Vanity Fair 1846-1847
William Makepeace Tackeray (1811-1863)
Veuf de facto
Chez la plupart des génies du monde créatif de la littérature, de la peinture et de la musique, combien sont partis trop tôt et nous ont certainement privés de bien des chefs d'oeuvre encore, combien aussi portaient en eux la marque d'une vie où l'on voit bien que les ingrédients étaient là pour leur inspirer une grande oeuvre. La richesse d'une vie ne fait pas forcément l'artiste, mais quand même je pense que point de destin exceptionnel, point de grande oeuvre et que la qualité de celle-ci se fait l'écho de l'intérêt que suscite sa production.
En disant cela, je pense à
William Makepeace Thackeray, à un élément près, l'un des plus grands auteurs que l'Angleterre ait connus qui fut géante sous l'emprise victorienne.
Il va sans dire que leur vie écourtée comporte sa part de drame.
Un père qui amasse une grosse fortune dans la Compagnie des Indes, William le fils qui ne percevra pas sa part d'héritage et qui va s'employer dans des jobs de subsistance comme le journalisme, métier courant à l'époque qui permettait de repérer les talents de la plume, ils se commettaient en chroniques, en feuilletons, mais il faut bien admettre que si le journalisme nourrissait son homme,
Thackeray ne pouvait concevoir ces avantages que comme une rampe de lancement vers son activité artistique car il n'avait cure d'une réussite dans le monde de la bourgeoisie et la noblesse anglaises : il vomissait le système synonyme de mesquineries.
On pense aussi à sa rencontre avec Miss Isabella Shawe, irlandaise, qu'il épousa, lui donna trois filles et qui finit internée pour dépression nerveuse. de plus jeter son dévolu sur une irlandaise dans la société victorienne n'était pas à coup sûr le meilleur parti qu'il fallait prendre pour se faire bien voir.
Thackeray, âme bien née, qui va connaître néanmoins dans son activité journalistique une pleine réussite, lui procura une aisance financière notable. Alors que chez les hommes, c'est selon les perspectives de chance créatrice quand la femme est tenue éloignée ou internée comme on voudra, ici en situation de veuf de facto, lui c'est à coup sûr la mise à profit de cette absence pour écrire et va connaître une activité littéraire intense, un succès grandissant. On imagine son désarroi et sa souffrance quand même à titre individuel, mais le grand homme ne se plaint pas : il souffre dans sa chair en prenant sur lui et vaque à ses occupations d'artiste avec un aplomb extraordinaire et là il croit voir la clef de ce monde à travers sa capacité exceptionnelle d'en appréhender tous les vices les plus vicieux, les alliances, les mésalliances anglaises si merveilleusement décrites dans la Chance de Barry Lindon avec une pensée aimable pour les irlandais en souvenir peut-on dire de sa femme irlandaise dont la vie à ses côtés n'était plus possible.
A travers tous ses voyages à l'étranger et grâce à sa position dominante en Angleterre, l'homme se fait connaître comme un observateur pointu des moeurs futiles de la société anglaise que la moralité victorienne rejette, il va en recueillir tous les ferments pour en faire des satires grinçantes.
Vanity Fair
Que les fortunes se fassent dans
la Foire aux vanités - j'ai envie de laisser le titre original tellement cela me semble anglais : Vanity Fair - cela me semble naturel et aller de soi, qu'elles se défassent au gré des circonstances touchant les protagonistes vont moins de soi et semblent répondre comme l'écho pour favoriser la trame riche de l'aventure des deux jeunes amies Amélia et Becky si différentes de naissance. Les destins feuilletonnesques des jeunes femmes se croisent de manière folle -attention à ne rien louper de l'intrigue au risque de s'y perdre-, malgré tout une certaine moralité victorienne semble toujours remettre les pendules à l'heure.. On est sous le charme du génie littéraire qu'est
William Makepeace Thackeray et qui va influencer avec Trollope, Eliot.. plusieurs générations d'auteurs littéraires dont les noms nous sont connus, mais en deca néanmoins du grand victorien.
Ma préférence va plutôt à l'auteur en question qu'à Dickens que tout opposait, cela est probablement dû à la qualité inégale des hommes et à leurs idées.
Le grand écrivain mourra à la cinquantaine, j'aurais pu le dire plus tôt. Se sentant moins créatif, il mangeait, buvait trop, aimait les piments épicés (mon point commun avec lui). Un AVC l'emporta et il y eut une foule de gens à son enterrement..
Est-ce qu'on peut comprendre pourquoi secrètement j'aime tant Londres quand j'ai le sentiment d'être (physiquement) sur les traces de cet énorme William par exemple où je peux admirer son buste à l'abbaye de Westminster, et où l'ombre de sa démesure se propage hors du temps comme le géant non pas d'un siècle, mais de plusieurs à la fois. C'est une espèce d'artiste reconnaissable entre mille qui ne peut vous laisser seul et indifférent. Les artistes, il me semble aussi sont tous cabots, mais pour
Thackeray, il me semble que non ; dès lors qu'il ne s'est plu senti créatif, il cessa d'écrire naturellement. Avait-il quelque chose à perdre ? grand dieu que non ! sa vie non plus ne lui disait plus rien, ce qu'il avait à dire au monde, il l'avait déjà dit. Peut-être subissait-il aussi le contrecoup de ses années solitaires paradoxalement réussies publiquement avec le sentiment d'une vie intime qui lui aura manqué. Je ne suis pas dans sa peau pour savoir s'il avait encore de grands desseins, mais je pense que les choses se sont taries comme ça, sans que la vie reprenne le dessus autrement que par des artifices. Ca ne sert à rien de se raconter des histoires..
"La bienveillance et le sentiment ennoblissent les actions les plus anodines"