"
Pourquoi être heureux quand on peut être normal" ? Telle est la phrase que s'entend dire
Jeanette Winterson lors de l'un de ses derniers échanges avec sa mère adoptive avant qu'elle ne soit obligée de quitter la maison familiale, et avec qui les relations sont loin d'être harmonieuses, équilibrées et heureuses, justement.
Avant de lire cet ouvrage, je ne saisissais uniquement dans cette phrase-titre que l'ironie qui la teinte, comme si
Jeanette Winterson voulait faire de son ouvrage un plaidoyer en faveur de son choix de vie et de sa tendance sexuelle (dont elle parle beaucoup, forcément) qui a été l'une des causes de sa rupture avec sa mère adoptive.
Or, si "
Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?" peut s'interpréter ainsi, ce livre est beaucoup plus que cela, surtout quand on apprend l'origine de cette phrase. Très dure à entendre, bien évidemment, elle donne un aperçu de la profondeur dramatique de la vie de
Jeanette Winterson, et de la force que celle-ci a dû témoigner pour se sortir de cette situation et avoir droit au bonheur (quitte parfois à tomber un peu dans la justification).
Cet ouvrage autobiographique s'écarte un peu de la tradition de ce genre en proposant de nombreuses réflexions de l'auteur sur la littérature anglaise (qui l'a sauvée de nombreuses fois du désespoir), la société britannique et la politique de l'époque, ce qui permet d'ouvrir un peu le sujet en élaborant un panorama de l'Angleterre des années 1980 et 1990.
Cette tranche de vie, qui décrit ses acteurs d'une manière très lucide (la cruauté et la violence d'une mère adoptive rongée de l'intérieur par un profond désamour de la vie et une obsession des Ecritures et de l'Apocalypse, un père adoptif faible, qui a laissé agir sa femme comme elle l'entendait et n'a jamais fait un geste pour sa fille, mais aussi d'autres, comme la bonté et l'amour de la dernière compagne évoquée par l'auteur), ainsi que ses tourments avec acuité, est certes un peu difficile d'accès, mais elle récompense le lecteur qui sera parvenu à s'approprier cet univers par une profondeur dans l'analyse des sentiments qui ont agité l'auteur, un amour de la vie tout aussi vibrant. Un bel ouvrage touchant et fort, dont on ne sort pas indemne (mais n'est-ce pas le rôle de la littérature ?)