Cette collection de beaux livres, entamée en 2014 aux Éditions Faton, propose l'essentiel des textes de l'historien d'art et collectionneur
Jacques Thuillier. le présent volume, "Pour le plaisir" (2018), en est le sixième tome. le septième est en préparation : "Un autre regard sur le XXe siècle".
Parmi les écrits de
Jacques Thuillier, certains font exception à sa spécialité qui est le XVIIe siècle français (tant en peinture qu'en littérature d'art), tels les trois repris dans ce sixième volume de la collection.
Le premier texte, daté de 1969, est consacré à la galerie de Médicis de Pierre-Paul Rubens, oeuvre monumentale en vingt-quatre tableaux, aujourd'hui exposés au Louvre. le second, commande de l'éditeur Skira (1967) – "chef-d'oeuvre d'écriture", affirme la présentation de
Serge Lemoine – change la vision convenue que l'on peut avoir de
Jean-Honoré Fragonard. Enfin la seule monographie que l'historien consacra à un peintre du XIXe siècle, le réaliste lorrain Jules Bastien-Lepage, ainsi réévalué en 2005, complète le volume.
L'objet-livre est somptueux, format 29x22 cm, reliure pleine toile, papier luxueux et de nombreuses illustrations aux couleurs qu'on espère préservées des dominantes disparates auxquelles nous condamne internet. [Cette remarque car certaines agrandissements de Bastien-Lepage (Détails de "Les foins", "La fenaison", "Mère de l'artiste") paraissent fort jaunes. Si la qualité des photographies (sources référencées en fin de volume) n'est pas en cause, le travail de reproduction est un casse-tête, on le sait. Ceci dit, je vois mon livre imprimé chromatiquement cohérent avec les premières pages feuilletées sur écran correctement calibré.]
Pour l'heure, je n'ai lu que la partie consacrée à Fragonard, ce peintre que je connaissais un peu grâce à
Daniel Arasse. Brillamment écrit, stylé et un peu précieux, le commentaire propose une vision judicieuse de l'oeuvre dans le siècle, n'oubliant pas de décrire telle manière de pinceau ou telle dynamique des surfaces et des tons. Les beaux livres magnifiquement illustrés pèchent parfois par un texte conventionnel sans aspérités: on a ici un travail de grande valeur, une attention de spécialiste.
Les imprécisions des biographies de Fragonard, le peu de romanesque qu'on y trouve et "la légèreté de son pinceau" ont laissé s'installer la réputation d'un peintre futile. Thuillier offre un contrepoint à la légende avec une analyse de l'imaginaire de l'artiste et sa liberté face à un temps qui voulut un retour au pompier. Voici un Fragonard neuf, avec son ivresse de la couleur et de la touche. Sa création fut très changeante et moins galante qu'il n'y paraît, plutôt "un artiste qui se plaît à célébrer l'enfance et la jeunesse". Avec l'évocation romantique d'une "nature luxuriante, de plus en plus mystérieuse". Il eut le courage de renoncer à ce qui plaisait à la plupart de ses amateurs ; ainsi, malgré la déconvenue au retrait des quatre tableaux réalisés pour Madame du Barry (château de Louveciennes), désigné par un pamphlet comme "le grand maître du tartouillis", il va dégager peu à peu une poésie nouvelle d'où émergeront des chefs-d'oeuvre : "se libérer du spectacle et s'abandonner au pur plaisir de peindre."
Fragonard, dont le charme des sujets "inquiète toujours nos contemporains", fut, pour
Jacques Thuillier, un grand précurseur de la peinture moderne, "soucieuse de détacher l'intérêt de la représentation pour le reporter sur la matière picturale."
L'écrit consacré au cycle "Marie de Médicis" de Rubens apporte un éclairage sur une série plus connue que réellement appréciée, destinée au Palais du Luxembourg. À l'aide de documents parfois inédits, retour sur les circonstances et les enjeux politiques de la commande. le peintre d'histoire et courtisan y a représenté "moins une reine qu'une héroïne".
L'ouvrage inattendu sur Bastien-Lepage, propose une émouvante synthèse, comme un plaidoyer, sur un peintre mort à trente-six ans. Courte carrière qui eut une influence jusqu'au XXe siècle dans le style du réalisme socialiste. Il était l'ami de
Marie Bashkirtseff, elle aussi tôt décédée.
Remerciements aux Éditions Faton pour cet ouvrage de qualité et à Babelio pour l'opération Masse critique rondement menée.
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