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Citations de Alvaro Mutis (123)


Dans la partie du bateau protégée par la bâche, mon compagnon de voyage est un géant blond qui mâchonne quelques mots qu’un accent slave rend pratiquement incompréhensibles. Il est calme et fume sans arrêt des cigarettes pestilentielles que le lamaneur lui vend à un prix prohibitif. J’apprends qu’il se rend là où je vais moi-même : à la factorerie où l’on conditionne le bois qui descendra sur ce même fleuve et dont je suis censé organiser le transport. Le mot factorerie provoque l’hilarité de l’équipage, ce qui n’est guère pour me faire plaisir et m’emplit d’un doute pour le moins déconcertant. La nuit, nous nous éclairons avec une lampe Coleman sur laquelle viennent s’écraser de grands insectes aux couleurs et aux formes si diverses que j’ai parfois l’impression que quelqu’un organise leur défilé selon un but didactique que je ne peux discerner. Je lis à la lumière des effilochures du tissu incandescent jusqu’à ce que le sommeil m’abatte, comme une drogue à l’effet immédiat. L’inconséquente légèreté du duc d’Orléans m’occupe encore un instant, puis je tombe dans un implacable assoupissement. Le rythme du moteur change à chaque instant, ce qui nous maintient dans un état de constante incertitude. Il est à craindre que d’un moment à l’autre il s’éteigne définitivement. Le courant devient de plus en plus capricieux et indomptable. Tout ceci est absurde et je n’en finirai jamais de savoir pourquoi je me suis embarqué dans cette aventure. Il en va toujours de même au début de mes voyages. Plus tard, survient l’indifférence bienfaitrice qui répare tout. Je l’attends avec impatience.
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Les informations que je possédais indiquaient qu’une bonne partie du fleuve était navigable jusqu’au pied de la Cordillère. Naturellement, c’est inexact. Nous voyageons sur une embarcation à fond plat munie d’un moteur Diesel qui lutte contre le courant avec un entêtement asthmatique. À l’avant, il y a une bâche en toile soutenue par des piquets de fer où sont accrochés des hamacs, deux à bâbord et deux à tribord. Les autres passagers, lorsqu’il y en a, s’entassent au milieu du bateau, sur un tapis de palmes qui les protège du plancher métallique brûlant. Leurs pas résonnent dans la cale vie comme un écho fantomatique et grotesque. À tout moment nous nous arrêtons pour renflouer la chaloupe échouée sur un de ces bancs de sable qui se forment soudain pour disparaître ensuite au gré du courant. Nous occupons, moi et un autre passager monté lui aussi à Port d’Espagne, deux des quatre hamacs ; les deux autres sont pour le mécanicien et le lamaneur. Le capitaine dort à l’arrière, sous un parasol de plage multicolore qu’il fait tourner selon la position du soleil. Il est toujours dans un état de semi-ébriété habilement maintenu grâce à des doses régulières qu’il administre de façon à ce que ne le quitte jamais cet état d’âme où l’euphorie alterne avec une torpeur somnolente qui à aucun moment ne l’abat tout à fait. Ses ordres n’ont aucun rapport avec notre route et nous plongent dans une perplexité agaçante : « Haut les cœurs ! Gare à la brise ! À cœur vaillant rien d’impossible ! L’eau est à nous ! Brûlez la sonde ! » et ainsi de suite, toute la journée et une bonne partie de la nuit. Ni le mécanicien ni le lamaneur ne s’inquiètent de cette litanie qui, d’une certaine façon, les tient éveillés et en alerte, et leur donne la dextérité nécessaire pour éviter les pièges continuels du Xurandó.
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Comme tout est compliqué. Combien de faux pas dans ce labyrinthe dont nous faisons tout pour ignorer la sortie, combien de surprises, et plus tard quelle monotonie lorsque nous constatons que ces surprises n'en étaient pas, que tout ce qui nous arrive a le même visage, une origine identique.
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A cet instant, une sympathie solidaire et chaude pour le tramp steamer commença à naître en moi. Je trouvai en lui un frère malheureux, une sorte de victime de la négligence et de l'avidité des hommes, auxquelles il répondait par sa volonté obstinée de continuer à tracer sur toutes les mers le terne sillage de ses souffrances.
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Il entra tout à coup dans mon champ visuel, avec une lenteur de saurien grièvement blessé. Je n'en pouvais croire mes yeux. Sur le fond de la resplendissante merveille de Saint-Pétersbourg, le pauvre cargo envahissant l'aire, ses flancs souillés de traces gluantes d'oxyde et d'ordures jusqu'à la ligne de flottaison.
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Il n'est de plus grande douleur que de se rappeler, aux heures noires, les temps de bonheur.
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Fasse le ciel qu'avec mon manque d'habilité ne se perdent pas ici l'enchantement, la fascination douloureuse et pénible de ces amours qui, par nature transitoires et impossibles, ont quelque chose de ces légendes jamais épuisées qui nous ont envoûtés durant tant de siècles, depuis Pyrame et Thisbé jusqu'à Marcel et Albertine, en passant par Tristan et Iseult.
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Le brouillard traversait la route, embuait l'asphalte qui brillait comme un métal imprévu avant de se perdre entre les arbres aux troncs lisses et gris, aux branches vigoureuses et au feuillage rare envahi par une mousse, grise elle aussi, sur laquelle surgissaient des fleurs de couleur intense et aux pétales lourds d'où coulait un miel diaphane et lent.
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La végétation devient plus svelte, moins dense. On peut voir le ciel pendant une bonne partie de la journée et, la nuit, les étoiles avec la proximité familière qui les distingue sous l'équateur, émettent cette aura protectrice, vigilante, qui nous emplit de sérénité en nous donnant la certitude, fugace si l'on veut, mais présente en cet intervalle nocturne réparateur, que les choses suivent leur cours avec la régularité fatale qui assiste les fils du Temps, les créatures soumises au destin, nous, les hommes.
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