Lecture de Frédéric Vitoux tiré du livre Figures d'écrivains, dirigé par Étienne de Montety.
Découvrez un portrait inédit de la littérature française. La visage, la plume et la voix de 70 grandes figures des lettres réunies pour un cadavre exquis historique.
Pour en savoir plus : https://www.albin-michel.fr/figures-decrivains-9782226436351
...la présence immuable des animaux, les chiens, les chats, Bebert et les autres, toujours comme une gràce, une magie, un mensonge qui vous délivrent un instant de l'abominable pesanteur des hommes!
En un mot, si l’humour n’est pas digne d’être pris au sérieux, on ne voit pas très bien ce qui mériterait de l'être.
En recevant ce jour-là à déjeuner Gioacchino Rossini et Henri Beyle, le comte et la comtesse Nencini accueillaient le compositeur le plus illustre de leur temps et un Français qui, aussi obscur et dépourvu de réputation qu’il fût, avait été reçu les mois précédents par la meilleure société milanaise, s’était lié d'amitié avec l’abbé di Breme qui en régentait les esprits, avait séduit le poète Silvio Pellico (qui allait bientôt devenir dans sa forteresse du Spielberg le prisonnier politique le plus pleuré d'Europe) et avait même durablement impressionné le célébrissime et sulfureux Lord Byron un soir d'octobre à la Scala.
Mais le comte et la comtesse Nencini mesuraient-ils vraiment ce privilège ?
Sa voix tremblait d'admiration et de passion. Et il aurait été bien impossible de savoir si cette admiration, cette passion s'adressaient à la seule comtesse Nencini ou au tableau qu'il avait accroché en face de son lit.
Et Beyle crut apercevoir là un trait du caractère italien. Un Français affichera dans son salon la peinture dont il s'enorgueillit. Un Italien qui aime un tableau l'accroche en face de son lit pour le voir en s'éveillant et son salon reste sans ornement ! Il veut du plaisir et pour lui le paraître n'est rien.
Pour Céline les animaux sont ceux d'abord qui ne parlent pas, qui ne mentent pas. Ils ont pour eux la grâce, le mystère, la connaissance intuitive des choses, une forme d'innocence. ils rappellent à l'homme les échos affaiblis d'un paradis perdu. Depuis le petit chien de son enfance, Céline avait cessé de partager sa vie avec des animaux domestiques. Il n'adoptera le fameux chat Bébert que bien plus tard, sous l'Occupation.
Il pleuvait d'une petite pluie chaude et lourde, le 4 juillet [1961] au matin, quand Céline fut inhumé dans un caveau provisoire au cimetière de Meudon. Ils n'étaient pas cinquante à l'accompagner [le souhait de Céline]. Les vieux amis. Les fidèles. " Un enterrement incomparable que méritait Céline " dira Lucien Rebatet.
J'ai parfois songé à écrire un petit traité relatif aux insultes, ou du moins à rassembler un florilège de celles-ci. En soulignant ce principe fondamental de la répétition des attaques.
Trois exemples me viennent à l'esprit.
L'injure la plus terrible, celle de Jules Renard à l'un de ses détracteurs dont le nom a disparu (tant mieux pour lui !) : « Vous ne direz jamais autant de mal de moi que j'en penserais de vous, si je pensais à vous. »
La plus drôle, celle de Gabriele D'Annunzio à l'adresse de Marinetti, l'apôtre du futurisme : « Un crétin traversé par des éclairs d'imbécillité. »
Et la plus impitoyable ou la plus clairvoyante, chacun en jugera, celle de Claudel exaspéré par les surréalistes qui s'acharnaient contre lui dans leurs manifestes d'adolescents provocateurs : « Des imbéciles qui voulaient se faire passer pour des fous. »
Dès qu'il n’était pas tenu de séduire, dès qu'il ne cherchait pas à briller dans un salon, Beyle retrouvait ses esprits et son esprit, son naturel et son goût des paradoxes, son intelligence si vive et son sens de la formule, qu’il dilapidait avec la plus parfaite prodigalité.
Une observation m’a toujours amusé - ou attristé, selon mon humeur : les tournées de films, quand sont recrutées des centaines de fîgurants pour incarner, un ou deux jours durant, les soldats d'une armée, une foule avec ses bourgeois et ses ouvriers ou encore des prisonniers rassemblés dans un camp, sous la surveillance de gardiens...
Eh bien, à la pause, au moment des repas, ces figurants à qui ont été confiées, de façon arbitraire, des tenues d'offciers ou de simples soldats, de notables ou de prolétaires, de bagnards ou de geôliers, se regroupent spontanément entre eux. Ah ! non, un lieutenant ne va tout de même pas fraterniser avec un trouffion, un notaire avec un charpentier, un repris de justice avec un représentant de l'ordre ! À chacun sa place ! À chacun son grade, sa classe ou son statut !
Existait-il un homme plus sociable et généreux que Diderot ?
Gaffeur peut-être, à l'occasion, mais empressé à se faire pardonner.
Autant il détestait les mondanités, les vains bavardages, « cette langue froide et vide de sens qu'on parle aux indifférents », autant il était disposé a consacrer du temps à ses amis, à converser avec eux.
Si ses livres, ceux que l'on ne cesse aujourd'hui de lire ou de relire, nous touchent à ce point, c'est qu'ils semblent écrits en forme de longues conversations. Diderot considérait ses lecteurs comme des proches, dignes de ses confidences — et ses Salons ne dérogeaient pas à cette forme-là.