AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4

sur 587 notes
5
22 avis
4
27 avis
3
7 avis
2
3 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Cet avant dernier opus de la série des Rougon-Macquart est avant tout le récit historique et sanglant du conflit franco-allemand de 1870 et plus particulièrement du désastre de Sedan et de la reddition de Napoléon III, cette défaite militaire ayant engendré la Commune de Paris.

Emile Zola nous fait participer aux affrontements sanglants de cette époque avec forces détails, sans oublier d'apposer, au cours de sa narration, une peinture sociétale de son époque, sa "patte de mouche", en quelque sorte. le talentueux écrivain nous entraîne ici dans les aventures rocambolesques de Maurice Levasseur et de Jean Macquart, deux jeunes gens aux origines sociales totalement opposées, dont les destins vont se croiser sur les champs de bataille, pour le meilleur comme pour le pire !
Commenter  J’apprécie          100
Quel travail phénoménal que ce dix-neuvième tome des Rougon-Macquart !
Sur une trame rigoureusement historique, excepté quelques petites entorses temporelles, ou kilométriques, Zola nous fait traverser la guerre de 1870 auprès de soldats, de généraux, de capitaines, d'habitants de Sedan, de jeunes femmes, tous pris en étau dans ce tragique affrontement qui signe la chute du Second Empire.
Impressionnante consultation d'ouvrages, prises en compte de témoignages militaires et civils, imprégnation des lieux en mettant ses pas dans ceux de l'armée, en foulant le champ de bataille pour remplir de notes une centaine de feuillets. Je ne peux être qu'éblouie par cette extraordinaire exploitation de toute cette montagne d'informations qui a donné naissance à un ouvrage si détaillé, minutieusement élaboré, mêlant l'Histoire au romanesque d'une façon si intime que la lecture nous emporte dans un tourbillon littéraire. Ces plus de sept cents pages passent comme un ouragan.

En ce tout début d'août 1870, le 7e corps dont faisait partie l'escouade menée par le caporal Jean, l'ancien paysan qui a quitté sa terre, arrive tout près de Mulhouse. Dans ses rangs, on peut entendre le refrain classique d'une victoire certaine et rapide. Il suffit de passer le Rhin et surprendre les Prussiens « Une simple promenade militaire, de Strasbourg à Berlin. »
Dans cet escadron, le jeune Maurice, avocat et engagé volontaire, exalté, déterminé à se battre, se charge de haine face aux ordres de Jean, ce paysan sans éducation.
Une organisation défaillante, des effectifs moindres, un ravitaillement et des dépêches qui tardent font douter Jean face à l'inaction des troupes. le plan initial est resté un rêve et la réalité prend la couleur de chances perdues pour atteindre la victoire. Et lorsqu'une petite victoire est entendue, elle est vite effacée par un écrasement prussien. Pourtant, pour certains, la certitude d'une raclée prochaine à ces cochons de Prussiens ne peut être mise en doute. Cette nuit d'août, les défaites s'additionnent, au petit matin les Français sont battus « une aube de deuil se levait ».
Dans une grande bousculade, la compagnie fait retraite dès le lendemain de son arrivée.

