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Citations de Abel Chevalley (29)


La Bête m'est devenue l'image du mal et du malheur, inséparables de toute vie, inexplicables comme elle. S'il y avait explication totale, c'est qu'il n'y aurait pas eu mystère. Or, j'en suis venu à croire que c'est le mystère qui, d'abord, est.

Chapitre 6
La fin de la Bête
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J'ai vu, depuis le temps de ma jeunesse, des hyènes de Barbarie. Elles m'ont fait penser à la Bête. J'ai ouï dire qu'en des siècles très lointains, une espèce de hyène qui tenait du loup a vécu dans le pays qui s'appela depuis la Gaule. Des loups, dits « carnassiers », ou mangeurs d'enfants, ont paru, de temps à autre, avant la Bête du Gévaudan, dans maintes provinces françaises, avec certains des traits que je lui connais. Est-il possible d'imaginer une descendance graduelle, affaiblie, raréfiée, d'âge en âge, à ce loup-hyène des temps préhistoriques ? Et le Gévaudan aurait-il été son dernier asile ? Comment aurais-je pu, petit « Pantre » que j'étais, jouvenceau de dix-huit ans, plus ignorant encore que je ne le suis aujourd'hui, vérifier des suppositions de ce genre, incapable que j'étais même de les former ?

Chapitre 6
La fin de la Bête
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Le fait demeure qu'à la fin de juin, les terribles ravages qui ensanglantaient le Gévaudan cessèrent définitivement. Mais pourquoi et comment ? Le saura-t-on jamais ? La Bête n'était-elle qu'un loup, ou plusieurs ? Comment expliquer ces descriptions concordantes, ou ce qu'il y a de concordant dans ces descriptions qui la représentent tout autre ? Comment imaginer tout un peuple, à qui les loups étaient aussi familiers et pas plus mystérieux que les renards ou les blaireaux, se leurrant à ce point ? Et pourquoi ces loups auraient-ils soudain cessé de manger les moutons ? Préféraient-ils à tel point les enfants que de se passer d'agneaux ? Et pourquoi ces loups mangeurs de fillettes et de garçonnets auraient-ils soudain sévi ? Et d'où venaient-ils ? Et que devinrentils ? Jusqu'où reculer la chaîne des prétendues causes — ou la prolonger ? En quoi l'espèce, création de l'esprit, peut-elle limiter la nature ? Y a-t-il donc quelque chose de tellement inviolable, et net, et précis, entre ce que nous appelons chien, par exemple, et ce que nous appelons loup, entre ce que nous appelons loup et ce que nous appelons hyène ? La chaîne des êtres est-elle continue ou brisée ? Peut-on admettre des croisements ? Des hybrides ? Y aurait-il eu jadis entre loups et chiens, ou hyènes, ou chacals, ce que sont mules et mulets entre âne et cheval ?

Chapitre 6
La fin de la Bête
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Une grande retraite a lieu dans toutes les paroisses pour prier la Vierge Marie d'intervenir. A la fin de cette retraite, un premier pèlerinage eut lieu à Notre-Dame de Beaulieu, un peu au nord de Paulhac, au pied du Mont Chauvet. Il y avait là un refuge dont on voit encore les restes. La chapelle est en ruine. Les prêtres des paroisses environnantes s'y rendirent en procession avec leurs fidèles. On célébra la messe au milieu d'une foule fervente. On communia. Jean Chastel était venu, armé, avec son fils Pierre, et fit bénir trois balles.

Chapitre 6
La fin de la Bête
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Pendant les deux mois qui suivirent l'exploit d'Antoine, on n'entendit plus le sinistre tocsin qui, depuis une année, annonçait de village à village une nouvelle tragédie. Chez nous, on n'entend pas seulement le tocsin, on le voit, car les clochers sont à jour. Les cloches luisent en frémissant. Mais ce silence nous semblait plus sinistre encore que les appels d'airain, car nous devinâmes bientôt qu'il était commandé. Les fausses Bêtes d'Antoine étaient à peine expédiées, que la vraie (ou les vraies) avait déjà reparu. Mais il était apparemment défendu d'en rien savoir, puisque même nos curés restaient sourds et leurs cloches sans voix. Seul, ou presque, M. Ollier, de Lorcières, avait le courage, au prône, au village, chez ses confrères, partout où il passait, de crier au mensonge et de dire que la Male Bête était toujours là.

