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Critiques de Alexander Lernet-Holenia (10)
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Mars en Bélier

A la mi aout 1939 le comte Wallmoden s'engage dans l'armee comme lieutenant reserviste pour une duree d'un mois, afin de conduire des exercice de routine, sans meme pouvoir imaginer qu'il va tot se trouver implique avec sa troupe dans l'invasion de la Pologne. Ainsi debute ce livre, un debut que Lernet-Holenia n'a pas eu besoin d'inventer, ayant lui-meme vecu cette experience comme engage volontaire (breve en fait, il est vite libere apres etre blesse au deuxieme jour de l'invasion), experience d'ou il tirera les pages les plus realistes et les plus impressionnantes de Mars en Belier.



Comme dans d'autres livres, l'auteur imbrique dans des relations tres concretes d'actions militaires une perspective fantastique, coloree d'onirisme.



Pour ce qui est du fantastique, Wallmoden est donc engage dans l'armee mais il l'est aussi ailleurs. Dans une amourette avec une femme mysterieuse qui l'aguiche autant qu'elle le repousse en de multiples derobades; dans ses etourdissements, ses vertiges, ses reves exaltes; ses reflexions et ses conversations sur des mondes paralleles, ou l'on peut franchir les frontieres entre le reve et l'eveil, entre l'imagination et la realite, entre la vie et la mort.

La femme qu'il poursuit (qu'il aime?) mourra dans une intrigue secondaire et pas importante, mi-policiere mi-d'espionnage, mais en fin de livre, blesse et perdu, il aimera son double, une qui porte le meme nom. Il aura une altercation avec un des capitaines de son unite, realisant apres que l'homme etait deja mort et qu'il avait parle a un fantome. le motif du double, celui de la discontinuite de la vie ou de sa continuite apres la mort sont des aspects connus de la litterature fantastique. Ici ils servent l'auteur a questionner l'identite ontologiquement: quel est le sens reel de ce que nous vivons, quelle est notre reelle personne et est-ce que ce qui la definit le mieux n'est pas un melange de reve et de realite. Lernet-Holenia revient la a des idees qu'il avait deja developpees dans le baron Bagge, ou un pont, comme espace doublement metaphysique et reel, permettait un interlude entre la vie et la mort, une periode de songe de vie jusqu'au parachevement de la mort. Ici aussi il sera question d'un pont, un que les troupes doivent traverser pour entrer en Pologne, et l'auteur en fait le symbole d'un interlude historique, entre deux grandes guerres, lui aussi interlude entre vie et mort: “Les troupes approchaient du pont. L'interlude etait consomme. La guerre revenait".



La guerre, c'est l'invasion de la Pologne. Dont les ultimes preparatifs seront une enigme pour les soldats du rang et son declenchement aura pour eux (aussi?) une allure de surprise. Tous les exercices, les marches forcees, les manoeuvres, les combats, la resistance des polonais, la conquete de villages, avant et pendant les premiers jours de l'invasion, sont magistralement rendus par l'auteur. On croit lire les cables d'un correspondant de guerre, qui enumere les etapes de l'avancee des corps d'armee. Vers le front, ils passent par Jedenspeigen, puis Sedliacka Dubova en Slovaquie, a la frontiere polonaise, face aux monts Tatras. L'attaque commence le 1er septembre. Chyzne, Piekielnik, Jabionka, Nowy Targ, le mont Rozowka, Rabka. le 5 septembre Nowy Sacz. Pres de Wroblowice premiere defense polonaise serieuse. Tarnow. le 14, un regiment atteint Hrubieszów; le 15, une deuxieme unite avance vera le Bug. Puis, Ustilug: grand combat contre des uhlans. Les polonais resistent. Les allemands prennent puis doivent evacuer Ustilug. On peut suivre le mouvement sur une carte et c'est plus vivant qu'un livre d'histoire, car il ne dedaigne de conter ni les actes de bravoure ni les moments de decouragement. Et la resistance heroique des polonais n'est pas mesestimee, ce qui lui a valu sans doute l'interdiction de publication en 1941 (l'ouvrage n'a pu voir le jour qu'en 1946). Et tout cela parseme de passages lyriques: la migration d'une multitude de crabes la nuit d'avant l'attaque, comme s'ils sentaient l'imminence d'une catastrophe; ou la migration de millions de personnes, fuyant vers l'est, laissant derriere eux des animaux desempares; ou la devastation de territoires entiers, de recoltes pietinees, de villages incendies; ou les pages sur la poussiere, levee par les tanks, qui s'immisce partout, une tempete de poussiere qui immobilise des troupes plus que ne le ferait l'adversaire.