Bien plus fortes que des images, les phrases de Zola font exploser la débandade des troupes dans la confusion générale des ordres mal donnés. Les charges des soldats, trop lourdes, sont laissées sur le bas-côté, puis les fusils. Dans le contraste des journées éclatantes de ce mois d'août, les départs des Alsaciens sauvant le peu qu'ils peuvent emporter, offrent un spectacle criant de désespoir de cette fuite face à l'ennemi.
Puis ce sera la marche sur Verdun et Zola ne laisse rien, n'ignore rien sur ce chemin. La fatigue, la faim, le découragement, une intendance complètement désorganisée, la confusion des changements d'ordres, tant de journées perdues pour une marche vers une mort assurée.
Zola nous fait peiner dans la pluie et la boue de l'Aisne, le dos meurtri par les charges et les fusils, et répand le désespoir, la démoralisation et la lassitude de toute la troupe. Pendant des semaines, pas un coup de feu n'est donné, pas une rencontre avec l'ennemi ne survient.
Les batailles, les replis, toute l'Histoire se déroule, abominable, n'épargnant rien ni personne. Les haines ruissellent, devenant torrents et éclaboussant tout sur leurs chemins. La cuisante désillusion des éternels vainqueurs, ratatinés face un petit peuple insignifiant, est difficile à admettre.
Et pendant cette marche, de paysan mal dégrossi, Jean devient un brave homme aux yeux de Maurice après quelques paroles et gestes bienveillants. Une gratitude vient remplacer la haine. Jean s'inquiète des souffrances du jeune Maurice, comme un petit frère à protéger. L'amitié prend force alors que le conflit gonfle en intensité. Les bruits de canons entendus dans le lointain deviennent des tirs sanglants, sans relâche, ravageant les soldats et les civils. La bataille de Sedan ensanglante les pages. Sous les brouillards qui s'élèvent de la Meuse, les obus font frissonner et voler en éclats habitations, routes, soldats, civils.
Tous les détails donnés avec l'admirable plume si accrocheuse de l'auteur nous vrillent l'estomac, la nausée de ce champ de bataille monte et, en arrière, les blessés agonisants nous font crier quelle saleté de guerre !
Deux figures féminines, Silvine, Henriette, viennent se greffer sur ce tableau de misère, sur cette folie de guerre broyant tout, dans leur coeur, dans leur chair.
Alors que champs, prairies verdoyantes, arbres séculaires se gorgent de soleil, les hommes se massacrent les uns les autres sous les obus, les balles et les baïonnettes. Pour se terminer, quelques mois plus tard, en points incandescents dans tout Paris, les communards voulant tout nettoyer, surtout ne pas céder, ne pas faire entrer la honte dans la capitale.

J'ai tardé à lire La débâcle, craignant l'ennui d'interminables pages sur des affrontements militaires. Mais ici, tout est si fort. Et les personnages, se faufilant avec tant d'aisance et d'ardeur dans les évènements historiques empêchent résolument d'éprouver le moindre désagrément de lecture. C'est, une fois de plus, un ouvrage époustouflant d'un Zola que je ne peux cesser d'admirer.
Commenter  J’apprécie          352
Bien que grand laudateur de Zola devant l'Éternel, je n'avais jamais entendu parler de ce roman jusqu'à récemment. Il faut dire que le père du roman naturaliste a été prolifique. Chacune des oeuvres de sa série les Rougon-Macquart, dans le zolaverse, est un pavé. Il faudrait presque une vie pour lire tout ce qu'il a écrit en une seule vie, le père Emile.

La débâcle prend donc pour cadre la guerre franco-allemande de 1870. A ce stade, il n'est pas impossible que je t'apprenne que la France et les Prussiens n'ont pas attendu 1914 pour se mettre une peignée. Ici, je vais endosser mon costume de Nota Bene, quelques kilos en moins, pour faire un point historique. S'il y a des erreurs, sache que c'est la faute de wikipedia. Je te fais la version courte pour les cancres.

Tout est parti du trône d'Espagne laissé vacant, sur lequel un prince allemand, j'ai plus son blaze, prétendait vouloir écraser sa raie princière. La France voyait d'un très mauvais oeil cette candidature, ne voulant pas se retrouver la viande hachée entre deux pains à hamburger teutons. L'Allemagne renonça à ses prétentions, parce que c'était poliment demandé, mais la France voulait des garanties que les teutons n'essaieraient plus jamais de postuler à Game of thrones. C'est là que l'ego de quelques individus a mis deux nations à feu et à sang. Reçu par le roi de Prusse, l'ambassadeur français fut plutôt bien reçu, avec les petits fours et le verre de schnaps. Un peu trop pour le chancelier Bismarck, qui ne cherchait qu'un prétexte pour faire entrer son pays en guerre ouverte avec la France. Il envoya un télégramme aux chancelleries étrangères, (la fameuse dépêche d'Ems) avec une version tronquée de l'entretien, dans laquelle l'ambassadeur français y était honteusement humilié. C'est tout l'honneur d'un peuple qui était souillé. Oulala, que ça tonnait aux tribunes politiques ! Et hop, vous avez une guerre.

