Chaque photographie d'
Antonio Turok est une insolence donnant à voir et à entendre, de toute urgence, la vérité humaine. Pour dire la discordance du monde. Pour abolir, au hasard minutieusement travaillé d'un clair-obscur, le silence des hommes et des paysages que nous avons fait taire. Et sur un instantané dérobé au mutisme, donner à entendre, enfin, comme on offre la parole.
Pour dire qu'au détour d'un soleil mourant de son éclipse, une aile d'oiseau de mauvais augure a silencieusement raturé la multitude indigène privée de mot et de regard.
Pour dire la désespérance aphone de ces silhouettes noircies de clandestinité, franchissant la frontière barbelée du dollar, le dos éternellement mouillé.
Pour dire la beauté obstinée d'une femme sculptée dans sa résignation, feuilles de coca enflant sa joue pour apaiser cinq siècles de paludiques frissons.
Pour dire aussi la joie impertinente d'un regard trisomique, adossé à la palissade de sa pauvreté, et l'élégance effrontée d'un couple de nains en costume de communiant, indifférents à la crasse du trottoir sur lequel ils ont assis leur infirmité.
Pour dire encore que la perspective sait s'imposer incommensurable le long d'une rue inondée, coiffée d'un ciel meurtri qui, déjà, maudit les passantes survivantes.
Pour dire que l'esthétisme d'un contraste et la perfection d'une lumière se cachent aussi dans le fil d'or brodé du linceul couvrant les épaules décharnées des combats perdus d'avance.
Pour dire enfin que photographier, c'est faire le choix artistique d'être à jamais sur la ligne de feu de notre plus intime humanité. C'est faire chaque fois acte de création, comme on décide d'être face au soldat inconnu, objectif contre mitraillette, et tirer le premier.
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