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sur 909 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Tôt ce matin, ou était-ce très tard dans la nuit hier soir, lorsque j'ai lu le chiffre 298 sur la page de gauche que je finissais de lire, et que d'un coup d'oeil acéré, j'ai vu seulement une dizaine de lignes sur la page de droite, j'ai compris qu'il me fallait devoir abandonner Janina Doucheyko à son triste sort dans la forêt primaire de Byałowieża, en compagnie des bisons, des chênes séculaires, et des tourbières.
Une grande tristesse m'a alors envahi, chassant définitivement le sommeil, je ne voulais qu'une seule chose : continuer à déambuler entre les maisons de Luftzug en compagnie de Madame Janina, de ses Petites Filles, des fantômes de sa mère et de sa grand-mère, de Matoga, de Dyzio, de Bonne Nouvelle, de l'écrivaine, mais cette chose était désormais impossible, et je n'aime pas rebrousser chemin. J'étais arrivé au mot FIN.
Vous l'aurez compris, je me suis carrément vautré dans ce roman.
Thriller, élucidations de meurtres, humour polonais, suspens, poésie de Blake, hiver glacial, été continental, nature et découverte, chasse et meurtres, oui certes, il y a tout cela dans l'histoire, mais tellement plus.
Madame Janina, comme elle déteste qu'on l'appelle, est un personnage plus qu'attachant, elle vous colle à la peau. Cette ancienne ingénieur a construit des ponts en Syrie puis, s'est retirée dans cette région de Kłodzko en basse Silésie, près de la frontière tchèque, où elle a acheté une maison.
Luftzug compte seulement trois habitants en hiver : Janina, Grand-Pied et Matoga. Les autres rejoignent la ville pendant la saison froide.
Janina recherche la solitude, ou plutôt non, elle a horreur de cette solitude de la société contemporaine, celle où l'on se retrouve seul parmi la multitude, parce qu'on ne peut pas réellement échanger avec les autres. Et solitude pour solitude, elle préfère la vraie solitude. Sa seule compagne est alors la nature et ses compagnons les animaux. Pas d'orgueil chez elle, ou de certitudes qui rendent les êtres invivables, encore moins de mépris pour ses contemporains.
Elle les observe, les comprend et, c'est vrai, les classifie en leur donnant des surnoms affectueux, Grand-Pied par exemple, ou Bonne Nouvelle pour la gérante du magasin de fripes qu'elle fréquente.
Seuls deux habitants échappent à ses patronymes chaleureux :
« Ils s'appellent Dupuits. Je me suis longtemps demandé s'il fallait leur inventer un surnom, mais finalement j'ai renoncé, car c'était l'un des deux cas que je connaissais où le nom de famille collait parfaitement à la personne qui le portait. (...) Il s'appelle Glaviot - et c'est précisément le deuxième cas où le nom convient parfaitement à celui qui le porte.»

En dehors de ces travers, Janina est un personnage reconnu de la communauté :

Elle assure la surveillance des maisons des habitants partis à la ville pendant l'hiver :
« J'essaye de faire le tour des propriétés deux fois par jour. Il faut bien que je surveille Luftzug, puisque je m'y suis engagée. J'inspecte une à une chaque maison qui m'a été confiée, et pour finir je grimpe sur la colline embrasser d'un seul regard l'ensemble du plateau.»

Donne des cours d'anglais aux élèves de l'école du village :
« A peine m'étais-je garée devant l'école que déjà mes élèves accouraient vers ma voiture - tous étaient en admiration devant la tête de loup collée sur la portière avant du Samouraï. ils m'emmenaient ensuite dans la classe en babillant gaiement, en parlant tous en même temps, en me tirant par les manches de mon pull. »

