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EAN : 9782823617368
272 pages
Editions de l'Olivier (14/01/2022)
4.15/5   181 notes
Résumé :
« Par une nuit aux étoiles claires, Gabrielle court à travers champ. Elle court, je crois, sans penser ni faiblir, court vers la ferme, la chambre, le lit, s’élance minuscule dans un labyrinthe de maïs, poussée par une urgence aiguë, par le besoin soudain de voir, d’être sûre. Gabrielle sait qu’il est trop tard – ses paumes meurtries le lui rappellent – pourtant elle court, de toute la vigueur de ses treize ans. »

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Critiques, Analyses et Avis (66) Voir plus Ajouter une critique
4,15

sur 181 notes
Il est rare de lire un premier roman aussi abouti, j'ai été totalement cueillie par sa sensibilité énergisante qui donne à ressentir, vivre chacune de ses pages.

Dès le premier chapitre, Laurine Thizy déploie un univers singulier qui surprend et magnétise l'attention : une jeune fille de treize ans qui court en pleine nuit dans un champ de maïs, les paumes « cautérisées par les broderies d'un coussin », avant de s'endormir contre le corps de son arrière-grand-mère qui vient de mourir, sous le regard d'une statue de plâtre de la Vierge « désormais muette ». On ne lâchera jamais Gabrielle, adolescente effrontée à la fois conquérante et fragile, animée d'une urgente vitalité depuis sa naissance de très grande prématurée.

Laurine Thizy a construit admirablement son roman, comme un thriller, le nourrissant de mystère et de questions : pourquoi Gabrielle court-elle cette nuit-là ? quel terrible secret cache-t-elle ? celui qui a tout fait basculer ? Qui est le narrateur qui l'appelle affectueusement « ma Gabrielle » mais semble si peu sûr avec ces « je crois », « j'imagine », « je pense » ?

Le suspense est maintenu jusqu'à la fin, jusqu'à un dernier chapitre à la révélation déchirante et tellement éclairante que j'ai juste eu envie de lire à nouveau le roman pour éclairer les subtilités de l'intrigue qui conduisait à elle. Cette histoire construite en boucle est vraiment très puissante, sa force renforcée par une narration à la discrétion ingénieuse.

Les Maison vides est en fait un roman initiatique centré sur le superbe personnage de Gabrielle en pleine épreuve, plus largement une histoire intergénérationnelle entre une adolescente et son arrière-grand-mère qui partagent tant, des yeux verts au caractère rebelle. Et dans ce récit, les personnages sont incroyablement incarnés.

Le travail de l'auteure à décrire les corps est omniprésent : le corps du prématuré qui se bat pour survivre, le corps qui se transforme étrangement à l'adolescence, le corps qui souffre lors d'exigeants entrainements de GRS, le corps qui subit l'asthme, le corps qui s'abime sous le poids de la culpabilité, le corps qui vieillit puis agonise. le corps qui dit la vérité de l'être, la plus profonde, la plus crue, une vérité tellement criante que personne ne la voit telle qu'elle est au départ, lecteur compris. Les mots de l'auteur ont la grande qualité de ne jamais expliquer ce que font les personnages ou pourquoi ils ressentent ainsi, elle donne à voir par la description ciselée de ces corps contraints.

Et puis, il y a ces formidables embardées surnaturelles, décalées, inquiétantes autour des araignées que crachent Gabrielle mais qu'elle seule voit, comme en écho aux nénuphars de Chloé dans L'Ecume des jours. Elles apportent beaucoup au roman en le teintant de singularité.

