Craig Thompson est un bon élève, pas un premier de classe, chez qui j'ai l'impression qu'on loue plus la quantité que la qualité. Alors, oui, il réussit le tour de force de peindre plus de 600 pages plaisantes, qui se lisent plutôt bien, sans réelle longueurs, avec un certain sens du dynamisme et un romanesque sans doute facile mais qui insuffle suffisamment de souffle pour entretenir l'envie de tourner la page. Rien de neuf ni de bien original, mais l'ensemble est agréablement mené.
On ne peut pas évoquer
Craig Thompson sans parler de son côté fleur bleue, nunuche et que sais-je, qui peut agacer, mais qui fait partie intégrante du personnage.
Mais, et c'est là ce qui me laisse un mauvais gout dans la bouche, sur le plan des valeurs, j'ai comme un problème. J'ai repensé au Happy Sex de Zep. Rien à voir ? Une bande dessinée qui parle ouvertement de sexualité, de manière complètement décomplexée que j'ai lu avec ma chérie, qui se demandait même si Zep n'a pas eu un coup de main de sa femme sur les scénario parce qu'il y a quelque chose de très féminin de son approche du sexe.
Craig Thompson nous a raconté longuement les dégâts de son éducation catholique rigoriste et semblait se conclure sur une certaine forme de réconciliation. Mais que voit-on dans
Habibi ?
Sous les beaux atours d'une histoire d'amour teintée de spiritualité, il dévient un monde où les hommes dominent les femmes, les asservissent sexuellement. Viol, prostitution, femmes-objets des harems, mises au placard quand elles sont trop vieilles. L'héroïne est vendue enfant comme épouse, violée, brièvement réduite en esclavage avant de s'enfuir avec un bébé, qu'elle élève comme son enfant, alors qu'elle en est encore une elle-même. Elle n'hésite pas à se prostituer pour lui, tandis que l'enfant grandit et est de plus en plus attiré par le corps de sa mère-soeur. Séparés, il recourt à la castration pour poursuivre un idéal de pureté, mais reste assailli de visions terrifiantes du corps de son amour entouré de démons. J'ai du mal à ne pas voir une vision culpabilisante et terrifiée des rapports entre hommes et femmes. Finalement, la conclusion renvoie à une vision de la reproduction comme seule finalité du sexe et comme pirouette, l'adoption d'une petite esclave par le 'couple' qui résiste à la tentation de l'inceste et se retire du monde, comme des saints... je suis peu-être biaisé, mais c'est ainsi que perçois le sens profond de cette histoire. Et c'est vrai qu'elle est agréable à lire si on fait abstraction de tout cet aspect. Dans un autre registre, j'ai lu dernièrement que Narnia était depuis longtemps le théatre de polémique à propos de la misogynie de l'oeuvre (devenir adulte, et à plus forte raison devenir femme, fermerait définitivement les portes de Narnia).