Roman inachevé publié à titre posthume, et dont la rédaction, étalée sur une dizaine d'années (1930-39), reflète les différences de ton entre les deux parties de l'oeuvre. Il semble prémonitoire du désespoir et de la fin de l'écrivain, suicidé en 1942.
Christine est une jeune femme de vingt-huit ans, employée de la Poste d'une petite ville en Autriche, Klein-Reifling. On est en 1926, et l'empreinte de la Première Guerre est forte : décès dans les familles (Christine a perdu son père et son frère), pénurie, pauvreté.
Christine, qui ne sait plus être joyeuse, ne se réjouit pas quand une tante d'Amérique lui offre de les rejoindre, elle et son mari, dans les Alpes suisses, à Pontresina, pour une quinzaine de jours. Elle craint de laisser seule sa mère très malade, mais s'y résout finalement et prend le train. Honteuse de son bagage si mince, de ses pauvres guenilles râpées, de ses chaussures usées, alors qu'elle découvre avec émerveillement un milieu riche, fastueux, élégant, dès que sa tante a renouvelé sa garde-robe et son allure.
Elle prend le nom, de consonance noble, van Boonen, de ses oncle et tante, et connaît cette
ivresse de la métamorphose qui donne son titre au roman : elle goûte pleinement les plaisirs liés à l'aisance matérielle, transforme sa morosité en allégresse et sociabilité, et attire sur elle l'attention des jeunes gens de la station. Elle en oublie son ancienne condition sociale, qu'elle va jusqu'à renier, tout en s'interrogeant sur elle-même, sur sa personne.
Enthousiaste jusqu'à la désinvolture, elle ne se rend pas compte de ce qui se trame dans son dos, l'attirance pour les promesses d'héritage qu'elle suscite, ou la jalousie de personnes dont elle prend la place. La réalité de sa condition modeste est révélée, la société de la station la désavoue, et Christine est chassée par sa tante, effrayée par le scandale qui menace. C'est piteusement qu'elle quitte Pontresina.
De retour chez elle, Christine enterre sa mère qui vient de mourir, et reprend sa vie de misère. Lors d'une escapade à Vienne, elle rencontre Ferdinand, un jeune homme qui a perdu onze ans en captivité, a été amputé de deux doigts. Infirme qui travaille pour un salaire minable, il se présente avec des sautes d'humeur, une virulence tournée vers la société de l'argent, les élites, les bourgeois, les injustices, les détournements perpétrés par l'État voleur. Christine et Ferdinand se voient tous les dimanches, se réconfortent l'un l'autre, mais ne peuvent que faire le constat de leur pauvreté, de leurs limites, de leur manque de perspectives. Ils sont animés par la même révolte et le même désir de revanche. Jusqu'au jour où se dessinent une intention démoniaque, un projet crapuleux pour sortir de cette vie de misère, la perspective de devenir riche en volant la Poste et l'État. Plan risqué, mais minutieusement étudié par Ferdinand, et sur lequel s'arrête le roman. Vont-ils inverser une tendance à perdre ? On ne saura pas, tandis que l'arme pour se suicider est prête, en cas d'échec.
Stefan Zweig est parfaitement convaincant dans ses descriptions d'une société opulente comme des bas-fonds urbains, dans ses analyses psychologiques comme dans leurs évolutions, dans la détermination à lutter contre l'injustice, la guerre, les égoïsmes. Finalement, roman psychologique ou pamphlet sociologique ? L'écriture de Zweig se reconnait vite, toute en finesse, limpide, cristalline, elle épouse son propos sans s'encombrer de fioritures, mais s'attachant à être juste, précise, circonstanciée.
Un roman parfois un peu redondant, avec quelques démesures, gérées avec aisance et habileté. Un roman exaltant, vivifiant, nourrissant.