« Depuis qu'elle s'impose ce strict régime, Gabrielle constate que les araignées ne s'affaiblissent pas. Au contraire, il semble même qu'elles sont plus grosses, plus velues, qu'elles lui chatouillent la gorge plus souvent qu'auparavant. Parfois, elles restent tranquilles pendant des jours, des semaines. Parfois, des quintes de toux grasse amènent dans ses glaires des spécimens particulièrement dodus. La taille des araignées varie, leur couleur à peine. Leur corps est d'un noir lisse, brillant comme un éclat d'obsidienne, les pattes sont courtes, étrangement courtes si on les compare à l'abdomen enflé, imposant. de minuscules poils noirs saillent autour des mandibules, les yeux son invisibles, noyés dans la pénombre de la tête ; mais Gabrielle les devine, horrifiée. Elle les imagine blancs ou rouges, luisants dans l'obscurité, et l'idée que de tels monstres habitent son corps lui fait horreur. Elle écrase les bêtes entre le pouce et l'index, sent la carapace exploser sous ses doigts, se hâte alors de les jeter ; tire la chasse, se lave les mains au savon et à l'eau brûlante. de temps en temps un fil de soie lui reste coincé dans la gorge, comme parfois ses propres cheveux, qu'elle enroule autour de l'index pour le retirer. Pour cette raison, Gabrielle n'embrasse presque jamais Raph avec la langue. Elle redoute par-dessus tout qu'un pan de toile se noue à leurs bouches unies, les ligote comme une proie. Elle a dans la tête des images de cocon de soie et de langues prisonnières, dévorées. »

Coup de coeur pour ce remarquable roman sur la perte de l'innocence et le passage à l'âge adulte.

Lu dans le cadre de la sélection 2022 des 68 Premières fois #7
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Gabrielle a treize ans et doit se rendre à l'évidence : son arrière-grand-mère est bien morte et ne reviendra plus. Entre l'adolescente et la vieille femme dont les trajectoires, ascendante et descendante, ont cheminé un peu plus d'une décennie de concert, le lien a toujours été fort. Bébé prématuré à la survie incertaine, puis petite gymnaste douée en passe aujourd'hui de devenir femme, Gabrielle n'a jamais cessé de faire preuve d'un caractère bien trempé. Tout comme son aïeule, Maria, débarquée autrefois de l'Espagne franquiste avec pour seul bagage son inflexible volonté. Lorsque Maria rend son dernier souffle, c'est la vie de Gabrielle qui bascule.


Ouvert sur la mort de Maria, le récit reconstitue ensuite le parcours du combattant qu'a été dès le premier instant la vie de Gabrielle. Précipitée trois mois avant terme dans une existence à laquelle elle s'accroche contre toute attente, longtemps chétive malgré une pratique intensive de la gymnastique artistique, elle grandit au sein d'une famille rassemblant quatre générations avec son lot de rancunes et de frictions, dans une campagne présidée par une Ville Rose, où les hommes vénèrent le rugby et la chasse à la palombe, autant que les femmes la Vierge Marie de la Ville de la Grotte.


Encore et toujours, en délicats pointillés, se précise à travers Gabrielle la silhouette tutélaire de l'antique octogénaire, bientôt nonagénaire de plus en plus fragile, si touchante dans la simplicité sincère et impétueuse de son attachement pour son arrière-petite-fille. Sans doute a-t-elle reconnu la dureté de sa propre trajectoire dans le combat éperdu de la nouvelle-née pour sa vie, puis dans les efforts de la gamine pour compenser sa différence malingre. Entre ces deux-là, c'est une question de complicité et de solidarité à toute épreuve, commencée dès le premier âge de l'une, terminée dans les derniers jours de l'autre.


Alors l'émotion est immanquablement au rendez-vous, surtout lorsque la narration, menée par une voix dont on perçoit toute la tendresse en se demandant longtemps à qui elle peut bien appartenir, nous conduit enfin à comprendre ce que cache la conduite de plus en plus troublée de Gabrielle depuis la disparition de son aïeule. Car l'adolescente s'enfonce dans un malaise de plus en plus palpable, aux très curieux et inquiétants symptômes. Et l'on s'inquiète et s'interroge d'autant plus que dans le récit se glissent, de loin en loin, quelques saynètes de clowns s'évertuant à ramener le sourire sur le visage d'enfants malades et hospitalisés.


Et comme, pris par le coeur par les personnages autant que captivé par le fil du récit, le lecteur se retrouve aussi sous le charme d'une plume admirablement ciselée, c'est un très grand coup de coeur que lui réserve ce premier roman, révélateur d'un talent en tout point prometteur.