S'adonne à l'astrologie, observe Vénus :
«Le soir, je regarde Venus en observant avec attention les métamorphoses de cette belle Demoiselle. Je la préfère en astre vespéral, quand elle semble surgir de nulle part, comme par magie, avant de suivre le soleil dans trajectoire déclinante. L'étincelle de la lumière éternelle. C'est à la tombée du jour que se produisent les choses les plus intéressantes, car alors les différences s'estompent. Je pourrais très bien vivre dans un crépuscule sans fin. »

Dresse des cartes du ciel si vous lui donnez votre date, votre lieu et votre heure de naissance :
«Durant toutes ces années, j'ai récolté mille quarante-deux dates de naissance et neuf cent quatre-vingt-dix-neuf dates de décès, et je continue à mener mes petites investigations. C'est un projet qui ne bénéficie d'aucune subvention de l'union européenne. Conçu dans ma cuisine.»
«Maintenant, je peux le dire ; je ne suis pas une bonne astrologue, hélas ! Mon caractère possède une particularité qui brouille l'image de la répartition des planètes. Je les observe à travers mon angoisse et malgré une apparente sérénité d'esprit, que les gens m'attribuent dans leur grande naïveté, je vois tout en noir, comme à travers une vitre fumée.»

Chaque week-end, elle reçoit chez elle Dyzio, un de ses anciens élèves qui s'est pris de passion pour le poète William Blake et s'est mis en tête d'en faire la traduction en Polonais.
«C'est le plus célèbre poème de Blake. Impossible de le traduire sans en perdre la rime, la mélodie, le laconisme enfantin. Dyzio avait plusieurs fois essayé, et c'était comme résoudre une charade. »

Et par-dessus tout, elle adore la Tchéquie :
«Dans mon demi-sommeil, je repensais aussi à la Tchéquie, je revoyais la frontière et, derrière elle, ce beau et doux pays. Là-bas, tout était baigné de soleil, doré de lumière. Les champs respiraient paisiblement au pied des montagnes de la Table, qui n'avaient sans doute été créées que pour embellir le paysage.»
Mais si Janina est un personnage reconnu dans la communauté, on lui demande surtout de rester à sa place, de se cantonner au rôle d'originale un peu dérangée qu'on lui accorde, non sans générosité.

Lorsqu'elle se met en tête de vouloir régler certains problèmes de voisinage, dont la disparition de ses chiennes, en s'adressant à la police, elle ne reçoit en échange qu'un silence irrévérencieux et gêné, ou alors quelques sarcasmes dissimulés sous l'habit d'une politesse excessive.
«De nouveau, ils ont échangé des regards entendus, puis l'homme a pris lentement un formulaire.»
Mais Janina reste fidèle à sa ligne de conduite dans la vie :
«D'un autre côté celui qui ressent de la colère, mais qui n'agit pas, engendre la pestilence. C'est ce que dit notre Blake.»

Malgré les conseils de son ami Dyzio :
Pourquoi tu parles à tout le monde de ces animaux ? Personne ne te croit de toute façon, les gens te prennent pour...pour...a-t-il bégayé.
Pour une toquée, c'est ça ?
Oui, exactement. Qu'est-ce qui te prend de raconter ça ?

Janina persiste....

C'est dans ce contexte que des morts à répétitions surviennent : Grand-Pied disparait suite à un banal accident, mais il y a suspicion de meurtre pour le Commandant - chef de la police, et le Président - un ancien député, «habitué à diriger», et d'autres...

L'enquête piétine et Janina persiste à harceler la police pour proposer sa théorie à base d'astrologie et de vengeance des animaux, s'appuyant sur des exemples de procès d'animaux en France au Moyen-Age...

Elle est entendue par la police :
- C'est qui, le Samouraï ? me demanda le policier.
- Un ami, répondis-je, conformément à la vérité.
- Son nom, s'il vous plait.
- Samouraï Suzuki.
Il sembla décontenancé, alors que son collègue esquissa un sourire en coin.

