“Je vais vous raconter, avant de vous quitter, l'histoire d'un petit inceste près de Napoli…” que Dalida me pardonne, j'ai pris quelques libertés avec les paroles, dictées par le contexte…
Marguerite Yourcenar, première femme élue à l'
Académie Française, plaçait ce court roman, écrit dans la fulgurance d'un séjour transalpin, sous le patronage de peintres de la Renaissance, El Greco et Caravaggio et c'est vrai… elle écrit comme on peint.
Pourquoi cette impression ? Sans doute parce qu'elle embrasse l'Histoire, politique ou culturelle, dans l'histoire (voyez la nuance de “h”…). Cela sans même avoir besoin de s'abaisser à une énumération pompeuse d'oeuvres artistiques, elle nous en dit le moins possible mais nous encourage à créer le décor, à enrichir l'atmosphère. Charge à nous d'ajouter le son lointain d'un luth, le vent qui souffle entre les colonnes du cloître, le froid du marbre contre le dos d'Anna. L'écrivain, exigeante, stimule le lecteur, elle convoque son imagination et son érudition, même inconsciente, nous prenons une part active à l'effort.
“Les adieux s'étaient prolongés en silence. Il avait dû, très doucement, dénouer les bras tièdes qui se serraient contre sa nuque. Sa bouche gardait encore la saveur âcre des larmes”
Ce récit de jeunesse, quelque peu remanié de l'aveu même de l'auteur, ne souffre aucune surabondance. le style est d'orfèvrerie, d'une limpidité rare, la succession des phrases est d'une exigence formelle vertigineuse. C'est fascinant comme suivre des yeux le cours limpide d'un ruisseau. du reste, c'est bien la métaphore aquatique qu'avait en tête
Yourcenar qui voulait initialement nommer son roman “Remous”.
Certainement, les détracteurs de
Yourcenar pourront arguer que, comme souvent, la distanciation et la froideur du récit ne permettent pas une empathie des plus immédiates mais cela ne doit plus nous surprendre… derrière cette apparence, dur de ne pas penser à la douleur secrète de Marguerite l'orpheline de mère dans la narration du trépas de Dame Valentine.
Yourcenar se justifie vaguement dans sa Postface, d'avoir choisi, comme sujet de son roman d'amour, un inceste entre frère et soeur. Elle rappelle certains exemples littéraires et conçoit l'inceste comme le dernier tabou, le dernier interdit, et l'on entend “dit” dans interdit c'est à dire quelque chose d'indicible, dans un XXème siècle où, selon l'auteur, l'adultère et l'homosexualité ne goutent plus assez le souffre d'époques plus corsetées. Cela se discuterait, car c'est précisément l'homosexualité doublée d'adultère qu'a choisi
Marguerite Yourcenar pour thème d'Alexis, quelques années plus tard.
Il manque justement quelque chose de l'étoffe de “Alexis ou le traité du vain combat”, dont j'ai déjà parlé ici, qui partage avec “
Anna, Soror…” la grâce de la plume yourcenarienne, merveilleuse de précision mais qui comporte, en sus, de nombreuses et incisives réflexions sur la nature humaine, dont on manque un peu ici.
Ce n'est pas à dire que la profondeur de la rivière est moindre dans “
Anna, Soror…” l'ascèse janséniste du père Don Alvare pour qui “tout n'est rien”, et la résilience constante d'Anna par exemple placent ces deux personnages bien au delà du commun des mortels, si le cours d'eau est un peu moins sinueux, peut-être est-il voulu plus trouble par l'écrivain…
Ce roman en clair obscur est une très belle parenthèse esthétique et historique mais ne charrie pas toutes les demi-teintes, toutes les nuances de gris qui font la richesse du roman d'Alexis.
Qu'en pensez-vous ?