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Je n'ai pas choisi de lire ce livre ; il m'a été offert par un ami. Ce qui m'avait d'ailleurs étonnée vu que je n'avais jamais évoqué un intérêt pour Calvin dont je ne savais rien de plus que le nom.
Cet ouvrage a donc été pour moi, riche d'enseignement. Je sais, désormais, qui était Calvin, qu'à juste titre Stefan Zweig a associé à "Violence" ; et découvert Castellion, la "Conscience".

Grand moment de réflexion en ce qui me concerne, durant lequel je n'ai pu m'empêcher de faire un transfert sur notre société actuelle. Me réjouissant que torture et peine de mort n'existent plus, mais m'interrogeant sur cette difficulté encore présente d'émettre des idées, voire même de simples nuances, en contradiction avec une certaine dictature de la pensée toujours en oeuvre.
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Durant deux siècles, Genève, héritière sans recul d'un Calvin puritain, froid et inflexible, ne produira ni artiste, ni musicien ni écrivain de réputation mondiale, nous dit Zweig.
Calvin, émigré français, comme Sébastien Castellion, ont, par leur appartenance au protestantisme, réussi à fuir l'Inquisition papale. Cependant l'un, Calvin, tranche et décide de ce que les autres, tous les autres, doivent penser, sous peine de mort,-« il faut ou le combattre ou se soumettre à lui- » l'autre, Castellion, pense, a le courage de dire ce qu'il pense, sait parfaitement combien il est dangereux de penser, ne prétend pas que les autres pensent obligatoirement comme lui.

Ce sont les pires ennemis de l'intelligence, dit Zweig- qui toujours compare les faits à leur modèle universel, et s'appuie sur l'intolérance de Calvin pour analyser le sectarisme-ceux qui voudraient que des hommes libres soient dénoncés comme criminels. Leur crime ? Penser, différemment de Calvin.
Calvin, comme Robespierre, ascètes l'un comme l'autre, incorruptibles, irréprochables, insensibles au plaisir, forment le terreau du dictateur.
Calvin prend possession des âmes de la ville de Genève, ne tolère ni couleur, sauf le noir, ni musique, ni danse, ni divertissement, au nom d'un Dieu qui doit être craint, respecté, pas fêté, car même les fêtes pieuses sont trop.
La Terreur règne à Genève, avec l'assentiment du Consistoire : elle règne dans les coeurs et dans les maisons, que Calvin fait fouiller avec méthode : friandises, confiture, images saintes, ce sont des crimes, l'obligation d'assister à la messe dans des églises épurées, grises, où rien ne vient distraire le croyant obligé, est vérifiée par espions.
Gestapo des moeurs, naissance des dénonciations.
« Qu'on ne se fasse pas d'illusions, la terreur paralyse. La violence est une force redoutable », que Calvin, avec hypocrisie, férocité, lâcheté et mensonges utilisera à son profit : son profit, c'est que tout le monde pense comme lui.
Hypocrite, impitoyable et féroce, lorsqu'il essaie de livrer à l'Inquisition catholique, ce Michel Servet, protestant espagnol qui ne pense pas comme lui, (il refuse le concept de la Trinité, je suis toute confuse de vous livrer une telle aberration ), lorsqu'il fabrique de fausses preuves contre cet innocent.
Servet, prisonnier sans procès, sans fautes à se reprocher, Servet est torturé, abandonné dans un cachot, présenté dans ses hardes souillées, et condamné à être le lendemain brulé vif sur la place du Marché de Champel de Genève.

