Roman de la formation politique par excellence, Germinal est peut-être aussi l'un de ceux qui met le plus en application les principes naturalistes. Lantier représente le lecteur, et même l'auteur, découvrant l'univers des mines et la dureté du travail ouvrier, pour les corps, pour la santé, mais aussi la camaraderie, l'abrutissement des esprits par la fatigue, ouvriers qui ne sont plus que des corps érotisés par l'effort, l'ensauvagement imagé par le charbon qui colore les corps et les faces. de ce choc,
Zola tire les plus beaux effets littéraires : cette gigantesque mine avec ses machines hurlantes, ses grandes lumières et son trou qui fume, ses galeries intestines, apparaît comme un gigantesque monstre. Ce charbon qui entre même dans les corps, jusqu'à presque leur servir de sang, les rendant malades ou fous violents. Chaval est-il encore homme ou bien est-il devenu un animal-mineur ?
Zola montre bien comment s'appliquent facilement les thèses marxistes sur le salaire minimum assurant la reproduction de la force de travail. Les mineurs vivent correctement dans les corons, mais complètent tout de même leur pécule par la culture de leur jardinet. Ils sont dépendants aussi du travail des enfants, et donc de la bonne santé de chaque travailleur. La perte d'un travailleur – mariage, accident, retraite incomplète – rompt l'équilibre fragile des familles. Dans ces conditions, le mouvement social, la grève, s'avère très difficile. La famille Maheu se dégrade rapidement. le mouvement social, pour de simples ouvriers peut ainsi être considéré comme un sacrifice pour l'avenir d'une classe sociale dans son ensemble. C'est ainsi que l'échec de la grève n'en est un que pour les personnages, mais l'épopée tragique pose les graines de mouvements sociaux à venir. Sans manquer de dénoncer certaines dérives des ouvriers et de leur lutte (violences, vengeances), de noter les répercussions négatives comme la faillite du petit patron qui traitait le plus correctement ses employés,
Zola s'inscrit bien dans la pensée marxiste : la révolte ouvrière est inévitable face à l'accaparement capitaliste croissant.
Devant les événements, la violence subie par les ouvriers, la révolte de Lantier et du lecteur sont inévitables. Celle-ci ne peut être seulement intellectuelle : face à la souffrance, à l'urgence, elle doit devenir action. Mais quelles limites à donner à cette action ? La pensée socialiste, qui privilégie les négociations et en fin de compte n'arrive à rien ; la pensée anarchiste violente qui pense à laisser exprimer la colère quitte à tout détruire… Lantier navigue entre ces pôles découvrant que chaque position a des conséquences cruelles. La première d'entre elles est de faire du Maheu un martyr et de lui-même un objet de détestation par ses collègues. L'action politique est destruction de soi, ou bien se transforme en machiavélisme détestable. Par l'exemple de son personnage,
Zola propose cette réflexion au lecteur.
À côté des sources de théories politiques, le roman est traversé, alimenté, par une véritable enquête documentaire, et de terrain : visites de mines et des corons, croquis, entrevues avec les habitants, les syndicalistes, les patrons, suivi des mouvements dans les journaux, des événements… de plus,
Zola y applique ses techniques naturalistes : patrimoines génétiques (alcoolisme, dérèglement du désir charnel, violence…) déterminant les personnages et leurs actions, tempérées par leur éducation, plus que par leurs sentiments qui tendent à renforcer leurs instincts ; fiches personnages développant la complexité et l'épaisseur des personnages et leur créant une vie en dehors des pages ; ébauches, plans et premiers jets… le tout pouvant être retrouvé dans les dossiers préparatoires, scannés par la BNF (Gallica), parfois édités mais souvent incomplets.
Ce travail sur la matière du réel ne fait pas de
Zola un écrivain-journaliste, car il fictionnalise ce qu'il trouve. le but est bien autre que documentaire : les croquis sont déjà orientés fiction. le but pour
Zola est de faire un roman qui porte un reflet de la vie des hommes, ici des ouvriers, mais surtout qui laisse transparaître leurs croyances, leurs émotions, leurs espoirs… L'action politique, les convictions, ne sont pas décidées par un raisonnement raisonnable mais par le sensuel, le rapport aux sens. On éprouve par le corps, la souffrance et l'envie de révolte.
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