J'ai vu que «
Captifs » de
Kevin Brooks était souvent catégorisé jeunesse ou young adult. Sans doute parce que l'auteur a écrit plusieurs ouvrages destinés à un jeune lectorat et certainement aussi parce que le héros de «
captifs » est un adolescent. Catégoriser jeunesse ou même young adult ce roman me semble un non-sens total. D'abord parce qu'il s'agit d'un roman si sombre, si nihiliste que sa lecture me parait totalement inappropriée à des adolescents. Ensuite parce que je considère qu'on peut très bien écrire un roman adulte ayant pour personnage principal un adolescent ou même un enfant (coucou
Mark Twain). En m'attaquant à ce «
captifs » qui dormait dans ma PAL depuis des lustres je m'attendais à me plonger dans un page-turner addictif et ludique. Si le roman de Brooks est bien un page-turner, les pages défilent très vite, il n'est en rien ludique. Si on est bien ici dans le registre du thriller intense qui tient le lecteur en haleine, «
captifs » est aussi bien plus que ça. le roman de Brooks est une lecture intéressante à plus d'un titre, qui offre des angles de lecture passionnants et qui propose un vrai travail littéraire. Il y a quelques faiblesses mais globalement «
captifs » est une belle réussite, plus profonde que ce à quoi je m'attendais.
Dire que «
captifs » est une lecture intense est un euphémisme. Amis de la légèreté, passez votre chemin. J'avais lu, de ci de là, quelques avis négatifs sur ce livre, ce qui avait d'ailleurs refroidi mon envie de le lire. Ces critiques reprochaient au bouquin de ne pas être surprenant et de ne pas aller assez loin. Après coup, je ne peux m'empêcher de penser que ces critiques sont injustifiées et, à mon avis, à côté de la plaque. Que le récit ne soit pas surprenant, c'est un fait, il n'y a pas de twists de folie et il y a une sorte de faux rythme. Mais ce n'est pas le but. «
Captifs » n'est pas un roman à twist. C'est un huis-clos oppressant assez classique qui respecte les codes du genre auquel il appartient. Et ça je ne peux pas lui reprocher. Quant au faux rythme, je trouve que ça colle parfaitement à l'intrigue. Un récit qui va à mille à l'heure avec des péripéties dans tous les sens, ça n'aurait pas collé dans une histoire où le quotidien des personnages est rythmé par une routine quasiment inaltérable. Quant à l'assertion que le roman n'irait pas assez loin, là je ne comprends pas. Mais que faut-il à ces gens ? Des personnages enfermés sans savoir pourquoi, qui souffrent de la faim, de la soif, du froid, ça ne leur suffit pas ? Il leur aurait sans doute fallu plus de gore démonstratif et ludique. A ceux-là, j'ai envie de dire 2 choses : d'abord, si vous ne ressentez pas pleinement l'horreur de la situation des personnages de «
captifs » c'est que vous êtes émotionnellement morts, ensuite là encore ce n'est pas le but, vous n'avez peut-être pas compris ce que l'auteur évoquait. L'objet du roman n'est pas seulement de provoquer des sensations fortes, il est plus profond et plus intéressant que ça.
