Poutine historien en chef

Ce petit livre est d'une richesse que ne laisse pas présager le nombre de ses pages (47 hors l'appareil de notes). Mais, et c'est le cas de plusieurs de ces opus de la collection "tracts" de Gallimard dont il me semble que le lancement récent a été une réaction éditoriale à l'arrêt de la publication de l'excellente revue "les débats", la densité du propos en font une source considérable d'information et de réflexion.
Le livre de Nicolas Werth, ce spécialiste bien connu de l'histoire de l'Union Soviétique, donne un aperçu très saisissant de ce qu'a été la recherche historique, l'enseignement de l'histoire, et la vision de leur passé par les populations, d'abord en Union Soviétique, puis lors de la perestroïka et ensuite en Russie après le démantèlement de l'Union Soviétique.
L'ouverture des archives, certes tempérée par la résistance de certains organes comme le FSB, successeur du KGB, avait conduit à une profusion de recherches et à un travail considérable de reconstitution d'un passé auparavant occulté, notamment sur les répressions gigantesques menées sous Staline, et dans une certaine mesure par ses successeurs, avec des études nombreuses sur les victimes de ces agissements.
Mais, à l'arrivée de Poutine, une reprise progressive en main se fait jour dans la recherche et de l'enseignement, qui se traduit à présent par un dirigisme très étroit, conforté par quelques lois mémorielles très sévères pour ceux qui souhaitent enquêter au-delà de la norme imposée. Elle se manifeste aussi par une mise au pas de l'enseignement, avec une marge de manoeuvre devenue très réduite dans la rédaction des livre scolaires, et par l'interdiction et la dissolution d'associations qui oeuvraient dans le champ de la mémoire, comme "Mémorial", qui comptait Sakharov parmi ses fondateurs.
L'étude de Werth établi un parallèle saisissant entre l'évolution de la vision répandue du passé Russe, et la mentalité collective, très pro-occidentale lors de la perestroïka, puis, devenue au contraire très anti-occidentale lorsque les immenses espoirs soulevés dans les populations ont été tragiquement déçus par une conduite désastreuse d'une économie gérée sans tenir compte des transitions qu'auraient nécessité le passage d'une économie totalement dirigée à des marchés totalement libérés.
Un livre très vite lu, mais qui apporte bien plus que ce que le nombre de pages restreint pourrait laisser penser.

Un essai très court et pourtant extrêmement intéressant, où l'historien Nicolas Werth détaille les transformations progressives de la société russe dans les domaines de la gestion des archives, du rapport à la mémoire et à l'histoire nationale et de l'évolution de l'appareil législatif.

Il rappelle à quel point le contrôle de la mémoire historique est un enjeu politique crucial pour Poutine, qui s'évertue à imposer un nouveau roman national réhabilitant la Russie tsariste et l'église orthodoxe, portant aux nues l'héroïsme de l'armée rouge durant la Seconde Guerre mondiale, et s'efforçant d'oublier la malheureuse parenthèse de 1917.

Après les ouvertures des archives soviétiques en 1991 et le renouveau historiographique sur les épisodes de famine, la terreur imposée par le régime et les déportations au goulag, la Russie rétropédale : création d'une commission présidentielle sur l'histoire en 2009, création d'une société d'histoire militaire, édition de nouveaux manuels scolaires, nouvelle loi restrictive envers les organisations « faisant fonction d'agents étrangers » en 2012, instauration des lois mémorielles en 2014, inscription de la protection de la « vérité historique » dans la Constitution russe de 2020 et apothéose avant la grande opération spéciale : dissolution de l'association Mémorial en décembre 2021.

Cette succession d'évènements montre à quel point le régime russe avait préparé un cadre historique et législatif afin de justifier et de museler toute critique à l'invasion de l'Ukraine, qui n'est pas sans lien avec une lutte d'idéologie, l'Ukraine ayant également adopté ses propres lois mémorielles en 2015 (qui interdisent entre autres toute négation publique du caractère criminel des régimes soviétique et nazi).

Une lecture aussi courte qu'instructive, qui rappelle que les précautions sont de mise chaque fois qu'une loi touche à l'histoire.

Nous avions l'habitude de parler de la seconde guerre mondiale, car “seconde” nous assure qu'il n'y a pas de troisème. Vladimir Poutine va sans doute devoir obliger les francophones à parler de la deuxième guerre mondiale parce qu'il met tout en oeuvre pour créer la troisième.

Son jeu est clair : il veut restaurer une Russie impériale, hégémonique, effacer l'humiliation de l'effondrement del'URSS et mettre au pas toute personne qui ne s'aligne pas sur ses vues. L'Ukraine n'est sans doute qu'une étape dans un plan plus global de cette ambition impérialiste.

L'essai de Nicolas Werth, pour bref qu'il est, n'en est pas moins de qualité et d'utilité. Son propos est rigoureux et nuancé. Il ne s'agit pas d'une réquisitoire à sens unique contre Poutine et ses délires. Il attire l'attention sur les occasions manquées de la décennie qui qui suivit l'effondrement de l'URSS. L'Occident a voulu promouvoir un hyperlibéralisme totalement innaproprié pour le contexte socio-économisons-politique russe de l'époque et n'a crée qu'une montagne de frustration concernant le pouvoir d'achat, la corruption et l'émergence d'une épouvantable oligarchie.

Poutine est arrivé à étouffer la société civile, à taire et emprisonner les combattants de la liberté, des droits humains et à faire disparaître l'Etat de droit.

L'ouvrage “Poutine, historien en chef” devrait être une lecture recommandée dans l'enseignement secondaire et supérieur.

Ce court texte d'un historien français de la Russie montre à quel point la réécriture de l'histoire par Vladimir Poutine a été essentielle pour justifier auprès de son opinion publique l'invasion militaire de l'Ukraine. Toute vision de l'histoire qui s'écarte de la vision officielle-qui glorifie la puissance d'une Russie éternelle enjambant les régimes tsaristes et staliniens-est désormais hors-la-loi. La défense d'une Russie définie en dehors de toute référence à la démocratie face à un occident agressif est dorénavant la seule position tolérée.

Ces petits ouvrages de la collection « tracts » sont décidément de très bonnes sources d'informations et de compréhension sur le monde qui nous entoure. Comment en sommes nous arrivé là ? Comment Vladimir Poutine arrive-t-il à déformer l'histoire pour parvenir à ses fins? C'est la question à laquelle Nicolas Werth répond en reprenant les bases de l'histoire et sa manipulation au sein de l'URSS jusqu'à nos jours. Un ouvrage dont la lecture ne peut qu'être conseillée !