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Citations sur Les Rougon-Macquart, tome 19 : La Débâcle (164)

Son exaltation grandissait, il n’écoutait même plus les supplications d’Henriette et de Jean, terrifiés. Et il continuait, dans une fièvre chaude, abondante en symboles, en images éclatantes. C’était la partie saine de la France, la raisonnable, la pondérée, la paysanne, celle qui était restée le plus près de la terre, qui supprimait la partie folle, exaspérée, gâtée par l’empire, détraquée de rêveries et de jouissances ; et il lui avait ainsi fallu couper dans sa chair même, avec un arrachement de tout l’être, sans trop savoir ce qu’elle faisait. Mais le bain de sang était nécessaire, et de sang français, l’abominable holocauste, le sacrifice vivant, au milieu du feu purificateur. Désormais, le calvaire était monté jusqu’à la plus terrifiante des agonies, la nation crucifiée expiait ses fautes et allait renaître.

— Mon vieux Jean, tu es le simple et le solide… Va, va ! Prends la pioche, prends la truelle ! Et retourne le champ, et rebâtis la maison !… Moi, tu as bien fait de m’abattre, puisque j’étais l’ulcère collé à tes os !
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Comme elle tournait l’angle d’une maison, il y eut, près de son oreille, un bruit mat, une chute de plâtre, qui la firent s’arrêter net : une balle venait d’écorner la façade, elle en restait toute pâle. Puis, avant qu’elle se fût demandé si elle aurait le courage de continuer, elle reçut au front comme un coup de marteau, elle tomba sur les deux genoux, étourdie. Une seconde balle, qui ricochait, l’avait effleurée un peu au-dessus du sourcil gauche, en ne laissant là qu’une forte meurtrissure. Quand elle eut porté les deux mains à son front, elle les retira rouges de sang. Mais elle avait senti le crâne solide, intact, sous les doigts ; et elle répéta tout haut, pour s’encourager :

— Ce n’est rien, ce n’est rien… Voyons, je n’ai pas peur, non ! Je n’ai pas peur…
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Une légère chute de plâtras lui fit lever la tête. C’était une balle qui venait d’écorner sa maison, dont il apercevait la façade, par-dessus le mur mitoyen. Il en fut très contrarié, il gronda :

— Est-ce qu’ils vont me la démolir, ces brigands !

Mais, derrière lui, un autre petit bruit mou l’étonna. Et, comme il se retournait, il vit un soldat, frappé en plein cœur, qui tombait sur le dos. Les jambes eurent une courte convulsion, la face resta jeune et tranquille, foudroyée. C’était le premier mort, et il fut surtout bouleversé par le fracas du chassepot, rebondissant sur le pavé de la cour.
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Si tous les peuples ne formaient plus qu’un peuple, on pourrait concevoir à la rigueur l’avènement de cet âge d’or ; et encore la fin de la guerre ne serait-elle pas la fin de l’humanité ?
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L’empereur était là, au fond de la pièce bourgeoise et froide, assis devant une petite table, sur laquelle son couvert était mis, éclairée à chaque bout d’un flambeau. Dans le fond, deux aides de camp se tenaient silencieux. Un maître d’hôtel, debout près de la table, attendait. Et le verre n’avait pas servi, le pain n’avait pas été touché, un blanc de poulet refroidissait au milieu de l’assiette. L’empereur, immobile, regardait la nappe, de ces yeux vacillants, troubles et pleins d’eau, qu’il avait déjà à Reims. Mais il semblait plus las, et, lorsque, se décidant, d’un air d’immense effort, il eut porté à ses lèvres deux bouchées, il repoussa tout le reste de la main. Il avait dîné. Une expression de souffrance, endurée secrètement, blêmit encore son pâle visage.
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Ce qui acheva de le glacer, ce fut, en épaulant, de constater qu’il n’apercevait même pas la mire de son fusil. Alors commença l’attente la plus cruelle, toutes les forces de son être bandées dans l’ouïe seule, les oreilles ouvertes aux bruits imperceptibles, finissant par s’emplir d’une rumeur de tonnerre. Un ruissellement d’eau lointaine, un remuement léger de feuilles, le saut d’un insecte, devenaient énormes de retentissement. N’était-ce point un galop de chevaux, un roulement sans fin d’artillerie, qui arrivait de là-bas, droit à lui ? Sur sa gauche, n’avait-il pas entendu un chuchotement discret, des voix étouffées, une avant-garde rampant dans l’ombre, préparant une surprise ?
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Les temps se confondaient, cela semblait se passer en dehors de l’histoire, dans un choc effroyable de tous les peuples. Les anglais, les autrichiens, les Prussiens, les russes, défilaient tour à tour et ensemble, au petit bonheur des alliances, sans qu’il fût toujours possible de savoir pourquoi les uns étaient battus plutôt que les autres. Mais, en fin de compte, tous étaient battus, inévitablement battus à l’avance, dans une poussée d’héroïsme et de génie qui balayait les armées comme de la paille.
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À deux kilomètres de Mulhouse, vers le Rhin, au milieu de la plaine fertile, le camp était dressé. Sous le jour finissant de cette soirée d’août, au ciel trouble, traversé de lourds nuages, les tentes-abris s’alignaient, les faisceaux luisaient, s’espaçaient régulièrement sur le front de bandière ; tandis que, fusils chargés, les sentinelles les gardaient, immobiles, les yeux perdus, là-bas, dans les brumes violâtres du lointain horizon, qui montaient du grand fleuve.

On était arrivé de Belfort vers cinq heures. Il en était huit, et les hommes venaient seulement de toucher les vivres. Mais le bois devait s’être égaré, la distribution n’avait pu avoir lieu. Impossible d’allumer du feu et de faire la soupe. Il avait fallu se contenter de mâcher à froid le biscuit, qu’on arrosait de grands coups d’eau-de-vie, ce qui achevait de casser les jambes, déjà molles de fatigue. Deux soldats pourtant, en arrière des faisceaux, près de la cantine, s’entêtaient à vouloir enflammer un tas de bois vert, de jeunes troncs d’arbre qu’ils avaient coupés avec leurs sabres-baïonnettes, et qui refusaient obstinément de brûler. Une grosse fumée, noire et lente, montait dans l’air du soir, d’une infinie tristesse.
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Là seulement, les obus tombaient. Henriette resta figée, très pâle, dans l'assourdissement d'une effrayante détonation, dont le coup de vent l'enveloppa. Un projectile venait d'éclater devant elle, à quelques mètres. Elle tourna la tête, examina les hauteurs de la rive gauche, d'où montaient les fumées des batteries allemandes ; et elle comprit, se remit en marche, les yeux fixés sur l'horizon, guettant les obus, pour les éviter. La témérité folle de sa course n'allait pas sans un grand sang-froid, toute la tranquillité brave dont sa petit âme de bonne ménagère était capable. Elle voulait ne pas être tuée, retrouver son mari, le reprendre, vivre ensemble, heureux encore. Les obus ne cessaient plus, elle filait le long des murs, se jetait derrière les bornes, profitait des moindres abris.
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Ces quatre corps, formés et reconstitués à la hâte, sans liens solides entre eux, c'était l'armée de la désespérance, le troupeau expiatoire qu'on envoyait au sacrifice, pour tenter de fléchir la colère du destin. Elle allait monter son calvaire jusqu'au bout, payant les fautes de tous du flot rouge de son sang, grandie dans l'horreur même du désastre.
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