Beurk !
C'est la première impression que ce livre m'a laissée, la dernière page tournée. Perplexe, je me suis interrogée sur le pourquoi d'un tel roman choc et donc, je suis allée sur le net pour connaître les motivations de son autrice.
Quoique publié en français par les éditions du Masque (que je remercie au passage, ainsi que Babelio, pour son envoi), ce n'est ni un thriller et encore moins un polar même si la tension est bien là et que je l'ai lu très vite, ne fût-ce que pour savoir comment tout cela se terminerait. J'ai rencontré le terme « fable dystopique » pour le qualifier et je trouve qu'il lui sied bien.
À l'origine de cette fable donc, la colère. C'est le visionnage de téléréalités du type Bachelor et surtout celui d'un documentaire consacré à la Hay Institution for Girls, centre de redressement pour jeunes filles tristement célèbre en Australie, dans les '60-'70, pour les traitements inhumains qui étaient infligés à ses « pensionnaires » dont le principal tort était d'avoir été victimes de viols et d'agressions sexuelles et de l'avoir dit autour d'elles et donc d'être… débauchées !!! Cela a conduit
Charlotte Wood à s'interroger plus largement sur la négativité intrinsèque associée au genre féminin dans nos sociétés occidentales. Ce livre, cathartique, elle dit l'avoir écrit non pas avec l'esprit conscient mais avec son instinct, ses trippes. Et, de fait, il est question de viscères, de corps et d'animalité primitive dans
La nature des choses, à en provoquer la nausée.
Il s'agit donc d'un roman féministe que j'ai trouvé à la fois manichéen et nuancé. Manichéen quant au sort réservé aux hommes, représentés par les deux geôliers de ces dix jeunes femmes (sans oublier l'énigmatique Hardings) : « leur force ne tient que dans le flingue ou dans la queue », pour résumer (et paraphraser Renaud). Face à eux, avons-nous pour autant des femmes fortes, courageuses et solidaires ? Je vous laisserai en juger par vous-même. Certaines paroles, certains actes, parfois anodins, m'ont interpellée. Par exemple, leur absence de révolte : alors qu'unies elles auraient pu assez facilement mettre Boncer et Teddy hors d'état de nuire. En matière de solidarité, c'est le minimum syndical requis pour survivre. Très vite, alors qu'elles sont toutes logées à la même enseigne, les individualités se font jour, des petits clans se forment tandis que mesquineries et jalousies apparaissent. Elles iront jusqu'à se jeter leur passé, du moins le peu qu'elles en savent, à la figure et n'hésiteront pas à sacrifier l'une d'entre-elles à la concupiscence sexuelle de l'un de leurs gardiens. Deux d'entre-elles (Hetty et Nancy, leur « infirmière »-geôlière) se disputeront la place de favorite de Boncer, avec les conséquences que vous connaissez ou connaîtrez… Je retiens aussi ce qui peut paraître un détail de prime abord mais qui est assez révélateur selon moi, l'anecdote des… poils : cette jeune fille qui ne supporte pas ses poils pubiens, habituée par sa mère, dès la puberté, à fréquenter les centres d'esthétique. Parmi ces jeunes femmes, Verla et Yolanda noueront un lien particulier et l'une d'elle trouvera son bonheur en renouant avec son animalité. Mais ça, c'est pour la fin que je me garderai de dévoiler et que chacun est libre d'interpréter.
Toute fable comportant une morale, voici ce que j'en retire (et je précise bien qu'il s'agit là de mon interprétation personnelle) : une société se compose d'hommes ET de femmes ; il est temps de cesser d'en imputer tous les maux à la seule gent masculine et de réfléchir, en tant que femmes, à notre part de responsabilités quant aux carcans sociétaux et aux diktats que nous nous infligeons à nous-mêmes.
Voilà, le débat est lancé et a déjà alimenté les discussions, souvent houleuses, dans le pays d'origine de
Charlotte Wood (en Australie, il a en outre remporté le Stella Prize en 2016).
En conclusion
Ai-je aimé ce roman ? Oui, finalement.
Est-ce que je le conseillerais ? Non, si vous recherchez juste un bon thriller. Non plus, si tout ce qui touche au corps –féminin en particulier- dans ce qu'il a de plus trivial vous dégoûte. Oui, si les thèmes de liberté, de féminité et de civilisation (vs animalité) vous préoccupent. À noter que ce livre provocateur est aussi empreint de lyrisme, baigné par la poésie de
Walt Whitman.