Dans tout ce mouvement, Wallmoden revit des rappels de l'autre guerre, elles s'emmelent en son esprit, l'amenant a se preoccuper outre-mesure de l'etat de ses bottes, comme s'il devait encore monter des chevaux et non des tanks. Il croit reconnaitre ses camarades d'antan dans les soldats qui tombent autour de lui, il croit les voir vetus d'anciens uniformes. Sa guerre est un melange de reve et de realite. Mais pour le lecteur Lernet-Holenia reussit a rendre ce reve ce qu'est la realite de toute guerre, un cauchemar.



Je conclus: un livre dans la meme veine que poursuit toujours l'auteur. Je commence a etre habitue. Son premier tiers, tout en dialogues et discussions sur des sujets assez fumeux, a failli me decourager, mais la suite s'est revelee tres reussie. Je peux donc le conseiller, meme si celui que je prefere reste quand meme le baron Bagge.



P.S. Et c'est quoi ce titre, Mars en Belier? Vous pouvez toujours demander a un astrologue. Pour ce que moi je comprends, a la combativite de Mars s'ajoute le courage de Belier, ce qui revient a ajouter de l'huile sur le le feu. Belier est le premier signe du zodiaque, le debut. Mars en Belier = debut de la guerre?

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Le comte Luna

A sa maniere, melant le fantastique et l'histoire, Lernet-Holenia traite ici d'une obsession exacerbee, maladive, qui mene a la mort, charriant au passage plusieurs autres morts, plusieurs assassinats.



1940. Un aristocrate autrichien, Jessiersky, suite a un differend commercial avec un certain comte Luna, le denonce comme opposant aux autorites du Reich et de ce fait l'envoie (a sa mort?) dans un camp de concentration. Mais cette action le travaille, le tenaille, et il finit obnubile par la peur que Luna revienne se venger. Il croit le voir partout, et chaque fois qu'il croit le reconnaitre il le tue, assassinant ainsi de pauvres heres qui ont eu le malheur de croiser son chemin. Dans son obsession il se croit poursuivi - en fait il commence a l'etre vraiment – et il fuit. En Italie il achete un billet de bateau pour l'Amerique, mais avant de partir il s'engouffre dans les catacombes romaines, en un periple d'ou il ne ressortira pas mais ou il rencontrera les esprits d'autres errants et, en d'hallucinations fantasmagoriques, retournera dans le temps et dans l'espace jusqu'au chateau de ses ancetres, quelque part en une Pologne glacee.



Une histoire de chatiment surnaturel? De damnation? De penitence forcee et acceptee? Dans un conflit ou on ne sait plus qui est le bourreau et qui est la victime, Lernet-Holenia nous mene par des sentiers d'un fantastique demesure, chimerique, en des limbes ou la vie et la mort s'emmelent, en un etat intermediaire ou le reve n’est qu’une realite differente.



Lernet-Holenia est fascine par la mort et par le passage de la vie a la mort. Il avait traite cela des 1936 dans Le baron Bagge (ce livre-ci a ete publie en 1955), avec plus de fortune a mon humble avis. Ici j’ai trouve les discussions dans les catacombes autour de l'au-dela ennuyeuses a mourir (c'est le mot :-)). Et les genealogies de Luna et de Jessiersky qui s'etalent sur de nombreuses pages ne le sont pas moins. De toutes facons les differentes parties du livre n'ont pas grand chose en commun, comme si l'auteur avait voulu se decharger de differents manuscrits oublies dans ses tiroirs, qu'il colle ici de facon completement artificielle. Pour tout dire j'ai trouve cela disgracieux.



