La première fois que j'ai lu "Germinal", j'étais en seconde et je venais d'entrer chez les Rougon-Macquart par la grande porte grâce à mon professeur de français: "L'Assommoir" étudié en classe fut un éblouissement, il m'en fallait d'autres.
Pourquoi avoir jeté mon dévolu sur "Germinal" et non sur "La Bête humaine" ou "Au bonheur des dames" qu'on m'avait bien plus chaudement recommandé à l'époque, par rapport -sans doute- à mon âge?
Parce que "Germinal" est un monument, à l'instar des "Misérables". Un chef d'oeuvre.
Parce que mon père avait enregistré sur une cassette vidéo le film de Claude Berry qu'il adorait et que le regard bleu de Renaud campant Etienne Lantier m'avait marquée, tout comme la musique, tout comme le film entier. Oui, je connaissais déjà l'histoire, mais il me fallait la lire à présent, m'en rapprocher au plus près, me saouler de mots et de la puissance de l'écriture de
Zola.
Parce que si mes ancêtres à moi sont plus proches de "La Terre", il n'en demeure pas moins qu'ici aussi, il y avait la mine et qu'elle a coloré de histoire la ville où je fus lycéenne puis étudiante. La ville où je vis aujourd'hui, pas loin du vert de ma campagne.
Ici, les terrils sont des crassiers qui dominent encore la ville.
Ici aussi, ils célébraient Sainte-Barbe qu'on célèbre encore une fois l'an d'ailleurs.
Ici aussi des hommes descendaient tout au fond pour extraire le charbon, une flamme vacillante non loin d'eux, pour prévenir des coups de grisou.
Ici aussi les Maheu auraient pu vivre, et lutter, et mourir.
J'en avait de bonnes raisons de dévorer "Germinal"... Et je l'avais tellement aimé que ce n'est pas sans appréhension que je me suis replongée dedans il y a quelques jours.
La gifle à nouveau. L'uppercut. le crochet. "Germinal" est grandiose de bout en bout que ce soit dans la construction de ses personnages d'une intensité folle, dans sa description magistrale et sublime du monde de la mine et de la misère qui en résulte, de révolte qui gronde et qui éclate parce que lutter pour survivre n'est pas vivre ou dans l'atmosphère qui se dégage de tout le roman et qui mêle au souffle de l'épopée et de l'espoir fou cette sensation d'étouffement, d'oppression, de douleur qui saisit, prend à la gorge, malmène et roue de coups.
Jour après jour, les voilà qui descendent à la fosse pour un salaire de misère et pendant que leurs enfants crèvent de faim, les bourgeois, les patrons -qui rivalisent entre eux pour trouver des prétextes afin de diminuer les payes- se gavent et bâffrent à s'en rendre malades.
Voilà le monde dans lequel pénètre Etienne Lantier -l'un des fils de Gervaise- à la recherche d'un travail et prêt à exercer n'importe lequel pour ne pas mourir de faim. le jeune homme a dû quitter
Paris et il ne connaît rien de la mine. Pas encore.
A Montsou, il découvre les effroyables conditions de travail de ces mineurs qui l'ont accueilli en même temps qu'il tombe amoureux de Catherine, histoire d'amour d'autant plus poignante que manquée. C'est la révolte qui, elle, s'offre à lui quand la compagnie des Mines, arguant d'une crise économique baisse les salaires: Etienne, que cette société inique dévore autant que sa soif de justice, parvient à pousser ses camarades à faire grève. Se résoudre? Jamais!
La grève qui s'ensuit est une guerre.
La compagnie refuse toute négociation et les mineurs s'affament, s'aiguisent. Jusqu'à l'intervention des soldats: la grève devient chaos. Bientôt le chaos sera l'enfer.
C'est violent "Germinal", c'est terrible aussi et pourtant c'est aussi un roman magnifique dans lequel la puissance du style de
Zola allume de grands brasiers, tout comme le charisme d'Etienne.
Tout comme ses hommes qui en tous temps ont lutté pour un peu plus de justice et d'égalité.