Citations de Ali Benmakhlouf (23)
Les versets cités par Averroès ont une valeur formelle : il ne s’agit pas de lire le Coran comme un texte clos sur lui-même donnant le savoir positif et matériel une fois pour toutes, mais comme un texte-programme qui incite l’homme à user de sa raison pour connaître. Parmi ces versets, l’un(1) invoque la capacité humaine à connaître, l’autre(2), le domaine dans lequel cette capacité est appelée à s’exercer, la connaissance de l’univers.
Texte non exhaustif, le Coran vaut par les obligations salutaires qu’il contient – parmi lesquelles, Averroès met au premier plan l’obligation de connaître l’univers – et non par les crispations aveugles auxquelles tel ou tel passages sur l’alcool ou les femmes peut donner lieu. S’il s’agit d’un texte qui ouvre sur le monde, force est de reconnaître que ce monde est fait aussi de non-musulmans, et que ceux-ci ont peut-être réalisé une part du savoir auquel le Coran nous oblige tant. Selon Averroès, dans la mesure où un homme à lui seul ne peut pas tout savoir et que d’autres peuples ont un certain savoir, la Loi (religieuse) nous incite à lire ce que les non-coreligionnaires ont fait :
« Si d’autres que nous ont déjà procédé à quelque recherche en cette matière, il est évident que nous avons l’obligation, pour ce vers quoi nous nous acheminons, de recourir à ce qu’en ont dit ceux qui nous ont précédés. Il importe peu que ceux-ci soient ou non de notre religion(3). »
Le Coran est donc un programme pour savoir, plus qu’un savoir de fait ; il s’agit simplement de découvrir le moyen d’accroître le savoir et de tirer l’inconnu du connu.
(1) Coran, LIX, 2 : « Tirez-en la leçon, vous doués de clairvoyance », tr. Fr. de J. Berque, Sindbad, Paris, 1990, p. 602.
(2) Coran VII, 185 : « N’ont-ils pas regardé le royaume des cieux et de la terre et tout ce que Dieu a créé des choses », op. cit., p. 185.
(3) FM, pp. 109-110 (pp. 68-69)
Qu'y a-t-il de plus anticonversationnel que le conseil, le prêche ou l'exhortation? Comment aménager un art de la fuite qui puisse nous éviter l'imitation « singeresse » de ceux qui répètent une parole de mémoire en lieu et place d'un jugement d'esprit?
Thoreau dénonce la déshumanisation induite par la perspective productiviste. (p.184)
l'homme est ce vivant particulier qui, tout en faisant partie de la biodiversité, peut la considérer du dehors. (p.104)
Le juriste et traditionnaliste Shu'ba bin al-Hajjâj (mort en 776) disait : « Toute tradition qui n'est pas précédée des expressions « Untel nous a dit » ou « Untel nous a informé » est pareille à un homme qui se trouve entouré de bestiaux sans muselières. »
La conversation recueille la parole sans la prétention de juger car ce recueil se place au niveau de l'oreille et n'a pas toujours à pénétrer l'entendement.
L'oubli de ce qu'on veut dire est un des sels de la conversation. Au milieu d'une phrase, on se surprend à dire : « Mais pourquoi je te dis ça? » On est comme entraîné par des flots au-delà du rivage du premier sujet de conversation.
Au contraire, la conversation est et se doit d'être vive : « Quand on me contrarie, on éveille mon attention, non ma colère ». (Montaigne, Essais)
La conversation illustrée est le principe même de la bande dessinée par laquelle tant d'enfants viennent à la lecture, comme si le premier pas vers la lecture solitaire avait besoin de garder le lien avec la conversation, mieux même, d'essayer de retrouver celle-ci- dans celle-là.
Il faut aborder la conversation sans être en attente de quelque chose, pour faire place à l'imprévisible de la parole échangée.
«Plus le droit musulman gagne en cohérence, plus il est connecté à l'étatique jusqu'à être instrumentalisé par lui» (p 165).
«L'art de gouverner la cité est donc inséré dans des dispositifs plus larges où entrent la confiance, la conduite de soi, l'hygiène, l'équité, le don et le partage» (p 125),
«La vérité ne saurait être multiple, ce sont les accès à la vérité qui le sont» (p 10),
"En se soumettant au pouvoir des programmes à médiation symbolique pour reproduire des artefacts, organiser la vie sociale ou exprimer des émotions, l'homme a déterminé bien qu'involontairement, les étapes culminantes de son propre destin biologique. Littéralement, bien que par inadvertance, il s'est créé lui-même." (p. 180 - citation de Clifford Geertz, The interpretation of Cultures)
Il n'existe pas de culture isolée. Toute culture est sans cesse en interaction avec les autres. (p. 154)
C'est le fait même de l'appropriation d'une main-d’œuvre gratuite, à savoir l'esclavage, qui signe l'acte de naissance du capitalisme. (p.139)
(citation d'Aimé Césaire à propos des "missions civilisatrices") le grand responsable dans ce domaine est le pédantisme chrétien, pour avoir posé des équations malhonnêtes: christianisme = civilisation; paganisme = sauvagerie, d'où ne pouvaient s'ensuivre que d'abominables colonialistes et racistes, dont les victimes devaient être les Indiens, les Jaunes, les Nègres. (p. 127)
Montaigne explore, par divers exemples, "cette égalité et correspondance de nous aux bêtes". (p.108)
Le ton de certitude, loin de susciter l'adhésion, suscite la suspicion : les raisons de dire doivent être bien faibles pour que le ton soit si véhément. Le propre d'une conversation polémique est de mettre sur le devant de la scène des paroles opposées. Leur seule force est de s'entre-détruire sans rien assurer.
(...) le témoignage des faits est toujours mieux accepté quand il est assorti des phrases prudentes comme « il me semble que », « je pense que », et de phrases interrogatives « enquêteuses et non résolutives ».