Au fond, «Sur les ossements des morts», n'est pas un roman policier, il raconte l'incertitude de la relation sociale, la loterie du voisinage, la difficulté à communiquer avec l'autre, les risques contenus dans l'affirmation de sa vérité ou de la vérité, l'impossible remise en cause de la bien-pensance, le poids de la religion, la glorification de la chasse, les argumentations jésuitiques, la recherche du compromis, l'indifférence, le manque d'empathie des êtres vivants entre eux, la fuite devant la compassion.
En écrivant cela, il me vient cette idée : Janina évoque, en creux, l'héroïne de J.M Coetzee, Elizabeth Costello.
Dans sa conférence sur la vie des animaux, elle exprime ses doutes sur une civilisation qui, dans le même temps qu'elle proclame haut et fort les valeurs universelles de son humanisme et de ses « lumières », fait souffrir les animaux, pratique sur eux des expérimentations médicales, les élève à seule fin de s'en nourrir.

Mais Janina Doucheyko n'est pas Elizabeth Costello. le discours de la romancière reconnue et bardée de prix prestigieux est accepté, reçoit même des louanges ; on sait qu'il ne sortira pas des salons éclairés, des amphithéâtres des universités et des studios de télévision.
Janina elle, est dans l'action au quotidien, elle veut que ce discours devienne réalité, et c'est là que les ennuis commencent.

«En contemplant le paysage noir et blanc du plateau, j'ai réalisé combien la tristesse était un mot important dans la définition du monde. Elle se trouve à la base de tout, elle est le cinquième élément, la quintessence.»

«Pourquoi certaines personnes sont-elles mauvaises et viles ?» lance son ami Boros alors qu'en compagnie de Dyzio, ils écoutent Riders on the storm des Doors...
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Je n'ai lu d'Olga Tokarczuk , prix Nobel de littérature, que " Les enfants verts", déjà très atypique. Une amie m'a offert celui-ci, que j'ai beaucoup aimé.

On retrouve le goût de l'auteure pour l'étrange, le fantastique. Cette histoire peut être vue, entre autres, comme une fable écologique prenant l'aspect par moments d'un roman policier.

En effet, la narratrice, ingénieure à la retraite pour le moins farfelue, originale ( j'ai adoré ce personnage!), découvre mort un voisin qu'elle n'aimait pas car il tuait brutalement les animaux de la forêt des Sudètes, région où elle réside, dans un hameau isolé.Il a avalé de travers un os de biche...

D'autres chasseurs meurent ensuite de façon suspecte. La narratrice a son avis sur les auteurs des crimes...Un avis très troublant. Mais chut! Je n'en dirai pas plus!

le lecteur est intrigué à la fois par le déroulement des événements, les questionnements sociétaux que cette histoire suscite, l'attitude déroutante, excentrique de Janina, et charmé aussi par la poésie particulière qui se dégage de ce livre fort prenant. A lire!
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Olga Tokarczuk nous amène dans les Sudètes polonaises, à deux pas de la frontière tchèque, auprès de Janina Doucheyko, une ancienne ingénieure, vivant seule, retirée dans cette région forestière. Elle se passionne désormais pour l'astrologie et le poète anglais William Blake et déteste la chasse, malheureusement très pratiquée dans ce secteur.

Il y a d'abord un braconnier qui meurt, étouffé par un petit os de son gibier, puis c'est au tour du Commandant de Police de mourir de façon bizarre. Janina extrapole l'idée d'une vengeance des animaux.

L'atmosphère d'étrangeté, presque de fantastique qui émane de ce démarrage m'a accroché tout de suite, la passion de Janina pour l'astrologie renforce le mystère, et en même temps, l'autrice décrit sa Pologne profonde avec beaucoup de sensibilité, on sent la neige, le froid, la cuisine locale, les sous-bois, la faune sauvage, les saisons, le temps qui passe. L'humour est en plus bien présent dans ce roman. le personnage de Janina est vraiment très attachant, on l'imagine parfaitement, décalée, un peu bourrue et pourtant généreuse et sensible. Olga Tokarczuk décrit justement cette sensibilité troublante, à fleur de peau, avec beaucoup de finesse, l'équilibre entre son esprit pratique et ses croyances dans l'univers fantastique restent toujours crédibles, ses contradictions font partie du personnage, et c'est ce qui fait la force de ce roman.