Sauf que ça s'est assez mal passé pour la France et Napoleon III, et que son armée de paysans, opposée à une armée professionnelle, organisée, la deutsche qualität quoi, s'est pris une derrouillée qui lui a coûté beaucoup de vies et des milliards de francs. Une série de défaites, une énorme débâcle qui a atteint son point culminant à Sedan. Puis c'est carrément Paris qui fut assiégée, encerclée, affamée et copieusement bombardée.

Quand la France capitula, le conflit avait fait 139 000 morts chez les Français, et 51 000 chez les Prussiens. Ce fut notamment cette capitulation, cette "lâcheté" des bourgeois, qui conduisit à cette fameuse Commune de Paris, une révolte intestine, une guerre civile qui finit de détruire ce qui était encore debout.

Qui se souvient de ce conflit, hormis quelques férus d'Histoire ? Tout le monde a entendu parler des deux guerres mondiales, mais qui sait qu'en 1870-1871, l'homme a créé la première boucherie industrielle ? Peu de gens, je présume.

Contemporain de cette guerre et de la Commune, Zola écrit la formidable amitié entre deux soldats français que tout oppose, issus de deux classes différentes. le lettré et le paysan. D'abord, c'est l'attente, l'ennui, les errements tactiques et les indécisions du commandement, qui s'échine à ne pas vouloir engager le combat. Puis, quand il est inévitable, c'est déchaînement de violence, le vrai, à Sedan et ses alentours. C'est à dire que les obus tombent et les balles sifflent, et que les morts s'entassent sur les morts de la minute d'avant. Zola n'épargne rien du spectacle dégueulasse de la guerre, toujours dans ce style si particulier, si beau et emphatique, mais j'y reviendrai... C'est même franchement gore, la cervelle répandue, les membres cassés et pendouillant, les viscères à l'air, les os nus ; 150 ans plus tard, certaines âmes sensibles pourraient même s'en trouver très bouleversées. Quel scandale a dû provoquer ce bouquin à son époque.

C'est d'une modernité incroyable ; bien sûr, certains dialogues sont un peu datés, et je ne sais pas si s'exprimait ainsi à l'époque, mais la légèreté de pas mal de répliques, faites lors de situations extrêmes (comme par exemple lors d'une amputation dans une ambulance ou lors d'une exécution sommaire) m'ont paru franchement fantaisistes, pour ne pas dire irréalistes. Mais je n'ai jamais aimé Zola pour ses dialogues.

Son style éblouissant m'a peut-être aussi moins impressionné que d'habitude. A force, je commence à y voir une sorte de recette, des gimmicks d'écriture pas toujours du meilleur goût. Par exemple je ne compte plus le nombre de fois où Zola nous sort son flow, pardon, son flot : flot d'hommes, flot de cheveux, flot de chevaux, flot de sang, flot de canons...

Zola, contrairement à ce qui se prétendit à l'époque, ne signe pas un roman antipatriotique, mais un roman puissamment antimilitariste, qui, comme dans Fratricide de Patrice Quélard, fustige l'incompétence des chefs, et la vanité des guerres. Il l'est encore plus aujourd'hui, alors que L Histoire a ajouté quelques grandes et sanglantes guerres à son pedigree. Je pense à tous ces jeunes hommes qui sont allés se faire trouer la paillasse, se faire déchiqueter, pour des motifs ridicules, parce qu'ils croyaient que s'il ne faisaient rien, il n'y aurait plus rien après eux. Comme le disait Brassens :


"Et comme toutes sont entre elles ressemblantes

Quand il les voit venir

Avec leur gros drapeau

Le sage, en hésitant

Tourne autour du tombeau, "mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente

D'accord, mais de mort lente"

Encore s'il suffisait

De quelques hécatombes

Pour qu'enfin tout changeât, qu'enfin tout s'arrangeât

Depuis tant de "grands soirs" que tant de têtes tombent

Au paradis sur terre, on y serait déjà

Mais l'âge d'or sans cesse

Est remis aux calendes

Les Dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez

Et c'est la mort, la mort

Toujours recommencée, mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente

D'accord, mais de mort lente

Ô vous, les boutefeux

Ô vous les bons apôtres

Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas

Mais de grâce, morbleu

Laissez vivre les autres

La vie est à peu près leur seul luxe ici-bas

Car, enfin, la Camarde

Est assez vigilante

Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux

Plus de danse macabre

Autour des échafauds, mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente

D'accord, mais de mort lente"

