Un très grand
Jules Verne que je découvre enfin. J'ai 31 ans et j'ai commencé à lire les Voyages Extraordinaires à l'âge de 12 ans. Après le Tour du monde en 80 jours et
Voyage au centre de la Terre, j'avais voulu lire
l'île mystérieuse, l'un de ses plus grands chefs-d'oeuvre.
À l'époque, Internet n'était pas aussi répandu qu'aujourd'hui et je découvris in extremis que, pour lire
l'île mystérieuse, il fallait lire au préalable 20.000 lieues sous les mers. Un peu contrarié au départ de devoir changer mon plan de lecture, je contins ma frustration et découvris finalement avec un plaisir immense les aventures du capitaine Némo. Une fois cet autre chef-d'oeuvre terminé, je dévorai enfin
l'île mystérieuse.
Mais quelle surprise je n'eus pas en me rendant compte que cet incroyable ouvrage était le troisième tome d'une trilogie dont le second était, vous le devinez,
Les Enfants du capitaine Grant ! Trop tard, je fus spoilié du destin d'Ayrton, antagoniste imperturbable des Enfants du capitaine Grant. Pas grave, je lirai cette deuxième aventure après
l'île mystérieuse ... Grand naïf que j'étais!
Peut-être est-ce parce que
l'île mystérieuse m'avait rassasié ou que je n'avais plus de réel leitmotiv que j'ai mis plus de 15 ans avant de lire enfin cette incroyable histoire. Pourtant, je n'ai jamais arrêté de lire
Jules Verne. Pour tout vous dire,
Les Enfants du capitaine Grant est mon 30ème
Jules Verne et je ne compte pas en rester là.
Je n'écris pas de critique systématiquement sur tous les
Jules Verne que je lis, mais je tenais tout de même à raconter cette petite anecdote et aussi insister sur le fait que cette histoire est digne des plus grandes de son auteur. On pourrait croire que 20.000 lieues sous les mers et
l'île mystérieuse surpassent le Capitaine Grant, et peut-être aurions-nous raison. Cela dit, cette histoire est injustement méconnue par rapport aux deux autres.
Le scénario en tant que tel intègre tout ce qui fait une bonne histoire vernienne. Une intrigue excellente, des péripéties, du suspens, des rebondissements, de la légèreté et de l'humour, du savoir, un rythme soutenu et une conclusion magistrale.
Mais j'ai quand même UN SEUL BÉMOL que je ne peux m'empêcher de souligner. Bien que je fais systématiquement le travail de contextualisation d'époque, notamment quand
Jules Verne écrit et assume une certaine hiérarchie entre les hommes sur base de critères considérés aujourd'hui comme racistes, ce point-là, je l'accepte et parviens à garder sans problème la distanciation et le discernement nécessaire (lire l'oeuvre avec une paire de lunettes du 19ème siècle), je n'ai par contre pas réussi à trouver en moi suffisamment de recul au moment où, (attention je vais SPOILIER) vers la fin du livre, nos héros profanent en toute impunité le sacré, c'est-à-dire la tombe d'un guerrier d'une tribu néozélandaise qu'ils venaient de tuer quelques chapitres plus tôt.
Jules Verne n'hésite pas à ridiculiser les indigènes comme des superstitieux qui n'oseraient pas déloger les profanateurs (nos dits héros) sous peine d'une punition divine. Bon jusque-là pourquoi pas, mais l'écrivain enfonce encore plus le clou en décrivant nos protagonistes occidentaux en train de prendre un malin plaisir à railler cette ingénuité et en consommant impunément l'eau et la nourriture laissées par la tribu néozélandaise en guise d'offrandes pour leur guerrier mort sous le feu du pistolet occidental. Il y a là, je trouve, une cruauté qui n'était, selon moi, pas nécessaire de la part de
Jules Verne. Son imagination débordante aurait pu tirer d'affaire plus noblement nos héros plutôt qu'en usant de la profanation et la raillerie des croyances d'une autre civilisation.
Que
Jules Verne considère le peuple occidental comme supérieur, je lui concède bien volontiers, c'est encore une fois, un sentiment d'époque (contextualisation). Par contre, qu'il prenne tant à légère la divination de la mort et la façon dont elle est célébrée par une autre civilisation, je trouve là qu'une limite est franchie. Même en faisant un travail de recul, je ne parviens pas à trouver des circonstances atténuantes à l'auteur. Mais peut-être que je sacralise beaucoup trop le respect des morts, qu'importe les peuples auxquels ils ont appartenu.
Malgré ce petit bémol (qui représente, je précise, un chapitre sur tout le livre), je garde une expérience de lecture extraordinaire dont seul
Jules Verne à le secret. Il est difficile d'écrire plus de 900 pages sans qu'on y trouve rien à redire. Mais malgré cette exhaustivité et cette générosité, le sans-faute est presque accompli et c'est pour cette raison que je n'en tiens pas rigueur à l'un de mes auteurs préférés. Par conséquent, je conserve la note de 5 étoiles bien méritées pour cette incroyable histoire :
Les Enfants du Capitaine Grant !