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Je suis le loir qui furète dans la charpente au-dessus de la chambre de Gabrielle. Elle ne me voit pas, mais elle m'entend, je fais un boucan du diable, il me plaît de ne pas la laisser s'endormir le soir.
D'ailleurs, je sais que Gabrielle se sert de moi comme prétexte pour justifier ses yeux cernés.
Malgré ses treize ans Gabrielle porte de lourds secrets, elle ressort la nuit comme une chauve-souris pour aller sur la tombe de son arrière-grand-mère dans le cimetière. Elle se faufile, menue et tremblante dans le froid.
Mais, ne vous y fiez pas, Gabrielle est une forte tête, et au moment où elle l'aura décidé, sa jeunesse et sa beauté vont éclater à la figure de cette famille qui ne sait pas qui elle est. Gabrielle va se dresser devant elle, et ses yeux verts, son port de tête de danseuse, son dos cambré, ses formes naissantes vont bientôt aimanter le regard des hommes.
Gabrielle n'a pas peur du combat, du corps-à-corps, d'ailleurs sa première lutte elle l'a livrée à peine sortie du ventre maternel, seule contre tous, dans sa couveuse, pour sa survie, loin de l'amour et de tendres peau à peau.
Roman sur l'adolescence, les relations avec le corps, tantôt soumis par la gymnastique ou l'anorexie, tantôt corps rebelle lorsque la toux empêche de respirer. Toux, glaires noires, semblables à des araignées qui encombrent la trachée, fils de soie qui cousent la bouche. Mais aussi corps flétri, fatigué, usé, parsemé de taches et de veines de l'arrière-grand-mère.
Un livre étrange, déroutant, très maîtrisé en une boucle parfaite, qui flirte à la lisière du rêve et du cauchemar. Je suis cependant restée un peu sur ma réserve du fait de quelques longueurs, et du procédé narratif par un personnage dont l'identité ne nous est dévoilée qu'à la toute fin. Ce procédé est certes original mais il m'a mis à distance des tourments de Gabrielle.
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Dès les premières phrases, le récit intrigue. Une jeune fille s'attarde auprès du corps de sa défunte grand-mère.Quelques détails interrogent, et pourtant, relu après avoir tourné la dernière page, ce prologue contient en filigrane tout ce que l'on apprendra peu à peu au fil du roman.
Les époques s'entremêlent, évocation des racines, naissance trop précoce, dons du ciel pour une survivante, famille aussi aimante que vorace…

Alors que viennent faire ces deux clowns, qui parcourent les couloirs d'un hôpital pédiatrique, récompensés par le sourire retrouvé ?

C'est avec retenue et finesse que le portrait de Gabrielle s'étaye au fil des chapitres. L'enfant précaire s'épanouit, avec grâce et compétence, mais un drame, qu'elle porte au plus profond d'elle-même mine ses jours et ses nuits, alors que des araignées velues l'envahissent.

La construction est superbe, laissant le mystère bien à l'abri derrière les pièces du puzzle qui trouvent lentement leur place. Beaucoup d'émotions et d'empathie pour cette enfant si prompte à se sacrifier, pour une performance, pour sa famille, ou pour porter la voix des générations de femmes qui l'ont précédée et ont fait d'elle ce qu'elle est aujourd'hui.

Un premier roman remarquable.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Curieux roman qui pousse le lecteur au questionnement permanent : qui est ce narrateur qui emploie de temps à autre la première personne du singulier ? Que fait cette enfant près d'une aïeule morte dès le début du roman ? Qui sont tous ces personnages rencontrés au cours du roman. Fort heureusement ils nous seront présentés et on comprendra que se succèdent pour converger ensuite, les épisodes de la vie de Gabrielle : Gabrielle, bébé né prématurément, Gabrielle, jeune fille et gymnaste pleine de vie, Gabrielle singulière adolescente secrète et dévouée aux siens, Gabrielle qui porte et subit sa prématurité.

Un récit riche par les sujets abordés : la prématurité et la délicate mission confiée aux parents qui rentre avec un bébé qui a terminé sa maturation en couveuse, la maladie de l'enfant délicatement amenée par la présence des clowns en milieu hospitalier, mais également la famille et l'héritage des femmes qui en se succédant assument la gestion de la famille, la difficulté d'être parents et de se sentir impuissant face au mal être de son enfant, le deuil des parents comprenant que leur enfant va s'envoler et prendre des chemins différents de ceux qu'ils avaient imaginés.

Deux personnages me paraissent marquer le roman, les grands-mères : effacées parfois, et qui surgissent soudain pour un avis, pour une action précise, omniprésentes dans la famille.

