Jean Potocki :
Manuscrit trouvé à SaragosseDans une pièce de la Cité internationale universitaire de Paris dans le 14ème arrondissement,
Olivier BARROT présente le
roman "
Manuscrit trouvé à Saragosse" de l'aristocrate
polonaisJean POTOCKI publié en 1804.
Manuscrit trouvé à Saragosse
Quand on a passé trente ans, on peut encore éprouver un grand attachement et même l'inspirer. Mais malheur à l'homme de cet âge qui veut se mêler aux jeux des jeunes amours. La gaieté n'est plus sur ses lèvres, la tendre joie dans ses yeux, l'aimable déraison dans son langage. Il cherche les moyens de plaire et n'a plus l'instinct facile qui les fait trouver. La troupe maligne et folâtre l'a reconnu et fuit à tire-d'aile chercher les groupes de la jeunesse.
Page 472 (Edition J Corti)
Ainsi lorsque accablés par la douleur, nous ne voyons plus devant nous qu'un sombre avenir, la providence soigneuse de nos destinées rallume des lueurs inespérées qui nous remettent dans le chemin de la vie.
Nous nous rions de la présomption de ceux qui imaginent que pour lire il suffise de l’organe matériel de la vue. Cela pourrait suffire en effet pour de certaines langues modernes, mais dans l’hébreu, chaque lettre est un nombre, chaque mot une combinaison savante, chaque phrase une formule épouvantable qui bien prononcée avec toutes les aspirations et les accents convenables pourrait abîmer les monts et dessécher les fleuves. Vous savez assez qu’Adunaï créa le monde par la parole, ensuite il se fit parole lui-même. La parole frappe l’air et l’esprit, elle agit sur les sens et sur l’âme. Quoique profane, vous pouvez aisément en conclure qu’elle doit être le véritable intermédiaire entre la matière et les intelligences de tous les ordres.
Chez presque tous les hommes, l’action du moi n’est jamais suspendue : vous retrouvez leur moi dans le conseil qu’ils vous donnent, dans les services qu’ils vous rendent, dans les liaisons qu’ils recherchent, dans les amitiés qu’ils forment. Passionnés pour leur intérêt le plus éloigné, indifférents pour tout le reste. Et lorsqu’ils trouvent sur leur chemin un homme indifférent à l’intérêt personnel, ils ne le peuvent comprendre, ils lui supposent des motifs cachés, de l’affectation, de la folie. Ils le rejettent de leur sein, l’avilissent et le relèguent sur un rocher de l’Afrique.
Je m'élançai sur mon cheval et, le mettant tout de suite au plus grand trot, j'arrivai au bout de deux heures sur les bords du Quadalquivir qui n'est point là ce fleuve tranquille et superbe dont le cours majestueux embrasse les murs de Séville. Le Quadalquivir au sortir des montagnes est un torrent sans rives ni fond, et toujours mugissant contre les rochers qui contiennent ses efforts.
On reproche aux Espagnols une certaine gravité qu'ils mettent dans leurs manières, mais c'est pourtant en évitant la familiarité que nous savons être fiers sans orgueil et respectueux avec noblesse.
La fin d'un ambitieux fait toujours beaucoup d'effet parmi les hommes. C'est une grande chute, ils en sont émus et surpris.
J'avais donc quinze ans lorsque je vis pour la première fois le brave et digne Testalunga, le plus honnête et vertueux bandit qu'il y ait eu en Sicile.
Lorsque j'eus achevé ma dix-septième année, mon père songea à me faire entrer au régiment des gardes wallonnes et en écrivit à un de ses anciens camarades sur lesquels il comptait le plus. Ces dignes et respectables militaires réunirent en ma faveur tout ce qu'ils avaient de crédit, et obtinrent une commission de capitaine.
Voyages de Hafez en Arabie.
Hafez sortit du café en témoignant peu d'estime pour le parleur. Il fut suivi jusqu'à son "hann" [khan, hôtellerie des caravanes] par un habitant d'El-Catif qui lui dit :
"Seigneur étranger, j'ai été témoin de la conversation que vous avez eue dans le café et je crains qu'elle ne vous ait donné des idées fausses sur le gouvernement de notre ville. L'homme qui vous a parlé tâche de vous faire accroire qu'il peut faire faire au peuple ce qu'il veut, mais nous savons tous que son art consiste à savoir d'avance ce que le peuple veut, et alors d'avoir l'air de le lui persuader. Cependant cet air d'autorité a fait penser qu'il pourrait être dangereux et on le ménage, mais ceux qui travaillent gardent le silence, et c'est ainsi que dans nos jardins vous n'entendez ni l'araignée ni le ver à soie, tandis que vous êtes étourdi par les cigales et les hannetons."
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