Sur la pierre tombale de José Ramon de Ontaneta Wingfield, 1897-1980, Maria Magdalena fit graver cette épitaphe :
"Il a vécu. Il a navigué. Il a chanté. Il s'est tu. Il a aimé. Il a travaillé. Il a perdu. Il a trop tardé à mourir."
Papa mourut quand le dernier des frères à poser encore des questions cessa de demander quand papa allait rentrer de voyage, quand maman cessa de pleurer et sortit une fois le soir, quand s'achevèrent les visites de ceux qui entraient sans faire de bruit et passaient devant le salon le plus sombre du palais (l'architecte avait même pensé à cela), quand les domestiques se remirent à parler d'un ton habituel, quand quelqu'un alluma la radio un jour, papa mourut. (page 13)
Cette captivité humiliante et agenouillée de la raciste et élitiste Magdalena dura quatre heures éternelles, avant que tous dans la maison n’entendent arriver la voiture de don José Ramon et ne voient Federico s’enfuir, aussi content qu’épouvanté. Et il va sans dire que don José Ramon, scie en main et avec son admirable dextérité habituelle, lima plus qu’il ne scia ces barreaux, délivra sa très humiliée petite Magdalena et chassa de la maison Cecilia Santa Cruz, sans indemnités ni rien.
-Je gagne assez en fichant le camp, se tordit de rire la bronzée, qui de plus avait déjà soigneusement fermé sa bonne vieille malle de linge et autres avoirs, et même avec un solide cadenas avec sa clé et tout. Bref, Cecilia Santa Cruz était tout à fait prête à se tirer de ce guêpier, et le plus tôt possible, encore.
Et le fait est que la vie de ce caballero, aucun doute là-dessus, n'était pas le chemin de roses que tant de gens imaginaient, loin de là. A commencer par son père, autorité morale et familiale qu'il était impossible à un chrétien comme lui de ne pas reconnaître et de ne pas respecter, cela va sans dire, mais que la nature s'obstinait à garder en vie, dans un exemple de longévité; cent quatre ans tout ronds, rien que ça, mais fumant tellement, et Dieu seul sait depuis quand, qu'on aurait dit que, sur ces cent quatre ans, quatre-vingt-dix au moins s'étaient passés à fumer comme un pompier du tabac brun importé, et en plus juste à côté d'une véritable kyrielle de réservoirs à oxygène, et ce, depuis plusieurs années...
Julius naquit dans un palais de l'avenue Salaverry, en face de l'ancien hippodrome de San Felipe ; un palais avec écuries, parc, piscine, un jardin où à deux ans il se perdait, lui qu'on retrouvait toujours en arrêt, le dos tourné, regardant, par exemple, une fleur ; un palais avec des appartements pour la domesticité telle une verrue sur le visage le plus beau, avec même un carrosse dont ton arrière-grand-père se servit, Julius, quand il était Président de la République, attention ! n'y touche pas, il est plein de toiles d'araignée, et lui, tournant le dos à sa maman qui était jolie, essayant d'atteindre la poignée de la porte. Le carrosse et l'étage des domestiques exercèrent toujours une étrange fascination sur Julius, la fascination "n'y touche pas, mamour ; on ne va pas par là, darling". Et ce temps-là, déjà, son père était mort. (page 12)
+Oui ,je faisais un effort vraiment énorme pour que Rodrigo ne s'aperçoive absolument de rien ,quand je l'ai entendu me demander si Tarzan avait des amygdales.
... elle lui disait qu'elle désirait rester définitivement dans cette clinique, oui, définitivement, Federico, pour la simple raison que je ne supporte pas toute la méchanceté qu'il y a dans ce monde.
- Comment ? Et tu as déjà oublié toute la méchanceté qu'il y a en toi, petite sœur ?
Eh bien, mon garçon, comprends une fois pour toutes que dans mes étés s'accumulent les printemps et dans ces derniers les automnes et les hivers. Mais que ce sont toujours les hivers, infailliblement, qui finissent par l'emporter.