Castellion, lui, professeur à l'Université de Bâle, est persuadé que, d'abord, tuer c'est tuer, il n'existe pas de crime « pour des idées ».
Il est persuadé, aussi, même s'il a conscience qu'il est un moucheron face à un éléphant, qu'il peut dialoguer avec Calvin, qu'il peut non pas le convaincre, mais radoucir son intransigeance.
Zweig aimerait bien conclure que la liberté spirituelle ne peut être détruite par aucune violence, que celui qui l'exerce n'a jamais convaincu personne ; sauf que la montée du nazisme le fait douter de ce qu'il affirme. de plus les idées du calvinisme avec son puritanisme, son obéissance au dogme, sa sobriété s'est implanté, a fructifié dans des pays comme la Hollande ou l'Angleterre, et a favorisé le capitalisme aux Etats Unis en particulier.
Lueur d'espoir cependant : le protestantisme a, aussi, par la plus étrange des métamorphoses, enfanté l'idée de la liberté politique. C'est en Hollande que Spinoza et Descartes trouvent refuge.
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C'est très fort, dans tous les sens du terme !
Je vais prendre cette critique d'un toujours merveilleux Zweig avec ma façon particulière de voir les choses, façon que certains connaissent maintenant.
Nous sommes dans les années 1540, en Suisse.
--La violence, c'est le Ventre, l'intolérance, le dogmatisme, c'est, à mon grand étonnement, le Français réformé Jean Calvin, celui qui a achevé la Réforme initiée par Luther. Il est bien connu.
--La conscience, c'est le Coeur, la tolérance, le respect, c'est l'autre Français réformé Sébastien Castellion, érudit et théologien peu connu, mais plus cultivé et plus fin que Calvin, selon Voltaire.
--« Contre », c'est une guerre à mort entre eux deux, en utilisant « le Cerveau », un outil utile pour faire évoluer l'humanité en avant comme en arrière ; un accélérateur des positions du « Coeur », mais aussi du « Ventre ».

A mort ? Oui. Bien que ce soit une controverse théologique, et que cela, Stefan Zweig nous démontre, avec tout son talent, ses archives, ses émotions, et sa façon captivante de raconter, que cette « guerre intellectuelle » devient progressivement une chasse à mort !
Chasse à mort ? Hélas oui.
Mais attends, Jean Calvin, n'y a t-il pas écrit dans ta Bible : « Tu ne tueras point » ?
Calvin, qui n'admet que SA vérité, ne tolère aucune contestation de ses idées à Genève, théocratie qu'il a bâtie, et dans toute la religion réformée qu'il a structurée. Avec une hypocrisie sans pareil, il va utiliser les mêmes armes que le grand adversaire, l'inquisition catholique que les réformés ont critiquée au départ.
L'allumette qui fait exploser la controverse, c'est le calvaire que Michel Servet subit de la part de Calvin.
Castellion accuse Calvin d'avoir fait brûler vif le théologien réformé Michel Servet pour avoir contesté ses écrits. Passant outre les instances religieuses, et trouvant un motif laïque pour le faire juger civilement, Maître Calvin a réussi à faire brûler Servet pour "écrits hérétiques". Castellion lui adresse un mémoire très respectueux, mais très érudit sur la tolérance : ce n'est pas un crime physique ; il ne s'agit que de controverses théologiques !
Que n'a t-il pas fait là ! Il devient la bête noire de Calvin ( ils sont pourtant de la même religion ), qui n'a de cesse de le harceler jusqu'à sa mort.
.
Certes, Jean Calvin a élevé le protestantisme au rang de religion européenne, mais il est l'instigateur de 58 morts déclarés hérétiques, selon Zweig, … et pire, l'essor de cette Réforme a été à l'origine d'une guerre de religions européenne, une sorte de guerre de Sécession Nord/Sud qui a duré une centaine d'années.

