Ce livre me frappe pour trois particularités: l'histoire vraie de la résistante française Annette Beaumanoir, le style d'écriture et le point de vue narratif de l'auteure franco-allemande
Anne Weber (née en 1964). Pour commencer par le premier : s'il est vrai que l'auteur a accidentellement croisé Beaumanoir alors âgée de 96 ans et a commencé à écrire l'histoire de sa vie, alors c'est un fait extraordinaire. Car la vie d'Annette ressemble à un film : jeune fille, elle a fait partie de la résistance française contre les nazis, a sauvé plusieurs juifs contre les directives de ses supérieurs communistes, a joué un rôle dans la résistance clandestine dans le sud de la France, et puis aussi une remarquable rôle dans la lutte algérienne pour l'indépendance contre la France, et les premières années après cette indépendance. L'auteur Weber décrit tout cela de manière très obsédante, mais aussi avec une certaine distance.
Et cela nous amène à la particularité la plus particulière de ce livre : il n'est pas écrit en phrases en prose, mais en vers libres. Ça parait un peu étrange au début, et il manque parfois la musicalité que vous attendez de la forme du couplet, mais cela fonctionne, en particulier dans les scènes d'action, qui obtiennent une sorte de effet saccadé. Et bien sûr, cela correspond à la nature épique de l'histoire.
Plus spéciale encore est la relation entre l'auteur et l'héroïne, du point de vue narratif.
Anne Weber est la narratrice omnisciente, avec une admiration manifeste pour Annette, mais aussi une distance critique. Dans une sorte de ‘voice off', ses vers parfois expriment une critique prudente de la position d'Annette : comment elle n'a pas vu comment la résistance était manipulée par de grands hommes (
De Gaulle, par exemple), comment elle n'a pas vu comment derrière la lutte Algérienne pour l'indépendance se trouvaient aussi des motivations financières (même par des antisémites), et comment elle est restée aveugle à la lutte de pouvoir entre les grands hommes après l'indépendance (Ben Bella, Boumedienne, Bouteflika, etc.). Et pourtant Weber indique aussi comment Annette avait un penchant naturel pour l'action et le danger, qui l'a même poussée à abandonner son mari et ses trois enfants. Mais Weber est doux pour Annette et précise que son engagement parfois risqué était fondamentalement idéaliste : sauver des gens, qu'ils soient juifs, algériens ou malades (Annette était médecin de formation), restant presque consciemment aveugle à la situation globale, et presque toujours en payant le prix. Ce faisant, elle a fait d'Annette une héroïne féministe contre son gré.
La lecture de ce livre était pour moi une expérience ambivalente : fascinée par le sujet, bien sûr, mais aussi aux prises avec le style d'écriture (en partie parce que je l'ai lu dans l'original allemand), et parfois aussi frustrée par le ton un peu trop moralisateur. Soit dit en passant : Annette Beaumanoir est décédée en mars de cette année, à l'âge de 98 ans.