Pour permettre à sa famille de survivre, une petite fille est vendue comme épouse à un scribe. Celui-ci l'instruit. Mais un jour il est attaqué et égorgé devant son épouse. Celle-ci est vendue comme esclave. Elle réussit à s'enfuir en compagnie d'un petit garçon noir. Ils trouvent refuge sur un bateau aux milieux des dunes. Commence alors leur lutte pour la survie. Pour adoucir leur quotidien elle lui raconte des histoires tirées du Coran et de l'Ancien Testament. Un jour, pourtant, elle ne revient pas d'une de ses expéditions vers les caravanes.
Una bande dessinée comme seul sait les écrire Thompson, dans la lignée des Mille et une nuits, dans un Orient oscillant entre archaïsme mythique et ce que la modernité fait de pire.
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Un chef-d'oeuvre que ce roman graphique. Hallucinant, halluciné. Un imaginaire, une culture, un univers graphique foisonnants. Tous les temps, toutes les époques sont convoqués : mythiques, modernes et se font écho, comme se font écho les références graphiques et culturelles. Beauté des textes, des écritures (calligraphie arable), des dessins qui s'entremêlent. Les blancs aussi jouent leur rôle, les ellipses.
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Habibi (« bien-aimé » en arabe) est un coup de poing. C'est le genre de livre pour lesquels on est un peu sonné quand la dernière page est lue et dont on ressort hanté par les personnages.
L'histoire se passe dans un pays arabe indéterminé. C'est la sécheresse. Dodola, une petite fille de neuf ans, est vendue par son père à un scribe d'une quarantaine d'année.
« Quelle horreur ! » dira-t-on.
Mais l'homme est tendre avec sa toute nouvelle compagne, et pour la consoler de sa récente séparation (et de la pénibilité de son devoir conjugal...), il lui raconte des histoires et lui apprend les rudiments de l'écriture.
« Ouf… » s'est dit la lectrice que j'étais.
C'est alors que des brigands s'introduisent chez le scribe pour lui voler sa femme et le tuer. Abuser d'elle ? Non, mieux vaut la vendre au plus offrant. Dodola, reconvertie en marchandise, croise la route d'un bébé noir, visiblement orphelin. Prise d'affection, elle le prend sous son aile, parvient à s'enfuir avec lui et trouve refuge dans le désert. Les années passent. Ils vivent du passage des caravanes, qui leur laissent des denrées alimentaires.
« Bon, alors ça va pour eux, non ? »
Jusqu'au jour où, victime de sa réputation de sorcière, elle se fait enlever pour servir les appétits sexuels d'un sultan.
C'est une histoire terrible et triste, mais aussi très belle et poétique. Je suis infiniment admirative du travail de Craig Thompson, qui mêle à ses dessins moult calligraphies arabes – extraits de Coran, de poèmes, des citations… Les traductions sont en fin d'ouvrage. Je ne suis pas fan de son coup de crayon. Mais je suis tombée des nues quand j'ai vu la finesse des détails, deviné les heures, les jours et les semaines d'études que ça a impliqué.
Les personnages sont hypnotisants. La jeune femme qu'est devenue Dodola est un être fort, volontaire, capable de se sacrifier pour protéger Zam, le bébé noir. C'est aussi quelqu'un de profondément bon et droit. Mais une femme indépendante dans une société aussi machiste en bave, et j'ai été scandalisée à plus d'un titre.
Zam, quant à lui, finit par développer une puissante attirance sexuelle envers celle qui l'élève. Il voit la courbe de ses hanches dans la forme des montagnes, l'observe prendre son bain à la dérobée, se masturbe en pensant à elle… Bizarre et dérangeant ? Oh que oui, ça l'est ! Il a douze ans, elle vingt et un, mais elle est belle et est tout ce qu'il connaît de la féminité. Mais au fur et à mesure du récit, on se rend compte qu'il est sincèrement amoureux de Dodola. Son attirance impossible devient touchante. Six années de séparation, et pas un jour sans qu'il ne pense à elle. Il a tellement honte de ses désirs qu'il se résout à la castration.
Putain, c'est beau…
Et pour finir, j'ai été extrêmement touchée par les messages que véhicule ce roman. Le gaspillage, la pollution, l'industrialisation sont la face cachée des grandes villes modernes. Et ce sont les petits villages qui en pâtissent. L'égoïsme et l'ennui sont le pendant de l'excès de pouvoir, et conduisent à des dérives terrifiantes. C'est ainsi que le sultan, lassé de son harem, décide de tuer arbitrairement la moitié de ses concubines pour « refaire son stock ».
Comprenez-le, il avait besoin de nouveauté…
Ce qui nous engage sur le terrain de la condition féminine ! C'est simple : les femmes sont des marchandises. Leur corps est particulièrement convoité par les mâles ; Dodola, qui est jeune et belle et qui n'a pas de mari, est constamment obligée de louvoyer, de ruser pour tirer son épingle du jeu. Se faire passer pour une sorcière. Changer une cruche d'eau en or. S'enfuir au moment opportun. Vendre son corps contre de la nourriture. Repousser les avances de celui qu'elle a élevé…
En revanche, pour une fois, la honte change de camp. Les choses sont expliquées ainsi : ce sont les djinns qui instillent le désir dans le coeur des hommes – comme le dit le Coran. Les hommes sont faibles et manipulables, ils sont esclaves de leurs pulsions. Et c'est leur faiblesse qui condamne les femmes à devenir des objets.
Ça ferait presque plaisir à entendre si ce n'était pas si vrai.
Pour résumer, Habibi m'a profondément marquée. J'ai été choquée, heureuse, horrifiée et soulagée. J'ai ri, j'ai frissonné, et tout simplement j'ai aimé.
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Très bien dessiné très dépaysant... A chaque fois que j'ouvrais ce livre je savais que je partais pour un voyage où mon quotidien allait s'effacer pour quelques minutes de pur régal. Merci à l'auteur :-)
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Ouvrage emprunté à la médiathèque, j'ai été attiré par la couverture, très belle.
L'histoire est touchante, j'ai dévoré l'album (pourtant bien épais!)
Et le dessin est somptueux.
Les calligraphies sont tellement belles qu'on pourrait toutes les encadrer.
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