Commenter  J’apprécie          80
Bien sur il y a eu beaucoup de roman sur une période de guerre ,toutes celles du moyen âge, la révolution, les batailles de Napoléon 1er, celle ci de 1870, les deux guerres mondiales, 1914-1918, 1939- 1945, etc
"le feu" de henri Barbusse, "ceux de 14 de Maurice Genevoix , je ne vous en cite pas plus ,ils sont nombreux.
Celui ci m'a pris aux tripes ,Un des meilleurs Zola,sur un fait historique qui relate l'issue de la guerre de 1870 contre l'Allemagne, sur cette période de 1870 assez méconnue.
Zola nous rafraîchit la mémoire et aussi vrai que toutes les guerres se ressemblent, il nous fait prendre conscience de cet éternel recommencement , qui écrasent militaires et civils dans la débacle et la mort.
Serait ce le propre de l'homme ? tuer, tuer et encore tuer ses semblables ,pour un pouvoir quelconque , et pour être plus riche en argent ?
oui !malheureusement .
Bizarre ,car je relis "la débacle" par petites touches et je m'aperçois qu'en 2023 rien n'a changé !!

Tout y est décrit avec minutie ;il se lit d'une traite, mais moi je ne veux pas , surtout un roman historique de cette valeur, Il est tout simplement exceptionnel .
Comme chaque fois dans la guerre une amitiè fraternelle nait entre deux combattants , Maurice et Jean quand je lis ces passages cela me serre le ventre, n'oublions pas
Henriette , ah cette femme ! qui est une colombe face à la folie des hommes !
Faut il des guerres pour que des hommes s'aiment ? bon sang jamais cela ne s'arrêtera ?
Là est le sujet ; description des prémisses de la bataille de Sedan; vivre comme si on y participait entièrement à cette bataille , et quelles évidemment vivre ses conséquences.
voila ou Zola nous entraîne .
Je réitère !pourquoi? pour qui la guerre ? à pleurer, car je ne sait pas honnêtement!
Je ne boude pas ce livre au contraire ! qu'on le lise encore , afin de prendre conscience de ce que peut entrainer une geurre sur nos vies d'adultes et surtout celles de nos enfants .
" La guerre, c'est la vie qui ne peut pas être sans la mort".
Commenter  J’apprécie          277
La Débâcle a été pour ma première lecture de la série "Les Rougon-Macquart", avant même que je connaisse son existence (que j'ignorais encore au moment de ma lecture...). On peut donc dire que j'ai commencé la série par sa conclusion.

J'ai en effet abordé ce livre dans le cadre d'études de la commune de Paris. Après avoir lu les récits de Louise Michel, j'ai voulu en apprendre plus sur le contexte qui a mené la France vers cette guerre civile.

Comment Paris a été assiégé en l'espace d'un an par les prussiens puis le gouvernement français ? Comment l'armée française a été renversée par les prussiens dans une débâcle si incroyable. Comment autant de rage a pu être exprimée lors de la semaine sanglante, lors de l'affrontement d'un même peuple épuisé par la même guerre.

Dans cet ouvrage Zola apporte plusieurs pistes de réflexions à travers le récit de deux personnages qui vivent la même guerre, mais ne traverse pas la même débâcle.

Ce chef d'oeuvre est une incrimination du second empire, mal préparé et responsable de cette tragédie, mais surtout une critique de la guerre. Aliénante, à la fois causée par et source de la haine de l'autre, qu'il soit voisin (Prusse) ou frère (Paris).
Commenter  J’apprécie          00
Époustouflant ! Ce dix-neuvième volume des Rougon-Macquart vient conclure la partie politique et historique de la série.