L'intrigue policière ne reste qu'un prétexte, c'est ce qui nous amène vers une fin logique, que cependant j'aurais presque préféré plus ouverte, mais ça, c'est une question de goût. Pour moi, l'intérêt se situe surtout dans l'invention du personnage, dans la description de l'atmosphère de cette région, et dans ce qui émane des réflexions parallèles : c'est en réalité un roman sur la vie, la mort, le rapport à la nature, et bien d'autres choses encore…

Bise affectueuse à celle qui m'a suggéré cette lecture qui a dû, j'imagine, beaucoup s'enthousiasmer pour Janina.
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Mais que se passe-t-il dans le village de Luftzug ? Ce petit hameau de sept maisons, avec seulement trois résidents permanents, voit sa tranquillité troublée par un sordide incident : Grand Pied est mort. C'était le voisin de Jenina Doucheyko et le surnom qu'elle lui avait donné…
C'est tout elle d'ailleurs, de donner des surnoms à toutes et à tous : Samouraï sa voiture, Bonne Nouvelle la gérante de la friperie, Matoga son voisin ou Manteau Noir le policier…
Janina n'aime pas plus son propre prénom d'ailleurs, l'identité de chacun est autre pour elle, cachée, et ne demande qu'à être révélée. Par l'astrologie peut-être ? C'est son violon d'Ingres, et l'observation aussi, mais pratiquée avec une grande liberté d'esprit. Alors elle est souvent prise par les gens du village pour une excentrique, une vieille femme fantasque.
Pourtant, elle a été ingénieure Janina, puis enseignante. Elle gère l'entretien des maisons inoccupées et voue une passion véritable pour les animaux. Elle n'hésite d'ailleurs pas à écrire régulièrement aux autorités pour dénoncer les exactions des chasseurs et braconniers du coin, sans obtenir de réponses…
Lorsqu'une deuxième mort suspecte survient au hameau, la police reste perplexe mais pas Janina, sa théorie est claire et sans détour : ce sont les animaux qui se vengent. Et leurs victimes l'ont bien cherché !

Dire que j'ai failli passer à côté de ce magnifique roman ! Pour une raison futile : le titre m'avait paru obscur et sombre, me laissant imaginer un roman de cet acabit. Erreur qui aurait pu être fatale, liée à ma méconnaissance des poèmes de William Blake dont le titre est inspiré et qui ponctue le roman, pour le plus grand plaisir du lecteur.
Il ne s'agit pas là vraiment d'un policier, car on est à la marge du fantastique. le moteur du livre est d'ailleurs moins dans la découverte du (des) coupable(s) que dans le cheminement des réflexions et des convictions de Janina, sur l'astrologie, la cause animale ou la justice.
Séduite par le personnage, je l'ai suivie avec plaisir dans sa folie douce, ses pérégrinations mentales, et ce, jusque la dernière page. Et même si des questions se posent une fois le livre terminé et reposé, c'est une réflexion qui s'amorce et non un jugement à porter. Là réside le talent d'Olga Tokarczuk, indéniablement.

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Roman étonnant de l'auteure nobélisée en 2020, un polar avec astrologie et activisme végétarien.

Une femme vit dans un chalet dans la montagne, elle veille sur les chalets des estivants. Lorsqu'une nuit un voisin décède subitement, il semble avoir été étouffé par un petit os. Mais elle et son voisin n'aideront pas à l'enquête car ils se sont empressés de nettoyer la maison et de rendre le défunt présentable. Qui voudrait être un mort malpropre ?

Si l'affaire peut être classée comme un simple accident, le dossier sera rouvert lorsque d'autres victimes seront trouvées dans le secteur, des morts étranges, inexplicables. Serait-ce la vengeance des animaux tués pour le simple plaisir de la chasse ? À moins que les morts ne soient inscrites dans le thème astral des victimes ?