Bon. Ce n'est pas du meilleur Lernet-Holenia, oh non! J'ai aime nombre de ses livres. Celui-ci, j’essaierai de l'oublier. Pour me raccomoder avec l'auteur je m'en vais entreprendre Mars en Belier.

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L'étendard

Lernet-Holenia joue avec son lecteur. Ce livre debute par une rencontre censee alimenter une intrigue a suspense, continue par une deuxieme rencontre et un amourachement on ne peut plus romanesque, pour finir meler a cela la debacle d'une armee austro-hongroise (nous sommes vers la fin de la premiere guerre mondiale), relatant en fin de compte l'effondrement, social autant que militaire, de l'empire des Habsbourg, son demembrement, en fait la fin de l'idee meme de la Mitteleuropa.



Octobre 1918: le jeune officier Herbert Menis arrive a Belgrade et entame un roman avec une dame de la cour autrichienne. Mais ce roman se deroule dans une ambiance de contrastes: les fastes de la cour face aux privations de la guerre; l’esprit d'unite et de cohesion des officiers face aux dissensions de la troupe; l'attachement obstine de ces officiers a des symboles (l'etendard!) qui ne representent plus rien pour personne d'autre.



J'ai lu ce livre comme une elegie ou Lernet-Holenia anticipe les horreurs a venir en ce XXe siecle, ou le heros se demande: “Qu'etait-il arrive pour que le monde changeat de telle facon? Combien de fois le monde avait deja sombre! C'etait incroyable qu'il fut encore sur pied!”. Des pensees amplifiees par un final, pour lui, apocalyptique, ou les drapeaux brulent, les etendards se consument.



Nous avons la une oeuvre (publiee en 1934) qui traduit l’attrition de l'auteur, pas encore console de la desintegration du monde de sa jeunesse. Comme Roth. Comme Zweig. Roth voyait dans l'empire la possibilite pour les juifs et d'autres minorites nationales de se developper paisiblement, de s'integrer dans cette grande structure et d'esquiver des bouffees antisemites ou xenophobes populaires. Lernet-Holenia, d’une position sociale plus confortable et d'une perspective plus elitiste, etait nostalgique de sa grandeur historique. Pour lui, la “convivencia” de differents peuples, ethnies et langues etait esthetiquement et intellectuellement beacoup plus stimulante que le provincialisme inevitable des homogeneites identitaires. Ni des etats-nation qu'il voyait comme insignifiants ni un Reich germanique ne pouvaient le satisfaire comme substitution de l'empire danubien.



Lernet-Holenia etait un aristocrate qui avait servi comme officier pendant la premiere guerre mondiale et, curieusement, aussi pendant la deuxieme pour un court temps. Mais il etait trop aristocrate, trop snob pour etre nazi. Ce passe a fait pourtant de lui un grand specialiste des sujets militaires. Ses descriptions des mouvements d'armees en ce livre sont exemplaires, et la minutieuse relation de l'annihilation, sur un pont qui s'ecroule, d'un regiment mutine par des troupes restees fideles, est un morceau d'anthologie.



Mais c'est peut-etre le melange, le brassage, de cliches autour de la frivolite d'une amourette, de descriptions detaillees de lieux et d'actions de guerre, et vers la fin l’introduction d'elements fantastiques qui estompent les frontieres entre le monde reel et l'onirique, qui font l'interet de cet ouvrage. Et le maniement d'images symboliques: l’etentard contre la decomposition du monde; ou, par exemple, les noms des chevaux du heros, Mazeppa (du nom de l'ataman Ukrainian chante par Byron), Honvedhusar (en serbe = le hussard defenseur de la patrie), Phase (le dernier, la derniere phase vers la defaite, vers la fin). Et surement ce que je percois comme une ultime allusion: la conscience du heros (et peut-etre de l'auteur), a la fin, d'etre devenu un anachronisme vivant.



Un auteur a lire et un livre a lire. Et a republier (merci quand meme a l'Universite d'Artois).