La Débâcle se déroule entre le 6 août 1870 et le 28 mai 1871. Émile Zola aborde la chute du Second Empire et la proclamation de la République. Il se sert des individus pour montrer la guerre et ses impacts. Depuis la déroute militaire, en passant par la défaite française à Sedan, l'occupation prussienne et La Commune de Paris, le roman s'achève avec la Semaine Sanglante.

L'écrivain offre une vision de la guerre par le prisme des individus. Il aborde l'enlisement des armées, montre les soldats épuisés, démoralisées, désespérés et se livrant à des actes de cannibalisme. Les populations civiles ne sont pas écartées puisqu'un leurs souffrances sont représentées.

C'est un plaisir de retrouver Jean Macquart qui reprend du service après la perte de son épouse dans La Terre. Ce livre est sensationnel !
Commenter  J’apprécie          20
« La Débâcle » (1892) est le dix-neuvième et avant-dernier roman des « Rougon-Macquart ».
Zola, en fait, donne deux conclusions à son oeuvre : « La Débâcle » en est le point final historique, qui fait le pendant à « La Fortune des Rougon », la naissance et la mort, l'ascension et la chute, et qui, c'est tout sauf un hasard, coïncide avec les dates du Second Empire. « le Docteur Pascal », lui, dresse le bilan de l'entreprise : il fait le récapitulatif des vingt romans, en mettant en avant les points qu'il a tenu à étudier tout particulièrement : les incidences de l'hérédité et du milieu ; bilan sociologique, bilan littéraire aussi, car le docteur Pascal dresse à la fois un sommaire des Rougon-Macquart, mais également les commente, il est en quelque sorte le double de Zola.
« La Débâcle », donc, nous fait assister à la chute de l'Empire. A la déroute de l'armée devant les Prussiens, succède le siège de Sedan, puis la capitulation. Et juste derrière, le drame de la Commune. Nous autres, habitants de la seconde moitié du XXème siècle, nous ne pouvons pas nous empêcher d'y voir une prémonition de la « débâcle » de 1940, prélude elle-même à un cataclysme encore plus grand.
Nous retrouvons ici Jean Macquart, le héros de « La Terre », le frère de Gervaise et de Lisa. Un des rares personnages qui, dans la série, ne soit pas atteint d'une tare quelconque. Il est caporal au 106ème de ligne (en clair 106ème Régiment d'Infanterie de ligne). Avec une poignée de soldats, il bat en retraite. Bien vu et apprécié de ses hommes, il se lie avec l'un d'eux, Maurice Levasseur. Autant Jean est posé et pragmatique, Maurice est exalté et révolutionnaire, mais tous deux rêvent d'une autre France que celle que Napoléon III conduit à sa perte. Puis c'est le siège de Sedan, avec toutes ses atrocités. Sedan capitule. L'Empire s'écroule. La Commune apporte un point final à la tragédie : Jean et Maurice se trouvent opposés : Maurice est Communard et Jean Versaillais, et la fatalité veut que Jean, sur le point d'épouser Henriette, la soeur de Maurice, tue accidentellement ce dernier.
Emile Zola dresse ici un violent réquisitoire contre la guerre. Cette guerre-ci (il ne se gêne pas pour fustiger l'inconséquence de Napoléon III et de son épouse Eugénie, l'incompétence de l'Etat-Major, ainsi que l'absence de préparation des troupes, et la sous-évaluation de l'ennemi), mais également de toutes les guerres passées et à venir. Ses ennemis ne lui pardonneront pas cette prise de position pacifiste : deux ans plus tard, ces mêmes détracteurs seront anti-dreyfusards, va-t-en-guerre, revanchards, et appelleront de leurs voeux la guerre de 14-18.
Pour ce livre, Zola a encore réuni une impressionnante documentation. Il est allé lui-même à Sedan (accompagné de sa femme) pour voir, étudier et restituer les circonstances du siège, et a pris l'avis et les informations de plusieurs historiens.
« La Débâcle », paradoxalement, est un des romans les plus longs et les plus lus des Rougon-Macquart. Pourtant il n'a jamais eu le succès populaire de « Germinal » ou de « L'Assommoir ». Pour Henri Mitterand, grand spécialiste d'Emile Zola, cette oeuvre « porte en elle les contradictions qui caractérisent l'idéologie républicaine à la fin du siècle dernier » : si on y cherche autre chose qu'une évocation romancée du siège de Sedan, on risque de se heurter à des incompréhensions, des opinions tranchées dans un sens ou dans un autre.
Reste que Zola nous livre ici un grand roman, généreux et fort. A son image.
Commenter  J’apprécie          153
Connaissez-vous La Débâcle d'Emile Zola ? Publié en 1892, l'avant-dernier tome de la série des Rougon-Macquart, s'il n'est pas le plus connu des ouvrages de l'auteur, a toutefois été le plus grand succès de librairie d'Emile Zola. Et pour cause! A peine plus de 20 ans se sont écoulés depuis la défaite de Sedan et la fin du Second Empire, un véritable traumatisme dans la société française, s'achevant par la Commune et bien sûr l'amputation de l'Alsace et de la Moselle. Dans ce cadre, on imagine à quel point les contemporains de Zola ont dû revivre, grâce aux descriptions très réalistes, cet épisode de l'Histoire de France.

