"Ceci est une oeuvre de fiction. Ou peut-être s'agit-il d'un tel hybride d'imaginaires et de non-fictions intimes, de biographies spéculatives et de « suggestions de courtes pièces » (…) qu'il n'y a aucun recours à une catégorie." Dans sa postface, Wynn Schwartz elle-même indique à quel point son approche est stylistiquement ambiguë. Je dirais que c'est un exemple de docu-fiction très ingénieux. Dans des centaines de pièces courtes (rarement plus d'une page), Wynn-Schwartz dresse le portrait de plusieurs dizaines de femmes de la fin du 19e et du début du 20e siècle: passent des personnalités très connues, comme
Sarah Bernard, Colette et
Viriginia Woolf, ou encore
Nora Helmer de la Maison de Poupées d'
Ibsen, mais la plupart d'entre
elles sont – du moins pour moi – des femmes complètement inconnues, notamment des féministes italiennes.
J'imagine que de nombreux lecteurs n'aimeront pas le style de Wynn Schwartz, car il est très sec, presque purement factuel et encyclopédique, et raconté par une personnalité collective (« nous »), suggérant un mouvement de femmes militantes et surtout lesbiennes. Ainsi, non seulement la subordination des femmes à cette époque et la lutte ouverte ou secrète contre celle-ci sont mises en avant, mais aussi la rupture des conventions sexu
elles à travers l'accent mis sur l'amour entre femmes (également ouverte ou cachée). Et puis le lien avec
Sappho n'est pas loin à chercher. Très subtilement, mais très ingénieux, Wynn Schwartz donne vie à l'impénétrable poésie de
Sappho (nous ne disposons que de
fragments de phrases de l'ensemble de son oeuvre).
Bien fait, c'est sûr. Mais en ce qui me concerne, beaucoup trop cérébral et donc pas vraiment captivant ni résonnant. Et forcément, Wynn Schwartz s'est montré très sélectif. Sa sélection de femmes qu'elle représente se limite aux épigones aristocratiques et bourgeoises, riches et privilégiées, et presque toutes sont des écrivains, des artistes et des actrices ; un club sélect (presque exclusivement européen d'ailleurs). Et, bien sûr, c'est aussi un choix conscient d'interpréter la poésie de
Sappho comme lesbienne, en suivant l'interprétation classique du XIXe siècle ; mais historiquement, cela n'est pas incontesté et, du point de vue du genre, cela constitue également une limitation. Mais bon, ce pourraient être des commentaires sarcastiques de la part d'un homme hétérosexuel plus âgé. le plus gros défaut de ce livre, cependant, est que les femmes remarquables qui sont représentées, à mon avis, ne prennent pas vraiment vie. En raison de l'approche volontairement fragmentaire de Wynn Schwartz,
elles restent très éphémères, malheureusement comme
Sappho elle-même.