AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Conscience contre violence (116)

L’histoire n’a pas le temps d’être juste. Pour elle, seul compte le succès, et encore il est rare qu’elle l’apprécie selon une mesure morale. Elle ne s’intéresse qu’aux vainqueurs et laisse les vaincus dans l’ombre. Ces « soldats inconnus » sont enfouis sans commentaire dans la tombe du grand oubli : aucune croix, aucune couronne ne célèbre leur sacrifice oublié, parce que non couronné de succès. Mais en réalité, il n’est point d’action entreprise par pure conviction qui soit vaine, jamais un effort moral n’est complètement perdu. Même vaincus, les pionniers d’un idéal trop élevé pour leur époque ont rempli leur mission, car ce n’est qu’en se créant des témoins et en faisant des adeptes, qui vivent et meurent pour elle, qu’une idée devient vivante.
Commenter  J’apprécie          10
Le condamné a écouté frissonnant et tremblant. Dans son angoisse, il se traîne à genoux aux pieds des magistrats et les supplie de lui accorder la faible grâce d’avoir la tête tranchée, « afin que l’excès de la douleur ne le porte pas au désespoir ». S’il avait péché, c’était sans le savoir ; une seule idée l’avait toujours guidé : agir pour la gloire de Dieu. À ce moment, Farel s’avance entre les juges et l’homme agenouillé. Il lui demande à haute voix s’il est prêt à abjurer sa doctrine, qui nie l’existence de la Trinité, et à mériter ainsi la faveur d’une exécution plus clémente. Mais – c’est justement dans ses derniers moments que grandit la valeur morale de cet homme – Servet repousse encore une fois le marché qu’on lui propose, résolu à réaliser sa parole d’autrefois, à savoir qu’il était prêt à tout souffrir pour ses croyances.
(...)
Tandis que les flammes s’élèvent de toutes parts, le patient pousse un cri si terrible que les assistants se détournent un moment en frissonnant. Bientôt le feu et la fumée enveloppent son corps qui se tord de douleur ; mais, de plus en plus déchirants, les hurlements de douleur du martyr s’échappent sans arrêt du brasier qui dévore lentement sa chair pantelante. Enfin, un dernier et fervent appel de détresse : « Jésus, fils du Dieu éternel, aie pitié de moi ! » Cette agonie d’une indescriptible horreur dure une demi-heure. Puis, repues, les flammes s’éteignent, la fumée se disperse, et l’on aperçoit, retenue au poteau noirci par une chaîne incandescente, une masse carbonisée, fumante et informe. Ce qui fut autrefois une créature pensante, passionnément adonnée à la recherche de l’Éternel, une parcelle vivante de l’âme divine, n’est plus qu’un tas horrible, si infect et si répugnant que sa vue eût peut-être fait sentir à Calvin pendant une minute toute la barbarie de son rôle.

Mais où est Calvin en cette heure d’épouvante ? Il a préféré rester dans son cabinet de travail, derrière ses fenêtres bien closes, laissant la charge de l’affreuse besogne au bourreau et à son disciple Farel, plus dur encore que lui. Quand il s’est agi d’accuser, de tourmenter, de traquer ce malheureux « estudiant de la Sainte Escripture » et de l’envoyer au bûcher, Calvin précédait infatigablement tout le monde : à l’heure du supplice, on voit les tortionnaires rétribués, mais pas l’instigateur des tourments. Ce n’est que le dimanche suivant qu’il monte en chaire pour célébrer devant la communauté silencieuse la nécessité, l’équité et la grandeur d’un acte qu’il n’a pas eu le courage de regarder en face.
Commenter  J’apprécie          10
D’après Calvin, l’homme n’a pas le droit de traverser la vie la tête haute et la conscience tranquille ; il doit vivre constamment dans la « crainte du Seigneur », humilié et contrit dans le sentiment de son irrémédiable imperfection. Dès le début, la morale puritaine de Calvin met la notion de la jouissance sur le même plan que celle du « péché » ; tout ce qui vient rendre vivante et orner notre existence terrestre, tout ce qui vient soulager, détendre, affranchir et élever l’âme – en premier lieu, par conséquent, la sensualité – elle le défend, comme une vaine et dangereuse superfluité.

