Nous faisions des haltes dans les stations-service pour ranimer nos mains gelées et frotter nos rotules directement exposées au vent. Nous avions fini par les entourer de journaux, de cagoules en laine et de manchons de tissu maintenus avec du scotch. Nous portions deux paires de chaussettes, une paire de bottes de cuir et des surbottes étanches que nous coiffions d'une combinaison intégrale. Résultat de ces stratifications : nous avions froid et il fallait dix minutes pour réussir à pisser.
"Aimez vous les uns les autres" est une injonction de prophète qui vient de se payer un gueuleton.
Pourquoi les organisateurs avaient-ils appelé “débat-table ronde” cette réunion de gens tous d’accord entre eux autour d’une table carrée?
En cette aube du 29, il fallait couper aux Russes le passage de la Bérézina. Quand les flammes s'élevèrent, ce fut une ultime ruée. Les hurlements recouvrirent la canonnade. Ceux qui étaient encore sur l'autre rive se jetèrent dans le brasier ou dans l'eau. Ils avaient, pour périr, le choix entre les deux éléments contraires.
P.123
La campagne s'achevait ainsi dans une folie crépusculaire. Les défaites produisent toujours ces scènes de démence bosnienne. Avant de mourir, foutus pour foutus, les hommes se saoulent, baisent et bouffent à s'en crever le ventre. Etrangement, aucun ne se met en quête d'une bibliothèque pour relire un dernier poème de Virgile.
Un haut lieu, c'est un arpent de géographie fécondé par les larmes de l'Histoire... C'est un paysage béni par les larmes et le sang... C'est l'écho de l'Histoire, le rayonnement fossile d'un événement qui sourd du sol, comme une onde.
Dans la guerre, les voyous suivent la troupe comme les mouettes les chalutiers. Ils attendent les lendemains des batailles pour détrousser les morts. Ils ont la patience des vautours.
Comment l'aurions nous décrite, cette plaine de Borodino, nous qui n'avions pas accepté que quatre-vingt-neuf de nos soldats donnent leur vie en dix ans de conflit afghan ?
Il y a comme cela des napoléons du minuscule ; en général, ils finissent sur les bateaux, le seul endroit où ils peuvent régner sur des empires.
La France, petit paradis peuplé de gens qui se pensent en enfer.