Lisez-le !
le comportement de Jean Calvin, décrit avec précision par Stefan Zweig, rappelle celui des plus célèbres dictateurs.
Mais :
« Il se trouvera toujours un Castellion pour s'insurger contre un Calvin et pour défendre l'indépendance souveraine des opinions contre toutes les formes de la violence. »
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Ce livre de Stefan Zweig, «Conscience contre violence», publié en mai 1936 lui a été commandé par Jean Schorer pasteur à la cathédrale Saint pierre de Genève qui défendait le protestantisme plein de tolérance de Sébastien Castellion contre l'intransigeance dogmatique de Calvin.
Stefan Sweig nous dépeint Calvin un peu comme un autre Savonarole. 
Sébastien Castellion, théologien protestant né en Savoie, que les bûchers de l'Inquisition catholique ont fait se tourner vers Calvin qu'il rencontre à Strasbourg en 1540, va se dresser contre lui à partir du moment où il se heurte à son manque d'ouverture et que la dictature spirituelle qu'il instaure va conduire à rallumer les bûchers, de l'Inquisition protestante cette fois-ci, dont va être victime le docteur espagnol Michel Servet brûlé vif pour hérésie à Genève le 27 octobre 1553 (Il écrit que Jésus n'est pas Dieu, mais un homme auquel l'essence divine s'est alliée temporairement et il rejette la Trinité).

«La postérité ne pourra pas comprendre que nous ayons dû retomber dans de pareilles ténèbres après avoir connu la lumière.» Sébastien Castillon (épigraphe de "Conscience contre violence")

La belle et courageuse voix de Sébastien Castellion tente de faire entendre, à travers ses écrits, la conscience d'un esprit libre et courageux face au caractère despotique de Calvin dont le but est «de museler, d'étouffer, de détruire toute opinion opposée à la sienne.»

Mais dans cette ville de Genève, où prédominent les interdits où il est juste permis aux bourgeois de la ville «d'exister et de mourir, de travailler, d'obéir et d'aller à l'église,...obligation légale, imposée sous peine des plus graves châtiments» où Calvin a la main mise sur le Conseil, Sébastien Castellion ne réussira pas à convaincre et à ébranler le pouvoir de Calvin.

Toutefois, si sa voix a été mise sous le boisseau par l'église réformée, elle ne s'est pas totalement éteinte. Il s'est trouvé au cours des siècles des humanistes pour vouloir réhabiliter cet homme de bien.
Mais l'emprise de Calvin demeure telle que même de nos jours un site internet a du être créé pour défendre en 2015 la commémoration des 500 ans de la naissance de Sébastien Castellion : Projet Castellion 2015: une réaction au Jubilé Calvin 09 www.castellion2015.ch/
Et Stefan Zweig de conclure en sachant par son expérience ce qu'il en coûte de vouloir garder un esprit libre et tenter de le faire entendre : «C'est en vain que l'autorité pense avoir vaincu la pensée libre parce qu'elle l'a enchaînée. Avec chaque individu nouveau naît une conscience nouvelle, et il y en aura toujours une pour se souvenir de son devoir moral et reprendre la lutte en faveur des droits inaliénables de l'homme et de l'humanité.»
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L'enragé, le fou et le sage
OU
la (dé)raison.

C'est d'abord l'histoire de trois hommes. Trois hommes aux caractères bien différents - leurs attitudes dans le vie, leurs relations aux autres et leurs actions le sont donc aussi.

Calvin est de ces hommes, souvent très fragiles, qui doivent se renforcer de tout un appareillage de règles, d'interdits et de sanctions pour oser exister. Seul cet exosquelette leur donne la rigidité nécessaire pour tenir debout. Encore faut-il qu'ils ne soient pas trop bousculés par ce qui se passe autour d'eux. C'est ainsi qu'ils se sentent appelés à réglementer
la vie, non seulement la leur, mais aussi celle des autres. Commence alors une surenchère, car la sensibilité aux entorses du règlement qu'ils s'imposent croît avec sa sévérité et avec sa projection à l'extérieur, vers les autres. C'est analogue à ce que l'on voit chez les névrosés obsessionnels : plus ils essayent de controler leurs angoisses , plus celles-ci s'aggravent. Vouloir éteindre un incendie avec de l'essence. Il est de ces hommes qui arrivent à stabiliser cette spirale, et à se maintenir fonctionnels à ce niveau, au prix d'une discipline d'acier. Calvin en est. Et cette discipline, qui semble surtout avoir saisi la dimension spirituelle de son être, ce carcan d'acier, il veut l'imposer à tous. Malheur à qui lui résiste !

