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Citations de Abigail Assor (21)


Ce serait comme ça qu'elle marcherait vers lui le jour de leur mariage, un bouquet de roses blanches dans les mains, une ribambelle d'enfants tenant sa traîne; ce serait comme ça qu'elle marcherait toute la vie maintenant.
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Mais il ne voyait pas l’éclatante vérité : les chaînes qui nous ligotent, il vaut mieux les porter autour du poignet, en plaqué or. (p.204)
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Tout, chez Driss, c'était l'argent ; sa langue, c'était l'argent, et pourtant Sarah avait oublié l'argent - le sujet de l'argent. Il y avait longtemps qu'elle n'avait plus rêvé de sa future villa à Afna Supérieur, avec des couronnes, des diamants sur le sol. Sa grande piscine couleur de ciel, la cognac dans les verres en cristal, les domestiques à renvoyer, le mariage en caftan fait de fils d'or sur les plateaux de cuivre au son des darboukas, elle les avait oubliés. Maintenant, l'horizon, c'était la peau.
C'était ce qu'elle avait pensé après les paroles de Chirine : que son horizon, maintenant, ce n'était plus l'argent, que c'était devenu la peau, leur peau à tous les deux puisque sa peau à elle, c'était sa peau à lui et vice versa. Ça n'avait l'air de vouloir rien dire comme ça, mais lorsqu'on a marché tous les jours de sa vie avec sa seule peau à soi, sa peau à soi seule dans les rues, dans les marchés noirs de monde, les bidonvilles, le poing serré, toujours prête à courir ou à insulter et que, du jour au lendemain, on se retrouve avec une autre peau constamment à côté de soi, dans le calme d'une petite maison près de l'eau qui ondule, une peau qui ne dit rien, qui joue au 1000 bornes, qui accepte, qui n'exige pas et qui donne, alors on ne sait plus comment faire pour vivre comme avant, sous sa peau de solitude - elle ne suffit plus. On ne sait même plus faire sereinement un pas près de l'autre dans la turbulence du dehors. A force d'être là, tous les jours, silencieux à côté d'elle, Driss était devenu l'air et il était aussi le sol.
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Vraiment, ma fille, c'est comme ça ici comme c'est partout, dans ce pays ; il y a toujours quelqu'un qui est là pour te dominer. Dominer, je te jure, on dirait que c'est la langue nationale. Moi, si j'étais à ta place, si j'avais le passeport, je prendrais un avion, j'irais en France. Il paraît que, là-bas, tous les gens sont égaux. Tu te rends compte ? Là-bas, les gens sont égaux.
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La fois suivante, c'était à La Notte. Yaya était passé la prendre dans un taxi - parfois, il avait un taxi. C'est à un frère, il disait, on fait ness-ness - ça signifiait moitié-moitié, et c'était aussi comme ça qu'on appelait les cafés au lait. Depuis que Sarah avait compris que les garçons payaient des cafés à l'infini pour qu'elle reste assise devant leurs yeux à une table du Campus, elle commandait un ness-ness après l'autre, les buvant d'un trait pour immédiatement agiter la main vers le serveur et relancer fièrement : un ness-ness ! Pour le dire bien, il fallait n'en prononcer que les consonnes, ce qui demandait de la violence, un mouvement sec de la tête, comme un guépard sur le qui-vive, un guépard qui, soudain, sortait une langue de serpent fendue à l'extrémité, et attaquait, sifflant : un ness-ness. Elle répétait frénétiquement le jeu, inépuisable. En face, le garçon la regardait gesticuler ainsi, vider la tasse, lever le bras avec empressement, tapoter la table sale de ses doigts impatients, irritée jusqu'à, enfin, l'arrivée d'un nouveau ness-ness et la reprise instantanée du petit cirque. Quand l'envie de vomir commençait à la prendre et qu'elle demandait de la Sidi Ali, la conversation pouvait commencer.
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Mais il ne voyait pas l'éclatante vérité: les chaînes qui nous ligotent, il vaut mieux les porter autour du poignet, en plaqué or.
Folio p. 254
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Elle n'en connaissait pas d'autres, de fille de seize ans, qui soldaient leur ventre comme elle, y faisaient pousser des enfants pour faire dévier les lignes de leur vie misérable. Yaya avait rigolé - arrête tes conneries. T'es loin d'être la seule, petite.
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Quand Driss avait proposé, plus tard, de la raccompagner chez elle à moto, elle avait accepté. Il avait dit: et ton père ? Elle avait dit: y a pas de père. Devant le grillage du bidonville, il avait eu un mouvement de stupeur et puis il n’avait plus rien dit. Entre eux, la vérité s’était installée comme ça, comme une feuille en aiguille qui tombe avec le vent sur une dalle en pierre qu’on ne ramasse pas.