En lisant «
captifs », j'ai pas mal pensé à «
l'aveuglement » de
Saramago. Si le roman de Brooks n'atteint peut-être pas la qualité littéraire du bouquin de
Saramago ni le sommet d'inconfort qu'il suscite, j'y ai vu une parenté certaine. Les 2 romans explorent la façon dont, dans une situation de survie, les Hommes sont réduits à leur dimension la plus triviale, la plus animale. La démonstration dans «
l'aveuglement » était plus crue, plus extrême, les personnages pataugeaient littéralement dans la merde mais le propos est le même. Les prisonniers sont réduits à leurs besoins primaires : manger, dormir, chier. Brooks pousse moins loin les descriptions, ses personnages n'ont pas les pieds dans la merde, mais pour autant il ne les épargne pas et n'épargne pas non plus au lecteur l'évocation de leurs souffrances : la faim qui tenaille les ventres, le froid qui fait mal, les désagréments digestifs, la puanteur qui émanent des corps suppliciés… Comme dans le roman de
Saramago, les personnages de Brooks sont quasiment réduits à leurs corps.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la psychologie des personnages reste sommaire. Ils sont avant tout des corps. Ce qui ne les empêche pas d'exister et de susciter de la compassion. En tout cas, pour certains. En effet, tous les personnages ne sont pas réussis, c'est là la faiblesse du roman. L'auteur ne parvient pas à faire exister le personnage d'Anja, qui reste vide, creux et se contente finalement d'être un élément de contexte qui servira à faire avancer l'intrigue. C'est dommage, il y avait dans ce personnage quelque chose qui aurait pu amener des développements intéressants. Quand elle arrive dans le bunker, Anja est un peu l'incarnation de la Belle Femme. Séduisante, sûre d'elle. Ca aurait pu être intéressant de montrer comment réagirait celle qui se définissait déjà par son corps dans le monde ordinaire, alors à son avantage, lorsqu'elle ne pourrait plus se définir que par un corps animal, un corps abimé. le personnage de Bird est trop simpliste, trop caractérisé unilatéralement comme un connard pour être véritablement intéressant. Il est évident que ces personnages-là ne suscitent pas l'empathie de l'auteur et d'ailleurs ils ne l'intéressent pas vraiment. Trop dans la norme, trop dans la société. Les personnages qui intéressent Brooks, ce sont les marginaux. Fred, le colosse toxicomane qui, on le devine, en a vécu de dures. Russell, dont le statut de scientifique pourrait en faire un Homme parfaitement intégré mais qui cumule des caractères qui font de lui un être hors de la norme, vieux, noir, gay, borgne et atteint d'une tumeur au cerveau. Jenny, la petite fille, les enfants sont, intrinsèquement, par nature, en marge puisqu'ils ne font pas encore partie de la société (ils sont encore dans la salle d'attente si on peut dire). Enfin, Linus, le jeune sdf, celui qui nous raconte l'histoire à travers son journal. Voilà les 4 personnages qui intéressent l'auteur, que l'auteur aime et nous fait aimer. Cet attrait pour les marginaux est encore un aspect intéressant du roman même s'il induit aussi une faiblesse du fait de l'inconsistance et du simplisme des autres personnages.
Bien évidemment, il faut aussi que je parle du dénouement.
J'imagine que certains ont été déçus par cette fin volontairement inaboutie, par le fait que l'auteur n'offre aucune réponse. Moi, ça ne me dérange pas. J'ai toujours préféré qu'un auteur offre au lecteur la possibilité de trouver ses propres clés de lecture plutôt que de lui donner des réponses foireuses et forcément décevantes. de plus, je pense que ce récit n'aurait pas pu se finir autrement que sur cette phrase inachevée, parce qu'on suit l'histoire à travers le journal de Linus et qu'il ne peut pas écrire sa propre fin. Quant au fait de ne pas avoir de réponses, là encore, ce n'est pas l'objet du récit qui ne joue pas dans ce registre. Ici, le qui et le pourquoi n'ont aucune importance, seuls comptent le comment et le quand. Comment, en situation de survie, l'Homme perd en humanité et en esprit pour n'être plus qu'un corps. le quand se trouve dans le sentiment d'inéluctabilité du récit qui en fait toute sa noirceur. On sait très bien comment ça va finir mais quand ?
J'ai donc attaqué ce «
captifs » en m'attendant à lire un trhiller ludique décérébré qui m'amuserait un jour ou deux et que j'oublierais très vite. C'est donc une très bonne surprise que d'avoir découvert une oeuvre intense, pertinente et plus profonde que l'image qui lui est accolée.