Père je crois en toi
aussi évidemment
qu'en cet arbre solitaire
qui traverse mon regard
Mais
donne-moi d'apercevoir
quelque trace de ta bonté
n'importe où sur cette terre
où tout ce qui vit
ne vit que de meurtre
Ce matin
les nouvelles du monde
sont mauvaises
L'Afrique
dévorée par la famine
assassinée par le sida
l'enfant palestinien
tué d'une balle dans la tête
par un tireur d'élite
le vieux juif
mort de froid
sur un trottoir du Bronx
la chienne aveugle
qui croyait que c'était pour jouer
battue à mort par des enfants
et quoi d'autre
dans les poubelles débordantes
de l'aube
Père où es-tu
J'accepte mal
que ta bonté soit un mystère
Et pourtant je crois en toi
comme en cet arbre
que tu as créé à ton image
tout rugueux d'écorce qu'il est
et lisse et lumineux de feuilles
et qui prend forme de croix
et fait de mes yeux des oiseaux
SOLILOQUE DU VIEUX
Parler sans avoir rien à dire
comme dit Paul Eluard
et comme dit la chanson
Parler pour détourner la nuit
faire amitié avec les loups
décourager la pluie
intimider la mort
Parler pour couvrir
le bruit du temps qui passe
pour se raconter
des rêves que l'on n'a pas faits
pour donner la parole à l'autre
Parler pour se convaincre
que l'on existe encore
Le vieux entre dans la fable
Dormir à l'ombre d'un noyer rend fou
se répète le vieux qui sait cela depuis l'enfance
et que peut-être la folie
allait lui rendre la jeunesse
Il dort (C'est au pied de l'arbre
qu'on voit le dormeur)
Et c'est merveille qu'entre les feuilles
que le vent brasse
le vide prend la forme d'un oiseau
Et que l'oiseau grandisse
jusqu'à se confondre
avec le ciel immense
Autant dire disparaître.
Du fond d'un trou de mémoire
je regarde passer le ciel
où rien ne se passe vraiment
qu'un léger très léger frémissement
pareil au rêve inhabité
d'une eau dormante
Je cherche désespérément
le visage d'un mot nécessaire
qui se défaisant me défait
Il me reste la lenteur
obstinée de son refus d'être
Pour un peu de temps encore
le sillage d'une trace.
Ce matin
les nouvelles du monde
sont mauvaises