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Le régiment des Deux-Siciles

Vienne 1925. Un homme est assassine mysterieusement. C'est un ancien officier d'un regiment autrichien de dragons (ou d'uhlans? Je m'emmele les pinceaux), le Regiment des Deux Siciles. Les quelques compagnon d'armes qui restent de ce regiment decime a la guerre, essaient de mener, parallelement a la police, leur enquete. Et voila qu'ils disparaissent ou meurent a leur tour, en des circonstances etranges.





Une intrigue policiere qui va etre elucidee en fin de roman, comme il se doit.



Comme il se doit? Pas vraiment. La fin est un peu catapultee et si elle met la lumiere sur l'assassin, elle ne desembrouille pas tout, et on a l'impression que c'est un impot que l'auteur doit payer au lecteur, et qu'il le fait de mauvaise grace. Il s'en serait bien passe. Parce qu'il est clair que l'intrigue n'est pour lui qu'une excuse. Et tres vite cela est evident pour le lecteur aussi: l'habit ne fait pas le polar et si ce livre feint de l'etre, il s'en dement et le desavoue a chaque page (ou au moins apres les 20 premieres).



L'intrigue n'est pas mince mais elle est coupee, traversee, alourdie, par des monologues, des recits, des digressions, qui servent peu ou pas du tout la solution de l'enigme. Qui peuvent fatiguer le lecteur, lui faire lacher prise. Mais justement ce sont ces longues parentheses, ces a-cotes, qui font l'intensite de ce roman. Il y est question de mort? Plutot de la mort comme destin originel. La mort de tout un chacun et la mort d'une societe, d'une civilisation, d'un monde. de hasard? Plutot d'un hasard ordonne et obligatoire. Ou la chance n'est que causalite. Ou la realite et l'impression se melent en un combat douteux. Il y est question du passage du temps, dansant une drole de danse, deux pas en avant un pas en arriere, sur un air enchevetrant des notes de passe present futur. Il y est question d'identite, changeante, double, et peut-etre toujours pourtant unique. Et il y est question, presque a chaque page, de cette entite supranationale, blamee par les uns et pleuree par les autres, l'empire austro-hongrois. Mais est-ce que c'est vraiment de cet empire, seulement de cet empire, cette double monarchie, que nous parle l'auteur?





Des officiers d'un regiment d'uhlans (de dragons?)meurent en temps de paix. Hasard? Ou est-ce que ce n'est qu'une mort retardee, et ils ne font que rejoindre leurs camarades morts a la guerre, ce qui etait leur destin depuis toujours? Quelqu'un le dit dans le roman: “parce qu'un soldat qui n'est pas tombe dans l'action n'a pas realise tout ce qu'il etait determine a accomplir. Et le soldat est resolu a mourir". Et dans un autre passage le commandant du regiment voit – en un reve eveille – une multitude de soldats, tout son ancien regiment, qui sondent la terre avec leurs armes: ils cherchent leurs propres tombes! Et je me rappelle que dans un autre livre de Lernet-Holenia, dans “Le baron Bagge", tout un regiment etait annihile lors d'une charge, ou il n'y avait qu'un rescape. Ici il y en aura finalement trois. Mais avec le regiment c'est toute une tradition de l'armee qui est aneantie, une tradition qui en fait date de temps immemoriaux. Pour preuve, la premiere victime, l'officier von Engelshausen, avait emis de son vivant le souhait d'etre enterre dans son uniforme bleu et rouge, celui des dragons d'avant la guerre de 14-18, un uniforme qui date des guerres napoleoniennes. Mais un de ses camarades dit: “Vous lui remettrez son uniforme blanc”. Les uniformes blancs étaient ceux de la cavalerie habsbourgeoise depuis 1720 environ, c'est a dire encore plus anciens. Je pense donc qu'ont raison ceux qui voient dans l'empire que Lernet-Holenia pleure une structure beaucoup plus ancienne que la double monarchie austro-hongroise, une structure spirituelle qui daterait de la fin du moyen age. Encore une fois, le passe et le present se marient chez cet auteur. Il discourt enormement sur le passage des temps, mais le temps pour lui c'est le long cours, et dans ce long cours il percoit la guerre de 14-18 comme une coupure brutale, comme une fin. Et la double monarchie n'est peut-etre pas ce dont il faudrait etre nostalgique, mais ce qui est deja en decomposition, ce qui a deja attrape le “virus des cadavres", comme cet officier qui en trepassera dans le livre.