Même dans le domaine religieux, lié depuis toujours au mystique et aux choses du culte, Calvin apporte son idéologie. On écarte de l’Église et des pratiques de la religion tout ce qui pourrait occuper les sens, amollir l’âme ; ce n’est pas lorsqu’il est travaillé par des impressions artistiques, grisé d’encens, troublé par la musique, séduit par la beauté des tableaux et des sculptures soi-disant pieuses mais en réalité impies, que le vrai croyant doit s’approcher de Dieu. Ce n’est que dans la limpidité qu’est la vérité, dans la parole claire et nette la certitude de Dieu.

Plus de ces « idolâtries », ces tableaux, ces statues, ces costumes d’apparat, ces livres de messe et ces tabernacles dans la maison du Seigneur ! Dieu n’a pas besoin de pompes. Plus de ces engourdissements voluptueux de l’âme, plus de musique ni d’orgues pendant le service divin ! Les cloches d’églises elles-mêmes devront dorénavant se taire à Genève : ce n’est pas à l’aide d’un airain grossier que le vrai croyant doit être rappelé à son devoir. Ce n’est pas par des manifestations extérieures que doit s’exercer la piété, par des offrandes et des sacrifices, mais rien que par l’obéissance intérieure. Assez de messes et de cérémonies, de symboles et de pratiques païennes, assez de fêtes et de solennités ! D’un seul trait de plume, Calvin supprime toutes les fêtes du calendrier, Pâques et Noël, qu’on célébrait déjà dans les catacombes romaines, les jours des Saints, les vieilles coutumes traditionnelles.

Le Dieu de Calvin ne veut pas être fêté, ce qu’il veut avant tout, c’est être respecté et craint.
Commenter  J’apprécie          10
Toute sa vie, rien n’a été plus étranger à cette âme violente et passionnée que l’esprit de conciliation. Calvin ne connaît qu’une seule vérité : la sienne. Pour lui, c’est tout ou rien, l’autorité complète ou la renonciation totale. Jamais il ne conclura de compromis, car avoir raison est pour lui une nécessité vitale, au point qu’il ne peut comprendre ni concevoir qu’un adversaire puisse n’avoir pas tort. Il déclare textuellement, avec l’accent de la plus sincère conviction : « Ce que j’enseigne, je le tiens de Dieu ; ma conscience me le confirme. » Avec une assurance immuable, il affirme que ce qu’il dit est la vérité absolue : « Dieu m’a fait la grâce de déclarer ce qui est bon et mauvais. » Ce véritable possédé de lui-même entre dans une violente colère chaque fois qu’un autre ose exprimer une opinion différente de la sienne. La moindre contradiction provoque chez lui une sorte d’ébranlement nerveux, une secousse physique, son estomac se contracte et rejette de la bile ; l’adversaire a beau présenter ses arguments de la façon la plus sérieuse et la plus objective, le simple fait qu’il a osé penser autrement que lui, Calvin, en fait aux yeux du dictateur un ennemi mortel, bien plus, un ennemi de Dieu. Des serpents, qui sifflent contre lui, des chiens, qui aboient à ses talons, des monstres, des coquins, des suppôts de Satan, c’est ainsi que cet homme, qui dans la vie privée fait preuve d’une mesure exagérée, appelle les plus célèbres humanistes et théologiens de son temps. Le contredire, même d’une façon purement académique, c’est offenser l’« honneur de Dieu » dans la personne de son serviteur ; lui reprocher son désir de domination, c’est « menacer l’Église du Christ ». Toute sa vie, cet homme n’a pas douté un seul instant qu’il avait seul qualité pour interpréter la parole de Dieu et qu’il était le seul à connaître la vérité.
Commenter  J’apprécie          10
La postérité ne pourra pas comprendre que nous ayons dû retomber dans de pareilles ténèbres après avoir connu la lumière. Sebastien CASTELLION, De arte dubitandi, 1562.
Commenter  J’apprécie          00
Mais plutôt subir une pauvreté éternelle que trahir sa conscience, modèle grandiose de ces héros de l'esprit qui, méconnus du monde, mènent même dans l'obscurité la lutte pour la cause la plus sacrée: celle de l'indépendance de la pensée, de la liberté de conscience.
Commenter  J’apprécie          00






    Lecteurs (496) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Le joueur d'échec de Zweig

    Quel est le nom du champion du monde d'échecs ?

    Santovik
    Czentovick
    Czentovic
    Zenovic

    9 questions
    1884 lecteurs ont répondu
    Thème : Le Joueur d'échecs de Stefan ZweigCréer un quiz sur ce livre

    {* *}