Peut-être eût-il été préférable que je découvre l'oeuvre de Robert Walser par le biais d'un autre livre que ces "Nouvelles du jour" qui est un recueil de très courts textes (une ou deux pages, guère plus) qui semble assez peu connu si j'en juge au nombre modeste de lecteurs qu'il totalise sur Babelio : sept en tout à ce jour, et nous sommes seulement deux à lui avoir attribué une note.
C'est du moins la réflexion que je me suis faite en découvrant les premiers textes du recueil qui me donnaient l'impression de pénétrer dans un espace (une cour, un jardin, un observatoire ?) où je n'étais pas invité et où il me manquait un guide pour comprendre où je me trouvais. Mais en littérature, "perseverare" n'est pas forcément "diabolicum" comme le prétend le proverbe. Bien au contraire, il arrive, dans le pays des livres, qu'un arbre dont les fruits cueillis sur les branches basses nous semblent très acides nous donne en ses branches plus hautes des fruits d'une saveur incomparable.
"Nouvelles du jour" ne vous donnera pas forcément une pleine corbeille de fruits délectables mais suffisamment pour ne pas regretter d'avoir forcé la porte de ce verger. Et l'on comprendra alors ce que l'auteur veut dire quand il écrit dans un des derniers textes du recueil (intitulé "Mes efforts") :
« Lorsqu'il m'arrivait occasionnellement, de scribouiller au petit bonheur, cela pouvait avoir l'air un peu saugrenu aux yeux des gens archisérieux; mais en fait, j'expérimentais sur le terrain de la parole, dans l'espoir que la langue recelait quelque vitalité encore inconnue que ce serait une joie d'éveiller. »
Et c'est aussi une joie, en tant que lecteur, de se laisser éveiller par quelques unes de ces surprenantes historiettes.
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Comme il passait devant les fenêtres d'une maison construite tout en verre, il resta cloué sur place, médusé par un spectacle étrange.
Il apercevait une femme jeune et belle, élégamment vêtue, qui sous les yeux des passants, assise sur un canapé, approchait de temps en temps le bord d'une tasse de ses lèvres. Sur la table se trouvait un livre ouvert. Sa physionomie semblait lui dire :
« Toi comme d'autres, vous attendiez beaucoup de l'avenir. Mais il n'est pas ce que vous vous étiez imaginé. »
Il poursuivit sa route, et partout il se heurtait à lui-même, et c'était à n'y rien comprendre.
(L'homme usé)
Pour le reste, je me sens assez bien, ici à Berne. Certes, je ne suis plus aussi indépendant ; pendant la journée, je travaille dans un bureau, ou plutôt, dans une espèce de salle voûtée, je compulse toute sorte de vieux actes, dossiers, lettres, rapports, ordonnances, j’établis des listes et tâche d’être à mon affaire, ce que je trouve tout à fait charmant, même si je dois un peu m’y forcer.
Le plus beau, c’est que j’ai bonne conscience. D’ailleurs, cette heureuse disposition ne m’a jamais fait défaut, que je sache. Je viens de perdre malencontreusement une belle dent saine, ce qui par bonheur n’est pas un grand malheur. Certes, je me promène en brèche-dent, dorénavant, mais je continue d’aimer le faire, surtout le soir après le travail, et le samedi après-midi.
Tout le monde sort, jeune et frais, et l’air est rond, gorgé de senteurs, et j’oublie tout, je redeviens celui que j’ai toujours été, je suis heureux et fais toutes sortes de petites rencontres sympathiques, j’appartiens au monde et le monde m’appartient, et le monde est vaste, et mon coeur l’est tout autant, quoiqu’il ne soit plus si jeune que ça.
Mais la jeunesse et la vieillesse, que sont-elles auprès de l’infini de la nature, que sont-elles auprès de cette idée exaltante, et de ce sentiment dans lequel toutes ces menues différences s’abolissent ?
Il était une fois une Elle et un Lui, plus un ahurissant méli-mélo de personnages secondaires qui, considérés d'un point de vue différent, eussent pu être des personnages principaux; mais cette fois-ci ils étaient secondaires, ce dont nous sommes navrés et ce pour quoi nous leur présentons nos excuses.
(Elle et lui)
A plus d'un égard, n'est ce pas ceux qui ne nous aiment pas qui nous font du bien, et ceux qui nous aiment qui nous négligent, ceux qui nous veulent du bien qui nous assassinent, et ceux qui nous négligent qui nous insufflent vie?
Soit dit en passant, je considère le renoncement, dans les choses de l'amour, comme étant parfois aussi raisonnable que carrément merveilleux.
Marion Graf présente le premier roman de Thilo Krause, "Presque étranger pourtant", qu'elle a traduit de l'allemand. Parution le 6 janvier 2022.
Un homme hanté par son enfance rentre au pays. Il y retrouve ses souvenirs intacts, les meilleurs comme les pires. Les allées de pommiers. le ciel immense. Les falaises de grès. Et Vito, l'ami d'enfance qui fut, dans un système asphyxiant, son compagnon d'apesanteur. Mais avec lui ressurgit le spectre de l'accident originel. Bientôt, la présence aimante de sa femme et de sa petite fille ne suffit plus à chasser le vertige. Des néo-nazis rôdent, une sourde menace plane, diffuse mais persistante. La nature échappe, se déchaîne. Quelle force pourra lever la chape de silence et d'hostilité ? le suspense subtil de ce roman place le lecteur au plus près du narrateur.
Thilo Krause est né à Dresde, en ex-Allemagne de l'Est, en 1977. Il est l'auteur de trois recueils de poèmes, tous primés. Presque étranger pourtant est son premier roman, lauréat du prix Robert Walser. Thilo Krause a l'art de traduire physiquement les émotions avec une précision et des images à couper le souffle.
https://editionszoe.ch/livre/presque-etranger-pourtant
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