Il me paraît inutile de parler ici d'Emile Zola, un auteur qui reste très lu encore aujourd'hui. Par contre, j'aimerais tout d'abord signaler deux choses. La première est qu'il ne faut pas avoir peur de se lancer dans ses ouvrages, souvent épais et denses, didactiques, mais qui se lisent toujours avec un réel plaisir. Après plus de 15 ans de pause, j'ai repris avec beaucoup d'envie les Rougon-Macquart, dont chacun des titres peut se lire individuellement. La seconde est que La Débâcle est un peu différent des autres romans ; on peut réellement parler de roman historique, tant Zola reste fidèle à la chronologie des faits, faisant démarrer l'action le 6 août 1870, lors de la bataille de Froeschwiller, pour la clore le 28 mai 1871 (Semaine sanglante de la Commune). C'est donc un des avantages, et non des moindres, de revisiter cette page d'Histoire, avec en point d'orgue la bataille de Sedan.

Le roman est découpé en trois parties. La première succède aux premières défaites sur le front de l'Est, présentant le repli des armées ; la seconde se déroule dans les Ardennes ; enfin, la troisième s'inscrit après la défaite de Sedan.

S'il est peuplé de nombreux protagonistes, le récit s'articule autour de quelques personnages principaux comme Jean Macquart, un caporal qui fut le héros du livre La Terre. Celui-ci se lie avec Maurice Levasseur, un intellectuel s'étant engagé par idéalisme dans cette guerre. On y retrouve aussi des figures en opposition les unes avec les autres (des profiteurs contre des gens sincères, des brutes contre des caractères affables), ce qui permet à Zola de faire une galerie de portraits des attitudes des soldats et de la France de l'époque.

Très rapidement, dans la première partie, on se retrouve dans le chaos : les soldats attendent la nourriture ou les munitions, on abandonne des fusils et des sacs dans un retrait d'urgence, et on n'assiste directement à aucune bataille. le désarroi est palpable, les troupes errent, et dès le départ, la conclusion semble écrite d'avance.
C'est finalement autour de la nourriture manquante que se polarise souvent l'action ; l'héroïsme s'efface devant les besoins de base, et plus tard dans le récit, se déroulera même une chasse à l'homme pour du pain.
L'ennemi apparaît enfin lorsque les troupes se retrouvent dans les Ardennes. L'action s'emballe. Dans une armée où peu de soldats avaient eu l'expérience de combats passés, où l'Etat Major semble faire de nombreuses erreurs, abandonnant une position avant de demander de la reprendre, l'héroïsme individuel ne pèse pas lourd contre un ennemi organisé, préfigurant un nouvel art de la guerre. Les batailles de Bazeilles, de Sedan, se déroulent sous nos yeux. « Les ruisseaux coulaient rouge », peut-on lire. La terrible vision des champs de bataille mais aussi des hôpitaux improvisés (Zola se livre à des descriptions très fortes d'amputations), ou encore de la vie civile dans ces conditions, s'impose au lecteur.