Servet, lui aussi, est un homme mû par quelque chose, l'on ne sait pas trop quoi. Toujours est-il qu'il veut exister aux yeux des autres. Il veut qu'on le remarque ! Il aime la provocation, il aime la bagarre, il aime le défi. C'est quelqu'un qui se veut héroïque! Il se voit mener les autres à la vérité, celle que lui seul, ou lui en tout premier, a découvert. de préférence une vérité choquante, révolutionnaire. C'est plus voyant, et tant mieux si c'est plus risqué, donc plus méritoire. Ah, si seulement on le croyait, si seulement on reconnaissait en lui ce génie, ce meneur, ce pionnier qu'il veut être ! ... Si seulement il avait choisi une autre voie que celle des controverses théologiques. Si seulement il n'avait pas défié, encore et toujours, Calvin . Car ce Capitaine Fracasse n'a vraiment pas idée de qui est celui qu'il attaque, et de quoi il est capable. Jusqu'aux dernières heures, il croira pouvoir vaincre, en le provoquant, le toisant et le sermonnant. C'est à peine s'il ne meurt pas étonné.

Castellion n'est ni un homme fragile ni un excité. Un chercheur, calme, posé. Un homme équilibré au milieu d'un monde qui commence à sombrer dans la folie. Il cherche à faire le bien, veut mettre en pratique
ce que ses recherches lui ont appris. Justement, il n'est pas encombré des bagages toxiques que traîne Calvin, et sans doute aussi Servet. Pour lui, l'image divine n'est pas celle d'un tortionnaire - et sa recherche n'est pas un sport de compétition - mais l'image d'un être aimant. Un être qui a choisi de se proposer plutôt que de dominer. de se proposer à l'homme, qui est son chef-d' oeuvre. Humaniste chrétien, c'est avec une horreur croissante qu'il assiste à ce qui prend forme autour de lui. Il fait ce qu'il peut : il écrit, il enseigne. Il dénonce, il défend, et il subit. Non, il ne sera pas exécuté, comme ce Servet qu'il a essayé de défendre : la nature a pris le bourreau de vitesse, le travail et les privations ayant finalement raison de lui, à quarante-huit ans.

Ceci n'est pas un livre qui dénoncerait la religion ou les religions ou une religion. C'est une dénonciation de l'asservissement de l'homme par l'homme. Asservissement opéré par des structures de pouvoir, structures qui, souvent, utilisent l'un ou l'autre système de pensée - idéologie, philosophie ou théologie - pour légitimer leurs actions. Ce n'est guère difficile, ils ont le choix. Et tout système peut se déformer, se pervertir s'il veut servir un pouvoir. Zweig écrit ce livre en 1936, deux ans après avoir fui l'Autriche, anticipant la marée noire qui allait submerger l'Europe. Il est clair qu'il ne pensait pas tant aux oppresseurs du seizième siècle qu'à ceux du vingtième.