Un polar avec une belle qualité d'écriture et une fine observation du monde, un roman qui m'a plu, même si j'ai trouvé un peu longues les divagations astrologiques de la narratrice.

Je retiens ces mots qui sont tout à fait dans l'air d'actualité car il fait -20°C de l'autre côté de ma fenêtre…
*Les matins d'hiver sont faits d'acier, ils ont un goût métallique et des bords acérés. Les mercredis de janvier, à sept heures du matin, on voit bien que le monde n'a pas été créé pour l'homme, et certainement pas pour son confort et son plaisir. (Libretto, p.125)
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"Conduis ton char et ta charrue par-dessus les ossements des morts". William Blake.
Peut-on vraiment parler de roman policier pour ce roman avant tout introspectif et poétique? On oscille entre cauchemars et réalité auprès de Janina Doucheyko qui vit dans un petit village isolé dans un paysage idyllique. En effet, depuis peu, des hommes influents de la ville, tous chasseurs, sont sauvagement assassinés, et notre héroïne est persuadée que ce sont les animaux de la forêt qui ont décidé de se venger, à son grand soulagement. L'atmosphère se fait sourdement angoissante au fur et à mesure du récit que nous livre la vieille dame, que l'on apprend à connaître par bribes. Un peu brute et sauvage, elle se révèle aussi être généreuse et très sensible dès que l'on parle d'animaux maltraités, elle qui a perdu il y a peu ses deux "Petites filles", ses deux chiennes qu'elle aimait comme si elles étaient ses enfants.
Ces événements la rapprochent peu à peu de son voisin encore plus taciturne qu'elle et d'autres habitants aussi "inutiles qu'eux", entendez par là des personnes un peu marginales qui vivent pour vivre et non par ambition.
C'est ma deuxième lecture d'Olga Tokarczuk et vraiment j'aime son écriture, sensible, ensorcelante et ironique. Un vrai coup de coeur.
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Ce roman, qui m'a été chaudement recommandé, a été à la hauteur de sa réputation: il est gé-ni-al, et tellement addictif que, commencé au matin, je n'ai pu le quitter avant la fin. L'intrigue est digne des meilleurs thrillers, et menée tambour battant quoiqu'avec une grande délicatesse et une "inquiétante étrangeté". S'y ajoutent la personnalité inracontable de la narratrice, et une description splendide de la Nature, à la fois familière et hostile. Une réussite!
Traduction réussie aussi, de Margot Carlier, qui rend parfaitement l'humour subtil de l'écriture.
Challenge Nobel
LC thématique de novembre 2021 : "Faites de la place pour Noël"
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"Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi"

Sont-ils craintifs dès qu'ils se mettent à marcher en terre désolée, en randonnée, ceux qui n'adressent pas ce psaume à Dieu ? Peut-être évitent-ils de se rendre dans la vallée de l'ombre de la mort ... Surtout les dimanches, lorsque des chasseurs rôdent dans les campagnes. Or, étant tous mortels, nous y sommes tous, sur le chemin de la mort ... Alors craignent-ils le mal ceux qui ne sont pas accompagnés sur cette voie ? Se rassurent-ils en présence de leur famille, amis, voisins, animaux de compagnie ? Adressent-ils ce psaume du coup, à leur famille, à leurs amis, voisins, animaux de compagnie, plutôt qu'à Dieu ? Et pourquoi pas adresser ce psaume à ceux que nous aimons et/ou craignons, comme c'est le cas de ceux qui l'adressent à Dieu ? Et pourquoi ne pas adresser ce psaume à son chien ? Pensez-vous que le chien que vous promenez vous défendra de la présence des chasseurs ou préviendra seulement les chasseurs de s'en prendre à vous ? Après, il est tout à fait possible que vous ne craigniez rien lors de vos promenades, randonnées, peut-être ne craignez-vous pas le mal, peut-être n'y croyez-vous pas ? Ni au bien, ni au mal ? Dans ce cas, vous pourrez sans doute lire ce roman sans trop vous poser de questions et sans avoir peur de vous promener le dimanche matin même lorsque la chasse est ouverte ...

