, où des chevaux tombèrent par milliers et furent dépecés vivants par des fantômes lassés de ronger le cuir de leurs bottes ?
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La France, petit paradis peuplé de gens qui se pensent en enfer, administré par des pères-la-vertu occupés à brider les habitants du parc humain, ne convenait plus à son besoin de liberté.
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Vassili et Vitaly débarquèrent dans le restaurant à 23 heures. L'étape de quatre cents kilomètres, avalée d'une traite par − 12°C, leur avait donné l'envie d'une soupe. Ils étaient vêtus en motards professionnels. Leurs casques, leurs blousons, leurs bottes, réduisaient notre équipement à des hardes d'amateurs. Nous eûmes l'étrange impression de faire les choses « à la Russe », c'est à dire tel que nous autres, de l'Occident, imaginions que les Russes les faisaient et nous nous trouvâmes dans cette position d'occuper dans le regard du Russe la place que le Russe occupe habituellement dans le regard de l'Européen : celle d'un rustre approximatif qui compense son impréparation à la vie par une indifférence aux aléas.
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Napoléon avait toujours ressenti le besoin de poursuivre une idée. Ne professait-il pas que l'imagination menait le monde ?

P. 181
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Fous de souffrance, décharnés, gelés, mangés de vermine, ils allaient devant eux, des champs couverts de morts vers d'autres champs de linceuls. Chaque pas arraché constituait le salut en même temps que la perte. Ils marchaient et ils étaient maudits;

...

Fallait-il que Napoléon irradiât d'une force galvanique pour que ces hommes ne lui tiennent pas rancune de leur infortune et , mieux ! perdent toute amertume à son apparition !

P. 110-111
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