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Conscience contre violence ou Castellion contre Calvin raconte le combat au sommet entre "la mouche et l'éléphant". Dans cette Suisse du 16e siècle, alors que la Réforme protestante se met en marche, Jean Calvin impose sa "bibliocratie" dictatoriale (cf. le traité de théologie Institution de la religion chrétienne, en latin Christianae Religionis Institutio publié en 1536 qui impose la nouvelle doctrine de l'orthodoxie protestante). Dans la ferveur de son fanatisme, Calvin qui ne souffre aucune idéologie différente de la sienne, réduit au silence tout opposant. le plus curieux, nous confie Stefan Zweig, est l'engouement des foules pour le dictateur en puissance : la population est muselée, contrôlée, punie. On ne compte plus les interdictions et les mesures drastiques imposées aux Genevois. Les prisons sont bondées de détenus arbitrairement condamnés (n'est-il pas vrai ainsi que le dit ironiquement Stefan Zweig que : "Réduire au silence les dissidents, ce n'est pas là, pour les dictateurs, excercer une contrainte, c'est agir d'une façon juste et servir une idée supérieure" ? (p.128). Malgré ces règlements drastiques et liberticides imposés au nom de la religion, les rênes du pouvoir sont tout de même confiés à Calvin qui se livre à la pire tyrannie théocratique. La soumission de l'État et des notables de Genêve en témoigne. Les courageux qui ont osé prostesté contre Maître Calvin sont tous réduits au silence. Les quelques sages dont l'honorable Érasme, qui choisissent de taire leur voix pour détourner l'attention de leurs travaux non moins critiques, n'inquiètent nullement le fervent défenseur de la "justice religieuse". Pour la nature foncièrement pacifiste de Sébastien Castellion, c'en est pourtant trop lorsque Calvin envoie au bûcher Michel de Servet au nom de Dieu : est-ce acceptable qu'un homme puisse être condamné à mort par l'État pour un débat théologique ? La réponse est clairement non. Pressantant une catastrophique confusion entre politique et religion ainsi que de nouveaux meurtres injustifiés, Castellion qui défend l'idée que : "Chercher la vérité et la dire, telle qu'on la pense, n'est jamais criminel. On ne saurait imposer à personne une conviction. Les convictions sont libres" (p.123), abandonne alors ses paisibles travaux de traduction de la Bible et s'engage à contrecoeur dans une âpre lutte au nom de la liberté de conscience et de la tolérance...

Comment ne pas adhérer à cette évidente déclaration de Castellion : "Tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme. Quand les Genevois ont fait périr Servet, ils ne défendaient pas une doctrine ; ils tuaient un être humain ; on ne prouve pas sa foi en brûlant un homme, mais en se faisant brûler pour elle." (p.157) ? Lorsqu'il se décide enfin à se dresser contre le despotique Calvin, c'est à un "monstre sacré" que s'attaque Castellion. Tant pis, il sait qu'il prend le risque de mourir en martyr mais il désormais est le seul à pouvoir mener ce combat magnifiquement rapporté par Stefan Zweig. A travers la lecture de ce précieux document à mi-chemin entre l'essai polémique et le roman historique, c'est à un véritable tournant de l'histoire de la Réforme protestante que l'on asssiste. Publié en 1936 alors que l'Allemagne nazie est en pleine expansion, ce livre que l'éditeur considère comme un "texte prémonitoire", traduirait-il l'inquiétude de Zweig face à la montée du fascisme ? Il semblerait pour certains que ce soit le cas. Quoiqu'il en soit, Conscience contre violence délivre un message qui ne manque pas de pertinence même de nos jours. Et c'est justement parce qu'il dépasse le cadre purement historique, que ce texte est intemporel...

Lire la suite sur les Embuscades littéraires d'Alcapone
Lien : http://embuscades-alcapone.b..
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Lorsque paraît cet essai, nous sommes en 1936 ; voilà trois ans qu'Hitler a pris le pouvoir en Allemagne. Stefan Zweig a recours à une page de l'histoire européenne qui ne trompera personne quant à son intention. Il s'agit bel et bien d'alerter le monde sur l'entreprise funeste qui se développe en Allemagne. Conscience contre violence est une brûlante diatribe contre le fanatisme. Une mise en garde dont il ressent l'urgence extrême.

Cette page de l'histoire qui lui servira de support pour développer sa thèse contre le fanatisme, c'est la main mise de Jean Calvin sur les consciences helvètes, utilisant la propagation de la religion réformée pour imposer une rigueur de vie extrémiste correspondant à ses propres vues. Main mise qui influencera le pouvoir politique et développera une forme de terreur au point d'imposer ses propres décisions à la société civile, jusqu'à lui faire envoyer un opposant au bûcher, tel Michel Servet.

Dans cet ouvrage, Stefan Zweig trouve avec le conflit qui opposa Jean Calvin et Sébastien Castellion, conflit né d'une divergence d'interprétation des textes bibliques, le modèle d'antagonisme le plus adéquat pour étayer sa thèse et prouver par ce moyen l'impuissance de la tolérance lorsqu'elle se heurte au fanatisme.