Chapitre 6
Fin de la Bête
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Vers le même temps, le bruit commençait à courir que le Morangiès, perdu de dettes et pourri de débauches, était dans le cas d'avoir vendu son âme au diable...

Chapitre
La Bête et le Roi
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(...) nous espérions en M. Antoine, envoyé du roi contre la Bête. Cette fois encore, elle sembla comprendre qu'un ennemi sérieux survenait. Pendant quelques jours, on ne la vit point. Elle avait disparu de la même façon devant du Hamel et d'Enneval. On ne manqua point de le remarquer. Sentait-elle les nouveaux venus ? Leurs chiens ? Ou bien était-ce une bête douée d'intelligence, de seconde vue.

Chapitre
La Bête et le Roi
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M. Antoine mit le pied en Gévaudan, le 21 juin. C'est à l'équinoxe d'automne, le 21 septembre, qu'il s'octroya le triomphe. Pendant ces trois mois, il ne vit jamais la Bête, qui tuait chaque jour à sa porte, à son nez. Il ne tua pas un seul loup. C'était un homme de soixante-dix ans environ, haut en couleur et plein d'assurance.

Chapitre
La Bête et le Roi
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M. Antoine arriva chez nous avec un énorme prestige. Pensez donc : le porte-arquebuse du roi ! Un homme qui parlait tous les jours à Sa Majesté, au moins les jours de chasse... On ne pouvait s'empêcher, toutefois, de songer aux échecs successifs de du Hamel et de d'Enneval. Ceux-là aussi, on les avait crus d'abord irrésistibles.

Chapitre
La Bête et le Roi
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Mais nous étions tous comme au seuil d'un mystère, au bord d'un gouffre, craignant à la fois d'avancer et de reculer.

Chapitre 3
La Bête et les louvetiers
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Nous étions divisés entre nous, et chacun en soi-même. Nous ne savions qui croire. On ne parlait pas de sorciers, mais on y pensait constamment. Tous ceux qui avaient eu naguère la réputation de double vue étaient à la fois craints et flattés. On se détournait d'une lieue pour les éviter. Mais si l'on venait à les rencontrer, on se faisait tout aimable. La paroisse de la Besseyre était célèbre par ses sorciers. Le Diable, disait-on, y avait jadis habité. Chacun savait, au reste, qu'il avait son château fort à Javols, château aussi invisible qu'imprenable. L'œil humain n'en pouvait distinguer que des ruines. Les esprits forts du Malzieu prétendaient que Javols était une ancienne capitale gauloise, sanctuaire druidique. Mais M. de Gumbera ayant une fois appuyé leurs dires, personne n'y ajoutait plus foi complètement. D'ailleurs, c'était l'esprit du diable qui habitait Javols. Son corps était partout où il le voulait, et partout à la fois. Il aimait la chair fraîche ; il avait besoin d'enfants, de jeunes filles, de femmes. Telle, la Bête...

Chapitre 3
La Bête et les louvetiers
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Et, en effet, il y avait dans le monstre quelque chose de diabolique et d'humain à la fois, de surnaturel et d'animal ; il pouvait y avoir aussi dans ses victimes quelque chose de bassement attirant pour elle.

Chapitre 3
La Bête et les louvetiers
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M. d'Enneval aurait voulu parler à un certain Antoine Chastel, garde des bois de la Ténazeyre, fils de Jean Chastel, de Besseyre. Personne ne l'a vu. Il vit, du reste, en sauvage, et les hommes paraissent avoir peur de le nommer. Ils disent « l'homme » en parlant de lui.

