Il y a longtemps que je n'étais pas allée faire un tour Moyen-âge -hormis en zappant sur les chaînes détenues par Saint-Vincent Bolloré ou en tombant sur les propos d'un certain polémiste en train de vendre son livre ou de briguer l'Elysée, on ne sait pas trop- , et cela me manquait un peu. Heureusement "
La Dame de Blackingham" m'a offert l'occasion d'y retourner pour mon plus grand plaisir.
Direction l'Angleterre, donc, et le quatorzième siècle.
Nous sommes en l'an de grâce 1379.
Lady Kathryn, veuve de fraîche date, administre tant bien que mal le domaine de Blackingham que son époux tenait de son père à elle. Pour cette femme d'apparence un peu froide, un peu hautaine, la tâche n'a rien d'aisée. Entre l'intendant du domaine qui refuse de se soumettre à l'autorité d'une femme, le clergé qui ne cesse de la taxer jusqu'à l'étrangler, le shérif qui veut la contraindre à l'épouser (le consente... quoi?) afin de s'emparer de ses biens, elle ne s'en sort pas, pas vraiment. C'est à peine si elle peut compter sur ses fils, des jumeaux encore adolescents aussi différents l'un que l'autre que possible: quant Alfred est le digne fils de son père, jouisseur et violent, Colin, lui, est doux comme un agneau et passe son temps sur son luth quand il ne prie pas.
Finn est un enlumineur renommé. Il arrive à Norwich sur les ordres de l'abbé de Broomholm qui, souhaitant voir sa bibliothèque posséder un fleuron aussi beau que celui de Kells, requiert ses services pour enluminer l'évangile de
Saint-Jean. Comme il est nanti de sa fille, seize ans et des yeux à se damner, il ne peut loger à l'abbaye... Moyennant finance, l'abbé entreprend donc de les loger à Blackingham.
Comme il fallait s'y attendre, c'est là que les ennuis commencent d'autant qu'aux intrigues personnelles des personnages - haine et jalousie, amours interdites- viennent s'ajouter les soubresauts de la grande Histoire, les querelles politiques, les bouleversements religieux, l'intolérance et la foi, l'âpreté de la vie des serfs qui ne mangent pas toujours à leur faim et celle des femmes aussi, la soif de pouvoir et la cruauté des prélats de l'Eglise, les écrits de John Wycliffe, ce méconnu précurseur de la Réforme...
Il en ressort un roman historique dans la plus pure tradition, mêlant personnages fictifs et personnages historiques, grands et petits événements et c'est absolument passionnant. Impossible de lâcher le roman avant de l'avoir terminé tant on est happé par ce qu'il conte, tant on se captive pour ce qui arrive aux personnages qui ont le bon goût d'être parfaitement imparfaits en ce qui concerne les premiers rôles et très attachants pour ce qui est des seconds rôles. Je pense à Mi-Tom, à Magda, à Agnès.
Par ailleurs, en sus de son aspect purement romanesque, "
La Dame de Blackingham" est un texte rigoureux, documenté qui donne à voir avec beaucoup de clarté une période historique complexe et troublée, qui ressort par exemple de l'oubli la figure intrigante, fascinante même de Julienne de Norwich (première femme de lettres à avoir écrit en langue "vulgaire", l'anglais ici) ou un penseur comme Wycliffe tout en nous immergeant avec talent dans la vie quotidienne de celles et ceux qui firent leur époque.
Certes, les histoires d'amour sont peut-être un peu attendues et on n'échappe pas à quelques clichés, surtout vis-à-vis des antagonistes de l'histoire, mais l'intrigue se défend et se défend bien: pas de mièvrerie à l'horizon, beaucoup d'amertume et de désenchantement et une fin... comme je les aime.