C'est avec la perfection qu'on lui connaît dans la construction de son argumentation, étayée par une solide érudition, que son développement prend tournure. L'histoire se répétant dans ce qu'elle a de plus néfaste, l'humaniste averti, pacifiste dans l'âme, décrit avec une précision d'horloger le mécanisme qui aboutira inéluctablement, il en est convaincu, au désastre.

Stefan Zweig perçoit le danger dès 1936. Il conserve cependant encore l'espoir du réveil des consciences. Six ans plus tard, il aura perdu cet espoir.
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J'habite Genève.
Vous trouverez à Genève un "mur des réformateurs", un musée de la réforme
"Genève la Rome protestante" et "Genève cité de Calvin" sont des expressions courantes que l'on retrouve partout.
En parallèle, on évoque peu "Michel Servet"
Je voulais en savoir plus, mais pas de la part de l'Église protestante elle-même.
J'ai donc lu cet essai avec intérêt.

J'y ai découvert un personnage abject (n'ayons pas peur de dire les choses en face). Pourquoi co mot si fort ?
Il n'hésite pas à
* calomnier
* utiliser des espions, des correspondances passées
* à dénoncer et calomnier auprès de ses ennemis jurés des individus pour les voir neutraliser
* fabriquer des faux
* établir une police des moeurs qui lors des "visitations" traque le mal-pratiquant.
* à instaurer une "Bibliocratie" : une véritable théocratie dictatoriale par l'entremise de la bible.
* à faire torturer, bruler ses opposants ou tous ceux qui ne sont pas du même avis
* à pratiquer une intolérance totalitaire pour les "déviants"
* à mettre au pas une ville entière
* à transformer une ville joyeuse en sinistre couvent à ciel ouvert
* à rejeter toute forme de tolérance, de réconciliation
* à faire d'un mouvement émancipateur, une oppression
La réforme ne devait-elle pas libérer le pratiquant des intermédiaires ?

Certes le livre n'est pas sans défaut :
* c'est un essai "à charge"
* il signale très brièvement "à décharge" la mise en place d'écoles bien au-dessus des standards de l'époque
* il s'abaisse parfois à s'en prendre au physique (il lie certains trais moraux à des traits physiques vus sur les portraits). Les quelques paragraphes qui le font sont de trop.

Malgré ces défauts vous découvrirez la personnalité de Calvin au travers de son combat contre Sébastien Castellion et Michel Servet.
Sur le moment, le combat se termine mal pour la tolérance et l'humanisme.
Mais paradoxalement l'avenir semble avoir donné raison à l'humanisme et à la tolérance du moins à Genève et du moins aujourd'hui.
J'espère que la ville se libéra un jour de la sombre empreinte de ses réformateurs.

Bref, je conseille VIVEMENT à tous ceux qui veulent en savoir plus sur la Réforme telle qu'elle fut appliquée sous Calvin
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« Tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme ».
Cette phrase est de Sébastien Castellion, un nom qui est absent des livres d'histoire, il fut " l'homme le plus savant de son époque " il fut aussi et c'est lui qui le dit " le moucheron contre l'éléphant " dans sa lutte contre Jean Calvin et sa dictature religieuse, il fut pour la liberté de pensée et la liberté religieuse.