L'auteur joue aussi un peu avec le fantastique, avec deux personnes differentes qui semblent avoir le meme passe, qui se doublent et se dedoublent. Ont-ils la meme identite? Et qu'est-ce qu'une identite? Qu'est-ce qui la caracterise, la definit? Comment les autres la percoivent-ils? Peut-etre comme un des composants de la personnalite, peut-etre comme ce qui conditionne toute personnalite. Rien n'est sur, rien n'est clair.





J'arrete la ma peroraison. Nombreux sont ceux qui rangent Lernet-Holenia parmi les grands auteurs de la Mitteleuropa disparus. Je crois qu'avec raison. Mais il est surement de ceux qu'il est plus ardu de lire. Ce livre, deguise en polar, est bourre de passages ou il faut s'accrocher. Moi aussi j'ai du lutter avec moi-meme pour ne pas lire en diagonale par moments. Mais l'obstination est payante: sans nul doute c'est en fin de compte un livre tres interessant. Un livre qui ouvre des portes. Les ayant poussees, les ayant passees, je ne suis pas sur de bien delimiter, de bien apprehender les endroits ou elles m'ont mene, mais je reste ravi de ce que j'ai pu ou cru voir.

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Le Baron Bagge

Le cheval est un bel animal. Une beaute qui s'affirme dans sa course. Quand une manade entiere court c'est un spectacle eblouissant. de temps immemoriaux l'homme a mis ce spectacle au service de la guerre pour en faire une arme terrifiante, la charge de cavalerie.



Les charges de cavalerie sont devenues mythiques; les reussies, comme celle de la bataille napoleonienne d'Eylau, mais aussi et peut-etre surtout les tragiques, celles de Sedan en 1870, ou celles produit de l'affabulation comme l'inventee charge des polonais contre les blindes allemands en 1939.





Dans ce court recit, un escadron de cavaliers autrichiens charge un pont pendant la premiere guerre mondiale et est completement aneanti. Une hecatombe. Trois ou quatre “dragons" en rechappent (sur 120), dont celui qui en raconte l'histoire, de nombreuses annees apres, le baron Bagge.





Ce qu'il raconte en fait n'est pas la desastreuse charge, mais les quelques moments de son evanouissement depuis qu'il a ete frappe par deux balles jusqu'a ce qu'il se reveille, tire par d'autres vers une berge plus sure. Quelques instants ou quelques jours? Et pendant cela, a-t-il reve ou a-t-il reellement vecu des journees inoubliables? Des journees de poursuites inlassables apres un ennemi qui ne se montre pas, qui n'existe peut-etre pas? Des journees ou il aurait connu le grand amour de sa vie, un amour impossible et justement pour cela idyllique? Un amour phantasme?



Ces quelques instants d'evanouissement etaient-ils le laps de temps requis pour que ses camarades passent de l'impact meurtrier a la mort definitive? Il sait que de nombreuses civilisations croyaient a cet intervalle, qui pourrait durer jusqu'a neuf jours, de limbes entre vie et mort, ou pouvaient se derouler enormement d'evenements, d'actions dont les survivants, les vrais vivants, ne pouvaient avoir conscience, qu'ils ne pouvaient qu'imaginer, que soupconner. C'etait pour cela que ces vieilles civilisations n'enterraient leurs morts qu'apres de longues journees de veille. (C'est peut-etre aussi pour cela que les juifs enterrent les leurs avant qu'une nuit ne soit passee, avant qu'ils ne soient completement et definitivement morts, pour qu'ils puissent renaitre a l'arrivee du messie, selon la prophetie d'Ezechiel?). Et lui alors, le baron Bagge, dans son evanouissement, a-t-il reve ou a-t-il accompagne ses camarades dans leur periple de la mort soudaine a la mort eternelle? Et est-ce que c'est dans ce periple qu'il aurait connu ou reve l'amour ideal qui l'empechera plus tard d'apprecier toute autre femme?