PS : je décline toute responsabilité si je contribue malgré moi à l'hystérisation des débats qui ont cours ces temps-ci sur la question de la chasse ; je décline aussi toute responsabilité quant à l'interprétation qui peut être faite par les défenseurs des animaux de mon déclin de responsabilité, et je décline enfin toute responsabilité pour le lapin fraîchement chassé qui se trouve dans mon régriférateur.
Merci de ne pas m'assassiner, car je ne suis en aucun cas responsable, ayant bien décliné ma responsabilité.
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Un cerf magnifique nous fixe du regard dans la forêt brumeuse: Est-ce une posture de défi ou bien une invitation ?
J'ai choisi de le suivre pour accompagner Janina Doucheyko pendant toute une année dans son hameau des Sudètes, tout prés de la frontière avec la Tchéquie. J'ai bien fait de suivre ce cerf....car j'ai passé d'étranges et doux moments féériques, poétiques et surréalistes. En compagnie de Janina/Olga je suis entré un univers singulier où se perdre est aussi l'occasion de mieux se retrouver.
Janina m'a présenté à Matoga, son plus proche voisin tandis qu'un manteau de neige ouatée infiltrait nos esprits . Janina surnomme les gens , elle ne s'intéresse pas à leurs noms compliqués. Par contre elle a absolument besoin de leurs dates et heures de naissance. L'Astrologie est une des colonnes de son trépied éthique avec la typologie ( jungienne) et la poésie ( Elle traduit William Blake) . Elle travaille comme factotum du petit hameau et enseigne un peu l'anglais. Avant, elle construisait des ponts....
Puis nous avons fait connaissance avec Grand Pied (enfin c'est une façon de parler puisqu'il était déjà à peu prés mort), son pote et élève Dysio, l'entomologiste Boros, la gentille relookeuse Bonne Nouvelle et l'étonnant Honzo. Tout ce petit monde va inter-agir au fil des saisons et des cadavres en série.
Olga Tokarczuck nous plonge dans un conte délicieux et cruel , vrai-faux polar mené de main de maitresse.Elle y déplie audacieusement l'essentiel de ses combats. Olga/ Janina est désopilante et merveilleusement excentrique . Elle se range du coté des oubliés et des marginaux de la Pologne contemporaine (le livre a été écrit en 2009) et s'engage dans une écologie radicale. La profonde originalité du roman est l'inter-face mouvante
entre réalité et fantasmagorie, contes et récits de vie, ésotérisme et pragmatisme. Elle navigue avec dextérité dans un monde liquide ( dont le chantre est son compatriote Zygmunt Bauman)
Et puis elle a tout un tas de petites théories succulentes, souvent très très drôles :
-Matoga souffre d'"Autisme testostéronien"
-Le Commandant à l'évidence avait l'habitude de diriger, de faire obéir les autres, et il se mettait facilement en colère. Type" jupitérien".
-L'esprit de Grand Pied,libéré de la matière, opére un "divorce métaphysique".
_"La tristesse est un mot important dans la définition du monde. Elle se trouve à la base de tout, elle est le cinquième élément, la quintessence."
-"Ici dans le monde d'Urizen, s'exerce la loi. C'est une loi stricte ,elle ne connait ni pitié ni exception aucune.
Et cette petite merveille:
"Est-ce que tu es croyant? Oui, m'a-t-il répondu avec fierté. Je suis athée."