En 1536 de façon démocratique Genève choisit la religion réformée. Calvin va s'imposer comme chef spirituel " Cet homme sec et dur, enveloppé dans sa robe noire et flottante de prêtre" homme de pouvoir, rigide, fanatique certain du bien fondé de sa doctrine, il va imposer à tous une " tentative d'uniformisation absolue de tout un peuple "
Les fêtes sont supprimées, la musique est bannie, sourire lors d'un baptême peut vous valoir la prison ! on légifère sur la longueur des robes des femmes, les enfants sont invités à dénoncer les turpitudes de leurs parents. Il est interdit d'écrire à l'étranger, interdit aux époux de se faire des cadeaux " interdit, interdit, interdit: on n'entend plus que cet horrible mot" et quand l'intimidation, l'encouragement à la délation et l'appel au meurtre ne suffisent pas, on utilise l'emprisonnement et le meurtre.
Pour que triomphe sa doctrine Calvin "intellectuel délicat et pieux" impose un régime de terreur à la ville perdant "toute mesure et tout sentiment humain"
Les Genevois subissent le joug sans révolte. La couardise des chefs religieux pendant l'épidémie de peste qui fait rage trois années durant sera la première interrogation sérieuse sur l'infaillibilité de Calvin et de son entourage, mais insuffisante pour mettre à mal son pouvoir.
Lorsque Michel Servet est condamné au bûcher en 1553 pour avoir défendu des thèses considérées comme hérétiques par Calvin, des voix s'élèvent.
Cette condamnation était une nécessité politique pour Calvin, son autorité était défiée. le procès fut une caricature inique et ridicule, la mort fut barbare et Calvin se garde d'y assister.
Sébastien Castellion homme d'une foi profonde s'est déjà heurté au maître de Genève, celui-ci l'a poursuivi de sa hargne, le contraignant à l'exil et à la pauvreté. Il va être le seul intellectuel à s'indigner publiquement.
Castellion va utiliser la seule arme pacifique à sa disposition, il va prendre la plume contre Calvin, contre " le premier meurtre religieux commis par la Réforme et la première négation éclatante de sa doctrine primitive".
Castellion est très sévère " Les premières exhortations de Calvin ont été des injures, la seconde a été la prison et Servet n'a comparu devant les fidèles que pour être hissé sur des fagots et brûlé vif."
Le tempérament de Castellion le porte vers la conciliation, l'indulgence, mais dit Stefan Zweig " Il faut qu'une voix claire et nette s'élève en faveur des persécutés et contre les persécuteurs."
Castellion malgré le danger publie un Traité des hérétiques Calvin s'appuie en permanence sur la Bible ? Castellion va faire de même, il affirme que la notion même d'hérétique n'apparaît pas dans les textes sacrés et que " Nous estimons hérétiques tous ceux qui ne s'accordent avec nous, en notre opinion" il faut ajoute t-il "Mettre fin une fois pour toutes à cette folie qu'il est nécessaire de torturer et tuer des hommes uniquement parce qu'ils ont d'autres opinions que les puissants du jour " Il s'oppose à Calvin au nom de la tolérance qui " seule peut préserver l'humanité de la barbarie."
Zweig nous le présente comme un homme courageux "Avec héroïsme il ose élever la voix en faveur de ses compagnons poursuivis, risquant ainsi sa propre vie. Sans le moindre fanatisme, quoique menacé à chaque instant par les fanatiques, sans aucune passion, mais avec une fermeté inébranlable, il brandit telle une bannière sa profession de foi au-dessus de son époque enragée, il proclame que les idées ne s'imposent pas, qu'aucune puissance terrestre n'a le droit d'exercer une contrainte quelconque sur la conscience d'un homme. "
Sébastien Castellion va payer le prix fort pour son courage, Calvin le harcèle, fait brûler ses écrits, il est injurié, des pamphlets sont écrits contre lui, on le prive de travail et donc de ressources. Seule une mort par épuisement à 48 ans lui épargnera la prison ou le bûcher.
C'est un grand livre que Stefan Zweig a écrit, un livre qui honore Castellion et Zweig. C'est un plaidoyer, une dénonciation et une mise en garde. Ecrit en 1936 sa dénonciation de la tyrannie, de la suppression d'une pensée libre résonne de façon prémonitoire.
Zweig fait le rapprochement entre l'action de Castellion et les manifestes pour la liberté que sont ceux de Voltaire en faveur de Calas, de Zola, qu'il admire en faveur de Dreyfus, mais il place Castellion au-dessus de tous car, Voltaire jouissait de l'appui des rois et Zola s'appuyait sur sa notoriété, Castellion lui " eu à souffrir de l'inhumanité furieuse et meurtrière de son siècle"
En 1936 Zweig espère encore en l'homme et termine ainsi son livre " Il se trouvera toujours un Castellion pour s'insurger contre un Calvin et pour défendre l'indépendance souveraine des opinions contre les formes de la violence"
Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Voilà un livre choc, qui laisse sans voix. Très bien écrit, puisque l'auteur en est Stefan Zweig et qu'on ne présente plus sa plume, le livre se lit comme une enquête, un thriller juridique (mais avec les bûchers en plus) et intemporel, puisque la violence a, malheureusement, pauvres de nous, toujours raison, et que la voix de la conscience, défendant la liberté de penser est vite écrasée.