J'ai personnellement apprécié la grand-mère espagnole avec son parler mitigé dans les deux langues, son assurance et les idées l'amenant à des gestes ou des actions brutales qui m'ont fait sourire même si l'humour n'est pas de mise dans le roman.

Un beau roman assaisonné à la sauce tradition chrétienne qui rythme la vie et qui montre l'évolution d'une famille en dépit des attaches religieuses que celle-ci possède.
Lien : http://1001ptitgateau.blogsp..
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critiques presse (2)
La primo romancière Laurine Thizy nous présente son roman « Les maisons vides », le destin de Gabrielle l'héroïne qui, avec une énergie prodigieuse, grandit, lutte, s'affranchit.
Lire la critique sur le site : RadioFranceInternationale
LeFigaro
18 février 2022
Un remarquable premier roman, porté par une écriture accomplie et délicate.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Alors Gabrielle déshabille le petit frère et le glisse dans les bras de la mémé. Les voici, la vieille espagnole et le petit frère de dix-huit mois babillant, là tous les deux, blottis l'un contre l'autre dans l'eau claire, l'enfant dans son éclatante jeunesse avec sa peau rosée qui repose sur la poitrine distendue, au creux des bras veinés. Ils sont tournés l'un vers l'autre badins, sourire radieux du petit Jean, joues rondes, incisives flambantes, à peine poussées, sous le regard voilé de la Maria - sourire partiellement évidé comme celui du petit frère. Gabrielle observe l'enfant et la mémé, la vieille peau molle, les réseaux de veines qui saillent sous la peau, les poils filasse presque inexistants au bas du ventre ; et par contraste cette fraîcheur hallucinante du petit frère. Son sexe d'oisillon fait rire sa mère et tout le monde. Il bat des mains dans l'eau, enfant de lumière posé contre le sein antique d'une madone nue. (p.232)
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Maintenant entre les murs de l’hôpital, demi de mêlée sur le banc de touche, Peyo attend la sanction d’un arbitre aux règles inconnues. Rentrer ainsi les épaules, contracter la nuque, regarder l’adversaire en face : la seule méthode qu’il ait jamais apprise pour encaisser les coups.
Une petite stagiaire timidement s’avance, armée d’un bracelet de naissance et d’un marqueur indélébile.
– Et pour le prénom, vous y avez réfléchi ?
Peyo la regarde. Il ne s’est jamais posé la question, jamais vraiment. Jusqu’à tout à l’heure, l’idée d’avoir un enfant n’était que théorique – alors un enfant réel, qu’il aurait en plus le pouvoir exorbitant de nommer… Peyo reste silencieux et la petite stagiaire, mal à l’aise, s’enfuit.
Plus tard le médecin de garde, en enlevant sa blouse, annonce que rien n’est sûr encore mais l’espoir est bon, même si petite – petite comme ça on n’a jamais vu, mais on fait au mieux. Grâce aux progrès de la science, on a isolé une molécule qui permettra l’achèvement des poumons.
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Par une nuit aux étoiles claires, Gabrielle court à travers champs. Elle court, je crois, sans penser ni faiblir, court vers la ferme, la chambre, le lit, s'élance minuscule vers un labyrinthe de maïs, poussée par le besoin soudain de voir, d'être sûre. Gabrielle sait qu'il est trop tard - ses paumes meurtries le lui rappellent-, pourtant elle court, de toute la vigueur de ses treize ans.
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Prologue
Par une nuit aux étoiles claires, Gabrielle court à travers champs. Elle court, je crois, sans penser ni faiblir, court vers la ferme, la chambre, le lit, s’élance minuscule dans un labyrinthe de maïs, poussée par le besoin soudain de voir, d’être sûre. Gabrielle sait qu’il est trop tard – ses paumes meurtries le lui rappellent –, pourtant elle court, de toute la vigueur de ses treize ans.
