C'est avec ce livre que j'ai choisi ironiquement de perdre ma virginité toussaintienne et, quand on me l'a mis entre les mains (le livre), j'ai noté avec amusement que l'auteur devait se considérer maître d'art en la matière pour proposer "
faire l'amour" en seulement un peu plus de 100 pages, qui plus est, écrit en gros caractères. Force est de constater qu'avant la fin du roman, il m'avait mené dans un paroxysme d'émotions, néanmoins assez contradictoires, me faisant passer en un instant des larmes à l'exaltation et de l'exaltation à l'accablement.
J'ai aimé l'écriture precise et piquante de Toussaint, ses envolées poétiques souvent ponctuées par une grossièreté, comme s'il ne fallait pas les prendre au sérieux, pas plus que son personnage qui frôle parfois le pathétique.
Oui, j'ai été atteinte par les larmes contagieuses de Marie, arme invincible pour faire fondre les hommes qui croient ainsi les femmes fragiles, et pourtant quelle erreur ! Marie est aussi forte que belle, femme d'affaires impitoyable et unique maîtresse de son corps et de ses desirs. On sent l'admiration du narrateur pour cette femme exceptionnelle qu'il a néanmoins choisi de ne plus aimer, les raisons sont obscures, et la rupture concerne vraissemblablement davantage la vie du couple que l'amour qui le lie.
L'exaltation à la lecture de la justesse de quelques passages entrant en résonance avec des situations personnellement vécues, certains sonnant comme des vérités universelles : " je ne pouvais que m'incliner devant la lucidité de son jugement, même si j'aurais préféré faire les mêmes constatations moi-même, car on allège toujours la cruauté d'un constat par la satisfaction d'en établir soi-même la pertinence", d'autres comme des situations très intimes où même les paroles sont de trop " elle n'en avait rien à foutre de mes mots et de mes raisonnements, ce qu'elle voulait, c'était un élan du coeur, l'élan de mes mains et de ma langue, de mes bras autour de ses épaules, mon corps contre son corps. Je ne l'avais pas compris, ça ? " finissant par se rabattre vers la puissance des écrits " je t'ai écrit une lettre, mon amour, me dit-elle".
Toussaint retranscrit avec brio les effets hallucinatoires de la fatigue poussée à l'extrême, les vertiges liés aux secousses sismiques et à la dérive des sentiments, les insomnies provoquées par le jet lag et les incertitudes, la perte de pédales que peut nous infliger l'autre : " je ressortais de la cabine, bouleversé, infiniment heureux et malheureux. Avec elle, en cinq minutes, je ne savais plus qui j'étais, elle me faisait tourner la tête, elle me prenait la main et me faisait tourner sur moi-même à toute vitesse jusqu'à ce que ma vision du monde se dérègle, mes instruments s'affolent et deviennent inopérants, tous mes repères étaient brouillés, je marchais dans l'air glacé de la nuit et je ne savais pas où j'allais, je regardais l'eau noire briller à la surface du canal et je me sentais happé par des pulsions contradictoires, exacerbées, irrationnelles". Quel gâchis de mettre fin à une relation d'une telle intensité !
L'accablement de constater le poids des occasions manquées dans une vie, les conséquences désastreuses d'un désir inassouvi, d'un baiser qui ne vient pas, d'un coup de fil loupé, réorientant définitivement la trajectoire des individus concernés.
"
Faire l'amour" un livre triste, émouvant, beau, dans un ordre que je ne saurais pas définir et qui doit dépendre de l'état d'esprit dans lequel on l'aborde. A force de l'analyser, je ne sais plus trop quoi en penser mais je lirai avec grand plaisir les tomes suivants.