L'Empereur Napoléon III, rongé par la maladie, poussé par l'impératrice à ne pas capituler, erre blême sur les champs de bataille à plusieurs reprises, cherchant en vain la mort. La capitulation, le repli sont inéluctables.
La guerre ne s'arrête pas là ; les soldats vaincus sont certes parqués dans l'attente, mais les Allemands progressent toujours, encerclant Paris le 19 septembre 1870. La reddition de Bazaine à Metz intervient le 27 octobre. Si, devant les revendications de Bismarck, le choix est d'abord fait par le gouvernement de Défense National de continuer la lutte en septembre, la situation devient intenable et deux camps s'affrontent : Thiers et l'Assemblée monarchique contre les insurgés. Jean et Maurice se retrouvent ainsi à Paris dans des camps opposés, l'action culminant durant la Semaine sanglante de la Commune.
Suivant le fil rouge de sa série Les Rougon-Macquart, Zola illustre l'hérédité, la dégénérescence de la race. Toutefois, en établissant un lien entre tous les événements, il achève néanmoins l'histoire sur une note d'espoir. Pour paraphraser la quatrième de couverture, il « nous donne à comprendre que, sans doute, la défaite fut un mal nécessaire » .
La Débâcle a été pour moi une lecture des plus marquantes avec une mention spéciale pour la seconde partie, si forte et si empreinte de réalisme.

Lien : https://etsionbouquinait.com..
Commenter  J’apprécie          20
C'est aussi l'histoire d'un désamour violent entre le peuple et ses pseudo-élites, des fake news avant l'heure (les généraux vendus aux Prussiens pour un million), la montée des haines, une guerre civile (donc fratricide) dont Zola retrace certains des prémices... Que de choses qui nous renvoient un écho 150 ans après !
Commenter  J’apprécie          70
La débâcle, c'est d'abord le récit d'une "drôle de guerre", où les soldats attendent l'ennemi sans savoir où il est, avancent puis reculent. Dans cette guerre d'usure, les esprits s'échauffent et la motivation s'érode quand le ventre est creux. Oui, il est d'abord plus question de nourriture, de son manque ou de sa préparation, que de combats.
Et puis, c'est "l'étrange défaite", dans des pages où le comique tragique de l'Empereur vidant ses entrailles au-bord des chemins, de Mc-Mahon blessé à la fesse, côtoie l'épopée sanglante des simples soldats. Ces pages n'ont pas le lyrisme de la description de Waterloo dans les Misérables, Zola ne décrit pas en poète, mais en naturaliste, au plus près des soldats. Ce n'est plus la chute d'un Aigle, mais celle d'un "Napoléon le Petit". On se perd un peu dans ce flot de noms de lieux, de noms de compagnies, comme les soldats eux-mêmes sur le terrain, impuissants, juste bons à être canardés dans les champs de choux. C'est de l'histoire-bataille, à hauteur d'hommes, avec ses tripes ouvertes, ses membres découpés et ses flots de sang. Quoi de plus beau et horrible que la description - vraie - du camp de la Misère, cette prison transformée en cimetière, lorsque les éléments eux-mêmes sont contre les hommes.
Quelques lueurs de beauté et de douceurs traversent ce roman, notamment l'amitié fraternelle - voire amoureuse ? - entre Jacques et Maurice, deux hommes que tout oppose au début, de deux classes différentes, et à la fin où ils ne sont pas dans le même camp politique, mais que les souffrances communes unissent. Et puis, je salue aussi les quelques personnages féminins, toutes les 3 très fortes à leur manière : Gilberte qui joue de ses charmes pour se rendre la vie plus supportable mais aussi servir ses proches, Henriette, figure maternelle et consolatrice, infirmière-martyr, et Sylvine, amante, mère et patriote.
Un des chef-d'oeuvre des Rougon-Macquart, que je regrette de n'avoir pas lu plus tôt.
Commenter  J’apprécie          50




Lecteurs (2102) Voir plus



Quiz Voir plus

Les personnages des Rougon Macquart

Dans l'assommoir, quelle est l'infirmité qui touche Gervaise dès la naissance

Elle est alcoolique
Elle boîte
Elle est myope
Elle est dépensière

7 questions
592 lecteurs ont répondu
Thème : Émile ZolaCréer un quiz sur ce livre

{* *}