Pour
Michel Zink, c'est faire un mauvais procès au Moyen Äge que de l'imaginer "moyenâgeux". Cette période de presque 10 siècles, de la chute de l'empire Romain au XVIème siècle, est deux fois plus longue que celle qui sépare notre époque
De La Renaissance. C'est le seul fait de notre ignorance que de croire qu'il ne s'y est rien passé. Les historiens modernes (Duby, le Goff,
Le Roy Ladurie, Pernoux...) ont fait redécouvrir sa richesse et sa diversité.
En nous y souhaitant la bienvenue,
Michel Zink nous invite à une relecture de cette littérature qui a laissé tant de mauvais souvenirs à des générations d'écoliers ! Sans cacher que la langue est un obstacle. Il y en a tant : langue l'oïl, que l'on devine, langue d'oc qui nous échappe, langue latine, la plus pratiquée et de moins en moins savante, mais aussi langues romanes, germaniques, celtiques dialectes de toutes sortes : c'est Babel ! Un dictionnaire est nécessaire, ou une traduction. Mais le professeur au
Collège de France conseille l'édition bilingue, pour jeter un coup d'oeil au texte original et "en saisir la saveur, l'habileté, le charme, le rythme". Il nous en met des échantillons, à chaque chapitre, dans une belle encre de couleur bordeaux. Et le charme opère.
De courtes évocations, réécrites d'après une série d'émission diffusées sur France Inter durant l'été 2014, font défiler poètes, troubadours, chroniqueurs, chansons de geste, romans, avec la ritournelle finale : "C'était au xième siècle". Mille facettes scintillantes qui nourrissent encore notre imaginaire par le cinéma, les séries et les jeux de rôle. Territoire rêvé de l'enfance, nous dit l'auteur.
L'olifant de Roland, les troubadours de langue d'oc, les trouvères de langue d'oil, les ménestrels, les jongleurs. Tous chantent "la fin'amor", l'amour courtois, qui n'est pas un amour facile.
On aime ce
Jaufré Rudel, prince de Blaye, qui s'éprend de la comtesse de Tripoli dont on lui a vanté la beauté, au point de s'embarquer pour la croisade pour la rejoindre et mourir dans ses bras : sest'amor de lonh : cet amour de loin est admirable !
Robert de Ventadour voit l'alouette battre des ailes face au soleil et et se laisser tomber "per la doussor c'al cor li vai": "à cause de la douleur qui entre dans son coeur" ! Ce n'est pas la mort qu'évoque le poète "mais la petite mort, la jouissance amoureuse" commente le malicieux et savant professeur. "Ai ! tan grans enveya m'en ve de cui qu'eu voya jauzion" : "Hélas, quelle envie me vient de quiconque je vois jouissant" ! ajoute le poète.
On apprend au passage que le chevalier errant est pure fiction : qui aurait pu chevaucher en armure jours après jours. Autant utiliser une formule 1 pour courir les chemins creux, ou plutôt un cheval de combat (destrier) plutôt qu'un cheval de voyage (palefoi). Mais le chevalier resplendissant du Conte du Graal de Chrétien de Troyes et de tous ses semblables chevauche dans la légende plus que dans
L Histoire.
Voici l'émouvant poète lépreux,
Jean Bodel, qui prend ses Congés d'un monde qui fuit l'horreur de sa pourriture. Il se moque de son mal qui le tue puisque Dieu l'appelle à la vie "car il m'ajourne et si m'anuite" : "pour moi le jour se lève alors que la nuit tombe".
Michel Zink a ses préférences. Il n'apprécie guère le pauvre Ruteboeuf aux "vers à la lassitude avachie" (p. 140) ni le style de notaire des Lais de ce vrai mauvais garçon qu'est ce François de Montcorbier, qui se fait appeler Villon.
On pourrait ne pas être convaincu du titre un peu touristique "Bienvenue à ..." de ce petit livre à la couverture chromo (église en ruine sous ciel étoilé). Et l'on aurait bien tort, car on sort aussi ravi qu'instruit de cette lecture pleine des charmes de son époque
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