Chapitre 3
La Bête et les louvetiers
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Une femme s'était révélée, la plus faible et la plus pauvre des femmes, mais une mère. Elle avait empoigné la Bête de ses mains, s'était jetée sur son dos, et l'avait montée comme une bourrique... Geste vengeur ! Voici en quels termes la Gazette de France du 22 mars 1765 raconte l'épisode : « Le 14 de ce mois, une femme du Pouget (à mi-chemin entre Saugues et Saint-Alban), étant vers le midi, avec trois de ses enfants sur le bord de son jardin, fut attaquée brusquement par la Bête féroce, qui se jeta sur l’aîné de ces enfants, âgé de dix ans, lequel tenait entre ses bras le plus jeune, encore à la mamelle. La mère, épouvantée, alla au secours de ses deux enfants et les arracha tour à tour de la gueule de cet animal, qui, lorsqu'on lui en ôtait un, se saisissait de l'autre. C'était surtout le plus jeune qu'elle attaquait avec le plus d'acharnement. Dans ce combat qui dura quelques minutes, cette femme courageuse reçut, ainsi que ses deux enfants, plusieurs coups de tête de l'animal, qui déchira et mit en lambeaux leurs vêtements. Enfin, voyant qu'on lui enlevait ses deux proies, la Bête féroce alla se jeter avec fureur sur le troisième enfant, âgé de six ans, qu'elle n'avait pas encore attaqué et dont elle engloutit la tête dans sa gueule. La mère accourut pour le défendre : après avoir fait des efforts inutiles pour arrêter cet animal, elle sauta à califourchon sur son dos, où elle ne put se tenir longtemps. Pour dernière ressource, elle chercha à saisir la Bête par une des parties de son corps qu'elle jugea la plus sensible. Mais les forces lui manquant tout à fait, elle fut obligée de lâcher prise et de laisser son enfant à la merci du monstre. Dans ce moment, un berger, apercevant cet animal qui emportait l'enfant, accourut armé d'un bâton, au bout duquel il avait attaché une lame de couteau. Il porta quelques coups à la Bête, mais sans lui pouvoir faire aucun mal. Elle sauta par-dessus une haie et un tertre de dix pieds de haut, tenant toujours l'enfant dans sa gueule. Le berger avait avec lui un mâtin de la plus haute taille qui courut après la Bête, la joignit à trente pas de là et donna dessus, ce qu’aucun chien n'avait encore osé faire. Elle laissa alors tomber sa proie et, se retournant vers le chien, elle l'enleva d'un coup de tête sans le mordre et le fit tomber à vingt pas de là. Après quoi, elle prit la fuite. L'enfant, qu'elle avait laissé, a la lèvre supérieure emportée, le cartilage du nez entièrement mangé, une joue déchirée, et, ce qu'il y a de plus dangereux, toute la peau de la tête est enlevée et tombant à droite et à gauche sur les épaules. Il y a tout à craindre pour sa vie. Qu'on se figure l'état de sa malheureuse mère à ce spectacle. Elle arriva, accablée de lassitude, le visage baigné de larmes de tendresse et de douleur, le cœur partagé entre la joie d'avoir sauvé deux de ses enfants et le désespoir de voir le troisième si cruellement déchiré. Cette respectable mère s'appelle Jeanne Chastan, femme de Pierre Jouve. Elle est âgée de vingt-sept à vingt-huit ans, d'une complexion très faible et même d'une mauvaise santé. Avant cette action, elle jouissait déjà de l'estime publique par sa sagesse et ses bonnes mœurs.
« Le roi, informé de la belle et courageuse action de cette femme, a ordonné qu'il lui soit donné une récompense. »

Chapitre 2
La bête et les dragons
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(...) la fortune est promise à qui tuera la Bête. Il faut, pour cela, qu'il n'y ait qu'une Bête. On ne le saura que si les ravages cessent après sa mort. Mais qui la tuera ? Un de ces vingt mille rustres qui rabattent ? Lequel de leurs hobereaux ? Un dragon ? Un piqueur ? Ou bien moi, d'Enneval, ou bien nous ? Il faut se surmener, tout surveiller, être à tout prix au bon endroit, le bon jour, au bon moment. Quel métier ! quel labeur ! quelle vie ! Même ces messieurs d'Enneval, père et fils, n'y peuvent tenir trois mois...