Reve ou realite? Lernet-Holenia me ferait presque douter, et ce faisant il m'a emmene dans une poursuite fantastique apres des chimeres, apres un ennemi imaginaire, insaisissable, et craint parce que reve comme tel. L'absurdite de cette poursuite m'a un peu rappele le desert des tartares de Buzzati. Mais je serais plutot enclin a qualifier ce livre de realisme fantastique. Reelle a ete l'offensive autrichienne dans les Carpathes en fevrier-mars 1915, reelle et desastreuse, funeste. Une boucherie que tous les historiens s'accordent a targuer d'inutile. Reelle est la geographie que decrit l'auteur, de Tokay vers le nord, vers la Galicie. Pourtant toute l'action du livre reste fantastique. Lernet-Holenia evente dans une epopee insensee ses cauchemars, des phantasmes de guerre qui ne le lachent pas, qui le poursuivent, quand il esquisse les souvenirs (reves?) d'un poursuivant.





Je tire de ce livre deux conclusions/impressions:



Je decouvre en Lernet-Holenia un des derniers representants de la floraison litteraire austro-hongroise (ou mitteleuropeenne) de l'entre deux guerres.



Les charges de cavalerie resteront pour moi mythiques. Et en un meme temps elles m'eclaboussent la beaute des chevaux. La folie des hommes pollue tout.



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Le régiment des Deux-Siciles

Beide Sizilien

Traduction : Bruno Weiss



ISBN : 9782742706761





Sous couvert d'une enquête plus ou moins policière, ce livre est une méditation sur la Mort : mort de l'individu bien sûr, mais aussi mort d'une époque, mort d'une civilisation et même mort d'un régiment. Il n'est donc pas d'une lecture facile. Sans atteindre les complexités philosophiques - et pour nous hélas ! somnifères - de "L'Homme Sans Qualités" de Musil, il promène cependant le lecteur dans un paysage où l'onirisme grignote avec vigueur une réalité de plus en plus chancelante et où les doubles et les reflets trompeurs ou tronqués deviennent monnaie courante.



A l'origine donc, la mort ou la disparition inexpliquée des membres survivants du régiment des Deux-Siciles, régiment dissous depuis la fin de la Grande guerre mais dont ceux qui en ont fait partie, appliquant un strict esprit militaire, ne parviennent pas à se désolidariser. Le premier décès, l'assassinat d'Engelshausen, compromet plus ou moins Gabrielle, la fille du colonel von Rochonville, qui commandait jadis le fameux régiment. Comme un seul homme, les officiers qui restent décident alors de mener leur propre enquête afin de rétablir la réputation de la jeune fille. (L'un d'entre eux, von Sera, lui proposera même de l'épouser afin de rétablir l'honorabilité de sa situation.)



Le mystère planant sur la mort brutale d'Engelshausen est renforcé par la présence sur les lieux d'un curieux personnage, Gasparinetti, lui-même ancien officier ayant, semble-t-il, été fait prisonnier par les Russes alors qu'il combattait dans les rangs autrichiens durant la Grande guerre. Chez lui, tout est étrange : son comportement, sa façon de s'exprimer et plus encore les histoires qu'il raconte. C'est d'ailleurs lui qui, dès les premières pages, donne au roman la connotation onirique, à la limite du fantastique, qui le caractérise.



Autre détail qui relève du fantastique - même si Lernet-Holenia lui prévoit en parallèle une explication logique : la blessure de Silverstolpe qui le conduit à une mort lente mais paisible. Silverstolpe décède d'un empoisonnement du sang qu'il aurait contracté en se piquant à la pointe d'une épingle de sûreté ayant servi à rajuster la tunique d'uniforme d'Engelshausen alors que celui-ci se trouvait exposé sur son lit de mort. On saisit tout de suite le rapport entre cet empoisonnement issu d'un corps en train de se corrompre et le cadavre, jamais clairement évoqué mais toujours présent, de la société austro-hongroise d'avant-guerre, en pleine décomposition de ses us et coutumes.