Gabrielle entre par la grange, plus silencieuse qu’une souris fuyant derrière les plinthes. Elle a la grâce et la souplesse de sa jeunesse, elle connaît la maison par cœur et depuis toujours, pierres aux écailles rugueuses, tuiles en rangs sur le toit incliné, odeur indélébile de poussière et de pétrole. La lucarne filtre une lumière qui dessine le contour des choses, la tondeuse, le paillasson, le chausse-pied ; mais même dans l’obscurité Gabrielle pourrait escalader les trois marches qui mènent à la cuisine, traverser le couloir, se faufiler dans la chambre du fond. Elle n’a pas besoin de voir, ses mains brûlantes suivent la tapisserie, longent le chambranle de la porte, referment derrière elle sans un bruit.
La voici dans la chambre. Personne n’a pris la peine de fermer les volets. Sur l’étagère, la statue de la Vierge avec son chapelet au coude luit dans la pénombre, rendue à ses prières, muette désormais. Dans la lumière argentée, la Très-Sainte n’est plus qu’une statue de plâtre immobile.
Gabrielle s’approche du lit.
C’est un lit médicalisé pour les grands malades ou les très vieilles personnes, un lit qu’on a fait installer à la maison pour soigner la vieillesse dans les murs qui l’ont vue advenir. Mais la vieillesse ne se soigne pas ; Gabrielle, avec ses paumes cautérisées par les broderies d’un coussin, vient à peine de l’apprendre. La vieillesse ne se soigne pas.
Elle se tient maintenant au chevet qu’elle a veillé des mois durant. Tout à l’heure elle est partie trop vite, alors elle observe. Le corps gît sur le lit, les mains ridées posées sur le ventre, l’une sur l’autre, en une dernière protection. Le visage est lisse comme une poupée de cire. Les yeux sont restés ouverts, fixes, ces yeux d’un vert délavé que le temps et la cataracte ont depuis longtemps voilés d’une glaire opaque. Les rares cheveux sont comme l’infirmière les a noués au matin, chignon maigre, ramassé sur la nuque. Sous les fesses, les mollets, les omoplates, des escarres déjà s’épanouissent.
J’ignore combien de temps Gabrielle reste au bord du lit, j’ignore à quoi elle pense quand elle fixe les bas de contention dans les vieux mocassins, le gilet de laine à boutons dorés, le pin’s en forme de colombe. La maison est silencieuse. Dehors, la lune fait le tour de la nuit et les maïs bruissent au vent d’octobre. J’imagine qu’elle se penche, dépose un baiser sur le front ; découvre alors sous ses lèvres la peau froide, caoutchouc dur, peau terrible de l’après.
Gabrielle effleure les doigts osseux avec la pulpe de son index, arrange un cheveu blanc, hésite. Enfin elle s’allonge sur le matelas crénelé, glisse sa main sous le bras mort pour se faire une place au creux du lit. Jeune et vivante, sous le regard éteint de la Vierge, son poing brûlé enfoui dans une paume glaciale, Gabrielle finit par s’endormir, blottie contre un cadavre.
*
Un : le costume. La chemise trop grande à fleurs bariolées, le pantalon de velours orange, les bretelles à damier avec leur pince en tête de chat. Les chaussures de bowling, pointure 47, cuir rouge et bleu, lacets fluo. Laver l’ensemble à chaque fois.
Deux : les accessoires. Un cochon en plastique, une bille transparente, une banane épluchable à l’infini, un tube à bulles de savon, trois massues, un harmonica. À désinfecter, spray à disposition sur la table.
Trois : le maquillage. Base blanche, crémeuse. Appliquer à l’éponge. Au besoin, estomper du bout des doigts. À la craie grasse, tracer l’arc de cercle au-dessus des yeux. Ne pas effrayer les enfants.
Quatre : les gants. Lavage des mains obligatoire, doigts en ciseaux pour enfoncer les jointures. Jetables si possible. Sinon, ne rien toucher.
Cinq : le nez rouge.
On.
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Derrière la vitre, contre le ciel de septembre, se dressent les montagnes de la fin de l’été, crocs noirs et nus. Dans le blanc uniforme de la chambre, la fenêtre semble un tableau immobile, comme peint à même le mur, ne serait la lumière de midi qui découpe l’air en faisceaux jaunes.
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Vidéo de Laurine Thizy
Un texte collectif dirigé par Charlotte Pudlowski avec Emma Becker, Marina Rollman, Joy Majdalani, Wendy Delorme, Laurine Thizy, Emmanuelle Richard
Éditions de l'Iconoclaste | septembre 2023
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