Nous sommes ici au début du 16è siècle et Calvin dirige Genève d'une main de fer. Les premiers chapitres décrivent avec brio la personnalité de Calvin vu par Zweig, et son ascension au pouvoir. Sincère mais despotique, il veut le meilleur pour sa ville, et tout le monde surveille tout le monde pour vivre dans le droit chemin. Surgit Servet, un illuminé, qui réfute le dogme chrétien de la Trinité. Fuyant l'Inquisition catholique, il tente de se réfugier à Genève mais son comportement est tel qu'il en sera chassé. Convaincu d'avoir trouvé la vraie doctrine, il multiplie les provocations, monte une imprimerie clandestine, vit sous un faux nom et cherche à publier ses écrits. Calvin essaie tout d'abord de le dénoncer à l'Inquisition catholique, mais Servet, par bravade ou pour une autre raison inexpliquée, revient à Genève et provoque Calvin jusque dans son église ! C'en est trop pour ce dernier qui va le faire arrêter, condamner pour hérésie, et brûler vivant en place publique.

Entre en scène Castellion, qui s'était fait discret, réfugié à Zurich, après avoir été chassé de Genève des années auparavant par Calvin. Castellion est un érudit, discret, humaniste. Il fait publier un « traité des hérétiques » sous un nom d'emprunt, dénonçant les crimes commis à leur encontre, suivit de près par le texte « Contra libellum Calvini », dans lequel il inculpe Jean Calvin de meurtre commis sur la personne de Michel Servet. Un chapitre entier y est consacré, présentant les arguments de Castellion point par point. Castellion y met Calvin dans l'impossibilité de justifier son acte en invoquant un ordre supérieur, émanant de Dieu : pour lui, il n'y a pas de commandement divin ou chrétien qui ordonne la mort d'un homme. « Tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme. »

Mais, comme le dit Castellion lui-même dans son pamphlet, il n'est que « le moucheron contre l'éléphant », et la répression sera terrible, il sera poursuivi, insulté, et très vite accusé d'hérésie du fait de son amitié avec un ancien anabaptiste. Il meurt cependant subitement avant que l'étau ne se referme sur lui.

Bien sûr, le livre est beaucoup mieux écrit et plus complet que ce que je ne vous raconte ici. Zweig distingue beaucoup mieux les subtilités entre le pouvoir religieux et le pouvoir temporel dont dispose Calvin à Genève, ainsi que le fait Castellion lui-même dans ses écrits. Zweig maîtrise également beaucoup mieux les différentes doctrines (Luther, Calvin, prédestination, anabaptisme, Inquisition catholique et d'autres encore) dont il est question dans le livre.

Son propos est de souligner combien un doctrinaire, même habité des meilleures intentions du monde, peut en venir à oublier toute humanité quand il détient le pouvoir et que l'on ne pense pas comme lui.

Castellion écrira : "Je ne vous envie ni votre force ni vos armes. J'en ai d'autres, la vérité, le sentiment de la justice, et le nom de celui qui me vient en aide et m'accordera sa grâce. Même opprimée pour un certain temps par ce juge aveugle qu'est le monde, la vérité ne reconnaît aucune force au-dessus d'elle. Laissons de côté le jugement d'un monde qui a tué le Christ, ne nous soucions pas de son tribunal, devant lequel seule triomphe la cause de la violence. le véritable royaume de Dieu n'est pas de ce monde."

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