Si tous les personnages parlent de la Mort, c'est Silverstolpe qui l'évoque de la façon la plus subtile et la plus profonde. Sa fin s'inscrit dans un été finissant, au coeur d'une nature qui se prépare elle-même à mourir pour un temps avant de renaître au printemps. La partie qui lui est consacrée est d'une saisissante beauté poétique.



En ce qui concerne le prétexte du livre, l'intrigue policière par elle-même, elle se trouve résolue à la toute fin du volume et, comme d'habitude, cette élucidation déçoit le lecteur plus qu'elle ne satisfait sa curiosité. On s'en accommode sans problème pour peu que l'on ait saisi - ce qui se devine très vite - qu'elle ne constituait pas le thème majeur du roman - loin s'en faut.



Tant par ses buts que par son style, riche et soutenu, "Le Régiment des Deux-Siciles" est à réserver aux lecteurs qui apprécient les méditations philosophiques. Précisons toutefois que l'ouvrage reste abordable. Il révèle en outre un auteur certes difficile mais d'une grande sensibilité et d'une intelligence aiguë. A découvrir donc mais quand on se sent dans la disposition d'esprit adéquate. ;o)
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J'étais Jack Mortimer

Un roman écrit par un auteur autrichien qui se passe à Vienne au début des années 20.

Le "héros" est chauffeur de taxi à Vienne et durant toute une première partie il nous fait visiter Vienne, enfin, faire visiter... Il passe rue Machin, tourne à côté du Bidule, reprend la rue Machin Truc etc... Il n'y a aucune description de la ville, de ses monuments ou des endroits qui font pourtant rêver...



Ensuite le héros tombe amoureux d'une cliente, une jeune comtesse. Bien sur il se déclare de butte en blanc et se fait jeter, ensuite il va littéralement la harceler jusqu'au moment où le frère de la jeune femme va s'interposer.



Préoccupé par ses problèmes, il charge un client à la gare, l’amène à son hôtel sans se rendre compte qu'entre temps celui ci a reçu trois balles dans le corps.



Du coup après s'être débarrassé du corps, le voilà qui décide de prendre sa place.



Là la narration s'interrompt et part sur l'histoire d'un péon devenu chanteur ...

Le lien entre les deux histoires se fait attendre, la suite de l'histoire est abracadabrantesque ; le personnage principal s'enfonce dans la médiocrité, pendant que sa petite amie qui voulait juste lui rendre service est pourchassée dans toute la ville, dont nous avons à nouveau une visite guidée, par la police , lui passe une nuit de plaisir dans les bras de sa comtesse.



Bref une lecture qui m' a déçue. D'autant plus que j'ai eu l'édition 10/18 dans les mains avec une couverture superbe, qui n'a aucun lien avec l'histoire.
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Le Baron Bagge

Une charge de cavalerie sur un pont dans une guerre oubliée; mais ce pont va être précisément le point de passage entre deux mondes, entre rêve et réalité.Un merveilleux petit roman où l'onirisme et la réalité se bousculent et un grand écrivain autrichien à découvrir.
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Le Baron Bagge

Hiver 1915.



Un escadron de 120 cavaliers austro-hongrois erre dans les carpates pour une mission de reconnaissance. L'ennemi est introuvable, et on pense beaucoup à ce moment là à la forteresse ou encore, en beaucoup plus sombre, au diable vauvert: cet ennemi insaisissable, invisible, que l'on cherche en vain, au point de se demander s'il existe vraiment, et ces hommes qui mènent leurs troupes en flirtant avec la folie.



Galop. Advient une fusillade.



Ensuite, on ne sait plus (...)



http://lelabo.blogspot.com/2007/07/alexander-lernet-holenia-le-baron-bagge.html
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Le Baron Bagge

Il s'agit d'une relecture, car cette nouvelle m'a laissé un souvenir d'irréalité... confirmé à la fin. Belle histoire humaine et militaire, dans la veine de la plus belle histoire du monde de Kipling. L'écriture est prenante et on a à peine fini que l'envie d'y replonger vous prend pour être sur de n'avoir raté aucun détail !
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