Écolières, ex-photocopieuse, et tigres d'escalier pour cette 8ème enquête de Bobby Potemkine.
Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2016/11/13/note-de-lecture-un-oeuf-dans-la-foule-manuela-draeger/
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Il y a des journées qui sont comme toutes les autres, ou plutôt qui débutent exactement comme toutes les autres. Voilà ce que je me suis dit en me levant, ce jour-là. On n’a pas toujours l’esprit très aiguisé quand on vient d’abandonner sa couette et qu’on se dirige à tâtons vers la salle de bains. On ne pense pas toujours des choses très originales.
J’ai quitté le canapé sur lequel j’avais dormi, je me suis mis sous la douche et j’ai bougonné cette phrase :
– Bah, la journée va ressembler à toutes les autres…
J’imagine que ça vous arrive, à vous aussi. Vous êtes en train de vous toiletter le museau, vous êtes tout mouillé si vous êtes un garçon et toute mouillée si vous êtes une fille, et tout à coup, vous prononcez une phrase qui n’apporte rien à personne, pas même à vous.
En tout cas, pour moi, cette journée-là a commencé comme ça. Avec une phrase pas très originale qui n’apportait rien à personne, pas même à moi.
Depuis plusieurs semaines, je travaillais sur la même affaire bizarre, et l’enquête n’avançait pas. L’affaire de la douze millième Josette. Je n’arrivais pas à résoudre le problème et j’avais au contraire le sentiment qu’avec le temps l’histoire s’embrouillait de plus en plus. Je ne suis pas très doué en police, ceux et celles qui me connaissent le savent. Simplement, comme la police a disparu et que des événements étranges se produisent en permanence, il faut bien que quelqu’un se dévoue pour patauger dans le mystère ou l’affronter. Et ce quelqu’un, le plus souvent, c’est moi.
Big Katz a bougonné encore un moment, mais il a admis qu’il fallait agir. Il reconnaissait, lui aussi, qu’il n’était pas possible de laisser la nuit s’installer à l’intérieur de l’œuf avec Alfons Tchop et ne plus mettre le nez dehors. Pour lui aussi, qui s’entraînait depuis des années à flotter comme la lune dans le ciel nocturne, l’absence d’obscurité sur le monde rendait l’existence absurde.
Le livre que j’ai pris pour lire en attendant la tombée de la nuit était une histoire écrite par Manuela Draeger. Je ne sais si vous connaissez cet auteur. C’est important, tout de même, de savoir qui signe les livres qui vous font découvrir des mondes inconnus. Plus tard, vous lire des œuvres de Lutz Bassmann, d’Elli Kronauer, de Virginia Woolf, et, si tout se passe bien, d’Andrei Platonov, de Haruki Murakami ou de Maria Schrag. Et vous voyagerez loin, avec eux. Moi, ce soir-là, j’avais sous les yeux un petit roman de Manuela Draeger.
Lili Iomelli s’est installée dans le quartier il y a trois mois. Autrefois, elle travaillait comme photocopieuse dans une imprimerie où il n’y avait plus de machines, suite à un incendie. Sans machine, c’est difficile, la photocopie. Lili Iomelli devait tout faire elle-même, l’éclair lumineux, la fixation de l’encre sur le papier, le réglage du format, les recto-verso. Quand elle en a eu assez, elle est venue dans notre rue ouvrir un commerce de nourriture pour mouettes.
Ce n’est pas non plus très facile, le commerce, et les mouettes ne sont pas une clientèle idéale. Elles souillent le sol du magasin avec leur guano et elles poussent des cris assourdissants. Mais au moins, maintenant, Lili Iomelli ne s’use plus les yeux à comparer des originaux et des copies, et à faire des retouches au pinceau pour que tout coïncide impeccablement, tandis qu’en face d’elle des clients protestent parce que ça ne va pas assez vite.
Rencontre animée par Pierre Benetti
Depuis plus de trente ans, Antoine Volodine et ses hétéronymes (Lutz Bassmann, Manuela Draeger ou Eli Kronauer pour ne citer qu'eux), bâtissent le “post-exotisme”, un ensemble de récits littéraires de “rêves et de prisons”, étrangers “aux traditions du monde officiel”. Cet édifice dissident comptera, comme annoncé, quarante-neuf volumes, du nombre de jours d'errance entre la mort et la réincarnation selon les bouddhistes. Vivre dans le feu est le quarante-septième opus de cette entreprise sans précédent et c'est le dernier signé par Antoine Volodine. On y suit Sam, un soldat qui va être enveloppé dans les flammes quelques fractions de seconde plus tard, quelques fractions de seconde que dure ce livre, fait de souvenirs et de rêveries. Un roman dont la beauté est forcément, nécessairement, incandescente.
À lire – Antoine Volodine, Vivre dans le feu, Seuil, 2024.
Son : Axel Bigot
Lumière : Patrick Clitus
Direction technique : Guillaume Parra
Captation : Claire Jarlan
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