Chapitre 2
La bête et les dragons
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Au Gévaudan, religion et superstition sont encore aujourd'hui très étroitement mariées. Mais alors, les puissances occultes étaient toutes-puissantes. Les esprits y étaient tournés vers le tragique et le merveilleux. Dès le début de la catastrophe, bien entendu, l'apparition du Malin avait été signalée. Un jour, des femmes des Escures, paroisse de Fournels, se rendaient à la messe. Un homme à la poitrine velue, aux mains fourrées de poils, les rejoint, silencieux, énigmatique. Elles tremblent. Il disparaît, comme par miracle, juste au seuil de l'église. La Bête est vue dans la matinée près du village. Auprès de Saugues, des femmes montent à dos de mulets vers un col, deux ou trois sur la même bête. L'homme silencieux qui les accoste a un fusil rouillé. Il dit qu'il va tuer la Bête. Une des femmes ne sait pas se tenir et glisse de la croupe du mulet vers l'arrière. Cet homme l'aide à se redresser. Elle sent contre sa peau une main râpante, couverte de poils qui brûlent. Elle pousse un cri... Toutes meurent d'effroi. L'homme les quitte aux bois du Favart. Une heure après, elles apprennent en route que la Bête est aux bois du Favart...

Chapitre 2
La bête et les dragons
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Il faut décidément, au Gévaudan, des spécialistes, des professionnels ayant voué leur existence à la destruction des fauves. Les meilleurs ne seront pas trop bons. Le ministre fait appel à M. d'Enneval, gentilhomme d'Argentan, dans la Haute-Normandie, qui, depuis quarante ans, a détruit douze cents loups. Sa renommée est universelle. A soixante ans, il est d'une vigueur miraculeuse. Son épieu en main, il suit pendant des jours entiers ses limiers à travers les bois les plus épais. Il chasse sur ses jambes. Il tue de ses propres mains. Voilà l'homme qu'il faut. Il partira donc avec son piqueur, ses valets, ses limiers. Allons, qu'il prenne la poste royale, lui et tout son équipage. Qu'il crève chevaux et postillons. Qu'il brûle les relais. Mais qu'avant mars, il soit dans le Gévaudan.

Chapitre 2
La bête et les dragons
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Mais, enfin, le métier des dragons n'est pas de détruire les bêtes sauvages. Ils ne rendent que sur le gibier humain.

Chapitre 2
La bête et les dragons
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Certes, je ne saurais décrire avec précision la Bête qui mutila Jeanne, l'ayant à peine vue, mais j'avais vu beaucoup de loups. Et, soit que mes impressions d'alors, comme aujourd'hui mes souvenirs, fussent colorés par les récits que j'avais entendus, soit que ce fût la vérité, cette Bête me parut très différente des loups. D'abord, elle était rayée sur le dos : une large raie noire en longueur, allant du cou à la queue. Cela, j'en jurerais. Puis le museau effilé. Enfin, la queue très longue, très fournie, extraordinairement mobile, haute en l'air quand l'animal était tombé sur nous, fouettante pendant notre courte lutte, basse quand il s'enfuit. La gueule démesurée, effrayante, puante. Couleur ? Je ne saurais trop dire ; celle de nos vaches, rougeâtre, il me semble. Je ne me souviens avec intensité que de la raie ; et aussi de la mâchoire formidable qui semblait attachée directement au poitrail, et forte à broyer des rocs. C'est là tout ce que je puis honnêtement dire.

Chapitre 2
La bête et les dragons
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L'insuccès de M. du Hamel n'écœurait pas seulement les paysans. Les curés ne se cachaient pas pour dire, et sans doute pour écrire, que l'on avait eu bien tort de faire appel aux militaires. De Mende à Montpellier, par le délégué du Diocèse, de Montpellier à Versailles, par l'intendant, M. de Saint-Priest, et le contrôleur général, M. de Laverdy, l'opinion s'était établie, dès janvier, que pour chasser, il faut des chasseurs, non des gendarmes. Je me suis rendu compte depuis lors que, même avant l'échec des grandes battues du début de février, le ministre d'Etat, M. de Saint-Florentin, avait désigné le remplaçant de M. du Hamel.

Chapitre 2
La bête et les dragons
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