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Dominer, je te jure, on dirait que c’est la langue nationale. Moi, si j’étais à ta place, si j’avais le passeport, je prendrais un avion, j’irais en France. Il paraît que, là-bas, tous les gens sont égaux. Tu te rends compte ? Là-bas, les gens sont égaux. (p.195)
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A La Notte, devant Driss, c’était un cas d’urgence qui nécessitait l’emploi de la formule, et c’était la même chose, le même accent – car ce soir-là, elle mourrait sincèrement de faim, et brûlait elle aussi tout à la fois d’espoir d’une vie meilleure et d’une détresse immense, à l’idée qu’il comprenne, par cette détresse même, qu’elle ne l’aimait pas vraiment. (p.57)
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Les putes s'égosillaient à la porte de tous les mecs qu'elles connaissaient, elles lançaient : je suis amoureuse de toi, ou de toi, ou de toi. En réalité, personne ne voulait jamais d'elles. Les gars du lycée, qui allaient les voir depuis l'âge de treize ans, disaient toujours qu'elles étaient de la racaille de femme, comme des femmes en moins femme ; qu'une femme, ça devait avoir de la dignité. Pourtant, Sarah les trouvait très dignes avec leur regard sans peur, leur argent rien qu'à elles, leurs seins fiers - peut-être qu'en fait on n'aimait pas les putes non pas parce qu'elles étaient moins femme, mais parce qu'elles l'étaient trop.
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Elle avait appris qu'un garçon, ça regarde sans cesse, c'est pire que la police. Ils sont là à lancer leurs yeux partout sur les corps des filles, à approuver, et sanctionner, et surveiller, comme si elles étaient toutes leur propriété. Alors, que les femmes se mettent à se foutre un voile sur la gueule un beau matin, ça ne choquait personne à Casa. On disait : c'est normal, les pauvres, elles sont fatiguées.
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[...] un garçon, on ne peut lui demander qu'un certain type de choses à un certain moment, sinon ça panique. Sarah savait comment ca marchait. Au début, il faut demander des choses très simples.
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Quelques minutes après, ils buvaient leur jus sur les tabourets près du mur. Elle avait demandé qu’on lui mixe des bonbons Tofita pour la première fois, et ils craquaient sous ses dents. 
« Bon. Je te prends avec moi chaque fois que je livre à sa bande. Mais après, pour lui, ce sera à toi de faire le travail.
- D’accord », dit à Sarah en penchant la tête en arrière, buvant les dernières gouttes directement au verre.
Yaya la regarda d’un air amusé.
« Tu veux quoi de Driss ? Des tours à moto ? »
Sarah reposa son verre.
« Je m’en fous de sa moto.
- Des bijoux ? C’est pas le genre à offrir des bijoux.
- Je veux pas de bijoux. »
Avec son verre vide, elle tua une fourmi qui se promenait sur la table.
« Tu veux quoi alors ? »
Sarah regarda le cadavre de l’insecte dans le fond du verre ; il faisait une toute petite tâche, qu’on remarquait à peine sous les restes des fruits. A part la meurtrière , personne ne se douterait jamais du crime - ça la fit rire. Toujours les yeux sur la victime, elle répondit : « Je veux l’épouser. »

Le premier rendez-vous fut fixé au soir même. On irait chez Badr - c’était soirée piscine. 
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Sarah le savait, et peut-être le savait-elle depuis longtemps. Mais ce n’est pas pareil une fois que les mots étaient dits - ils avaient fusillé l’air, l’avaient fendu. Ils se tenaient désormais là, devant elle, impudiques et goguenards, et si elle détournait la tête, ils suivaient en riant le chemin de ses yeux. La vapeur dans laquelle avec Driss elle s’était lovée, aveugle, s’était dissipée désormais - elle voyait. Et voyant, elle haïssait les mots, qui étaient violents (…) Dans ce pays, ils avaient compris avant tout le reste du monde que le plus bouleversant, ce n’étaient pas les choses elles-mêmes ; c’étaient les mots pour les dire.
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Ce qui était bien quand on habitait collé au bidonville des Carrières Centrales, mais pas à l'intérieur, c'était qu'on était un pas plus proche de l'Ouest, d'Anfa Supérieur et donc de l'Amérique
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Vraiment, ma fille, c'est comme ça ici comme c'est partout, dans ce pays ; il y a toujours quelqu'un qui est là pour te dominer. Dominer, je te jure, on dirait que c'est la langue nationale.
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Il aimait prédire, calculer. Ça devait faire tant de bruit à l'intérieur de lui, pensait Sarah - c'était peut-être pour ça qu'il aimait le silence.
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Peut-être ne comprenaient-ils pas que l'argent, par ici, était le seul pouvoir valable, peut-être espéraient-ils profiter de leur temps au Maroc pour - ce mot la dégoûtait - faire des économies ; mais ça ne marchait pas comme ça, la loi des riches et des pauvres, dans ce pays. Kamil disait toujours qu'il n'y avait que les Français pour bafouer à ce point la très claire organisation sociale.
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Enfin, peut-être que les autres, les parents ne les chercheraient même pas, parce que, eux, ils avaient tout de même vingt-trois ans. Mais sa mère à elle, elle la chercherait, c’est sûr.
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