Mention spéciale pour la scène du bal des amateurs de champignons où Janina se déguise en méchant loup accompagné par le grand Matoga déguisé en Chaperon rouge. le chapitre est désopilant.
J'ai beaucoup aimé ce livre, le plus accessible de l'auteure, parait-il.
Olga Tokarczuk partagea le Nobel en 2018 avec Peter Handke. Cette décision a été très polémique , Handke ayant pris position pour la Serbie pendant la guerre des Balkans. A l'aune des évènements actuels elle apparait presque cruelle.
Un immense merci aux babélionautes qui , à l'instar du grand et beau cerf de la couverture, m'ont permis d'enter dans le monde magique et engagé d'Olga Tobarczuk.
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🦌Chronique spéciale #marsaufeminin 🦌

« Puisqu'il existe un ordre de la naissance, pourquoi n'y aurait-il pas un ordre de la mort? »

L'ordre existe, il suffit de regarder les étoiles, mais Sur les ossements des morts, en est-il de même? Janina Doucheyko est férue d'astrologie, et en regardant les astres et les planètes, elle peut établir selon des calculs précis, les événements à venir. Constater l'évidence de la mort brutale d'un tel ou d'un tel, en tirer des conclusions, et remettre de l'ordre au milieu du chaos humain. Janina est fascinante. C'est une héroïne qui ne s'oublie pas, parce que justement elle perturbe « l'ordre » établi. En colère, rebelle, sensible, compatissante, aimante, elle a évidemment tout pour me plaire, et bien plus encore. Dans ce monde d'hommes taiseux et passionnés de chasse pour la plupart, elle est loin de faire l'unanimité. Dans ce monde d'hommes, elle est vite rejetée, dévalorisée, discréditée. Et parce qu'elle les bouscule, hurle, écrit, désapprouve, observe, combat, elle va profondément les déranger…Pour notre plus grand plaisir!

« Et soudain tout m'a semblé voilé d'une infinie tristesse, difficile à supporter… »

Janina est une femme sensible. Sensible à l'environnement, à la poésie, au bien-être animal. Être une femme sensible, c'est avoir le pouvoir d'entendre de voir de toucher de goûter de sentir le monde. de faire un, avec ce qui l'entoure. La nature, la faune et la flore. C'est comprendre que tous les êtres vivants sont nécessaires à cette planète. Être sensible, c'est supporter toute la tristesse du monde face à la cruauté des hommes. Ces hommes qui tuent, arrachent, massacrent la richesse de la biodiversité. Mais peut-être qu'un nouveau jour s'est levé, dans cet hameau des Sudètes…Peut-être que le monde animal, ourdit -enfin-, une vengeance mystérieuse…Peut-être que Sur les ossements des morts, l'infinie vérité sera immensément joyeuse, la poésie trouvera son paradis, et les biches, leur havre de paix, mais en ces pages, c'est la tristesse qui nous lie. La tristesse de ne pouvoir aider et soutenir cette femme seule et désespérée, contre l'acharnement de certains, à tuer le Vivant…

« Le mystère, j'ai toujours aimé ça. »

Et moi, également. Et dans ce livre, tout est mystère et beauté. Comme on tourne les pages, on se laisse littéralement envoûter par la plume sublime de Olga Tokarczuk, l'ambiance électrique et l'intention engagée eco-féministe, qui se dégage de ce roman noir hypnotique. C'est poétique et vibrant. Tellement intense. Presque sensoriel. Interconnecté. Intraconnecté. L'hiver nous saisit autant que la douleur omniprésente. Il y a comme un moment en suspens. Une aspiration. Même notre respiration est ralentie, l'oeil plus attentif, le corps aux aguets. Comme une biche, aux abois, dans une clairière. Peut-être parce que j'avais assurément un penchant tendre envers cette dame de caractère, peut-être parce que j'ai aussi à coeur, la cause animale, peut-être parce que la poésie rayonne merveilleusement dans cette froidure, je voulais vous dire, sans mystère ni chemin de traverse que, Sur les ossements des morts, est un coup de coeur énorme. Une révélation. Un moment-extase…

« Car si le mal avait créé le monde, le bien devait l'anéantir. »
Lien : https://fairystelphique.word..
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