Citations sur Alexis ou le traité du vain combat - Le coup de grâce (116)
Avoir du mérite à s'abstenir d'une faute, c'est une façon d'être coupable.
Cher Dieu, quand mourrai-je?... Monique, vous vous rappelez ces paroles? Elles sont au commencement d'une vieille prière allemande. Je suis fatigué de cet être médiocre, sans avenir, sans confiance en l'avenir, de cet être que je suis bien forcé d'appeler Moi, puisque je ne puis m'en séparer. Il m'obsède de ses tristesses, de ses peines ; je le vois souffrir, - et je ne suis même pas capable de le consoler. Je suis certes meilleur que lui, je puis parler de lui comme je le ferais d'un étranger ; je ne comprends pas quelles raisons m'en font le prisonnier. Et le plus terrible peut-être, c'est que les autres ne connaîtront de moi que ce personnage en lutte avec la vie. Ce n'est même pas la peine de souhaiter qu'il meure, puisque, lorsqu'il mourra, je mourrai avec lui.
D'ailleurs, un rêve, mon amie, n'est pas une espérance ; on s'en contente ; on le trouve même plus doux quand on le croit impossible, parce qu'on n'a pas alors l'inquiétude de le vivre un jour.
Lorsque le silence s'est établi dans une maison, l'en faire sortir est difficile; plus une chose est importante, plus il semble qu'on veuille la taire. On dirait qu'il s'agit d'une matière congelée, de plus en plus dure et massive: la vie continue sous elle ; seulement, on le l'entend pas.
On ne souffre pas de ses vices, on souffre seulement de ne pouvoir s'y résigner.
Les gens que l'on rencontre dans les rues, pendant le jour, donnent l'impression d'aller vers un but précis, que l'on suppose raisonnable, mais, la nuit, ils paraissent marcher dans leurs rêves.
Les confidences sont toujours pernicieuses,quand elles n'ont pas pour but de simplifier la vie d'un autre
Woroïno était plein d'un silence qui apparaissait toujours plus grand, et tout silence n'est fait que de paroles qu'on n'a pas dites. C'est pour cela peut-être que je devins un musicien. Il fallait quelqu'un pour exprimer ce silence, lui faire rendre tout ce qu'il contenait de tristesse, pour ainsi dire le faire chanter. Il fallait qu'il ne se servit pas des mots, toujours trop précis pour n'être pas cruels, mais simplement de la musique, car la musique n'est pas indiscrète, et, lorsqu'elle se lamente, elle ne dit pas pourquoi. Il fallait une musique d'une espèce particulière, lente, pleine de longues réticences et cependant véridique, adhérant au silence et finissant par s'y laisser glisser. Cette musique c'était la mienne. Vous voyez bien que je ne suis qu'un exécutant, je me borne à traduire. Mais on ne traduit que son trouble: c'est toujours de soi-même qu'on parle.
On n'est jamais tout à fait seul : par malheur, on est toujours avec soi-même.
Le plaisir est trop éphémère, la musique ne nous soulève un moment que pour nous laisser plus tristes, mais le sommeil est une compensation. Même lorsqu'il nous a quittés, il nous faut quelques secondes pour recommencer à souffrir ; et l'on a, chaque fois qu'on s'endort, la sensation de se livrer à un ami. Je sais bien que c'est un ami infidèle, comme tous les autres ; lorsque nous sommes trop malheureux il nous abandonne aussi. Mais nous savons qu'il reviendra tôt ou tard, peut-être sous un autre nom, et que nous finirons par reposer en lui. Il est parfait quand il est sans rêves ; on pourrait dire que, chaque soir, il nous réveille de la vie.