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Citations de Alvaro Mutis (123)


Il a porté un fauteuil à bascule jusque sous la galerie qui fait face aux plantations de café de l'autre rive, et s'est assis dans une attitude d'attente, comme si la brise nocturne qui n'allait pas tarder à souffler pouvait soulager son malheur, indéfini et profond. Le courant, en frappant sur les grandes pierres, ponctuait au loin ses mots, ajoutant une joie opaque à l'examen monotone de ses affaires, toujours les mêmes, mais à présent plongées dans l'indifférente et insipide rengaine qui trahissait son actuelle condition de vaincu, d'otage du néant.
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Suis les navires. Suis les routes que sillonnent les embarcations vieilles et tristes. Ne t'arrête pas. Évite jusqu'au plus humble des mouillages. les Remonte les fleuves. Descends-les. Confonds-toi avec les pluies qui inondent les savanes. Refuse tout rivage.
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Elle est entrée dans un repli de mon intimité qui était demeuré hermétique et que moi-même je ne connaissais pas. Ses gestes, l'odeur de sa peau, sa façon de me regarder, immédiate, intense, en un bref éclair qui m'enveloppait d'une tendresse dévastatrice, sa dépendance faite d'acceptation irréfléchie et absolue, tout en elle avait la vertu de me délivrer sur-le-champ de mes atermoiements et de mes obsessions, de mes déconvenues et de mon vague à l'âme, ou de mes simples occupations quotidiennes, pour me laisser au centre d'un cercle lumineux, fait d'énergie palpitante, de certitude vigoureuse, qui agissait comme une drogue inconnue ayant le pouvoir de concéder un bonheur sans nuages.
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Elle regardait son interlocuteur dans les yeux mais ce n’était pas lui qu’elle fixait. En fait, elle semblait chercher avec une astuce patiente et secrète, cet autre être qui nous accompagne toujours et ne monte à la surface que lorsque nous sommes seuls, pour transmettre certains messages, effacer des certitudes fragiles et nous laisser en proie à d’inavouables perplexités.
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Il préféra porter sa chaise sur le balcon et sacrifier à la contemplation du fleuve qui passait, indifférent à la stupidité millénaire des hommes et leur malheureuse vocation au sacrifice.
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Il se dit que la vraie tragédie de la vieillesse était qu'au fond de nous-mêmes gît un éternel petit garçon qui ne voit pas le temps passer.
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Il la pénétra en un acte qui se voulait rituel sacré, et la fille entreprit de feindre une exaltation qui devint bientôt sincère, tant étaient grandes l'admiration et la gratitude qu'elle éprouvait envers cet étranger qui, du haut de ses années, lui apportait l'expérience et l'exitation dévastrice de terres inconnues et de journées d'ivresse, de plaisir et de danger.
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Maqroll marcha jusqu'à La Plata, en proie à une sensation de papillons déchaînés sous le diaphragme, un signe qui annonçait généralement chez lui le début d'une amitié féminine à laquelle il allait se donner entièrement. Il s'était dit qu'à son âge cela ne lui arriverait plus et, de constater le contraire, il se sentit soudain délivré du poids des ans.
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El Gaviero savait d'avance, au tréfond de son inconscience, que le paiement de son travai serait soumis aux plus imprévisibles obstacles, mais il finit par se laisser porter par cette tendance aveugle, et tellement caractéristique chez lui, à systématiquement accepter de s'embarquer dans des aventures qui ne reposaient que sur du vent, sur un entortillement de belles paroles. Des aventures où il se trouvait invariablement à devoir payer les pots cassés.
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Ce que la mort supprime ce ne sont pas les êtres qui nous sont proches et sont notre vie même. Ce que la mort emporte pour toujours c'est leur souvenir, leur image qui s'estompe, se dilue peu à peu jusqu'à se perdre et c'est alors que nous commençons à mourir nous aussi.
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J'ai étreint le corps de Dora Estrela avec la jouissance désespérée des vaincus qui savent que l'unique victoire est celle des sens dans l'éphémère mais bien réel combat du plaisir.
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Je suis au plus haut point intrigué par la manière dont ma vie est une répétition d'échecs, de décisions erronées au départ, de voies sans issue qui, mis bout à bout, seraient, tout compte fait, l'histoire de mon existence.
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Les hommes changent si peu, continuent d'être tellement eux-mêmes qu'il n'existe qu'une seule histoire d'amour depuis la nuit des temps qui se répète à l'infini sans perdre sa terrible simplicité, son irrémédiable infortune.
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Elle a appris avec moi que les gens sont pareils dans le monde entier, et qu'ils sont mus par les mêmes passions mesquines, les mêmes intérêts sordides, aussi éphémères et semblables sous toutes les latitudes.
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Les mines d'or... Impossible de parler de ces choses-là à la légère. C'est comme un lent poison qui vous envahit et dont vous ne prenez conscience que lorsqu'il est trop tard. Comme un opium furtif, ou comme ces femmes auxquelles on ne prend d'abord pas garde et qui transforment une vie en enfer sans issue.
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Il n'a jamais entretenu la moindre illusion sur qui que ce soit, tout en croyant fermement aux liens du cœur qui l'unissaient à ses parents et à ses amis. L'un n'empêchait pas l'autre.
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Cornélius était un petit Hollandais grassouillet qui fumait sans répit une pipe bourrée d’un mauvais tabac. Il parlait un espagnol impeccable qu’il avait enrichi des imprécations les plus variées et les plus pittoresques. On eût dit qu’il les avait collectionnées tout au long de ses années de navigation dans les îles car elles constituaient un authentique inventaire de la scatologie caribéenne. Au début de notre voyage, il avait semblé manifester à mon endroit une certaine méfiance, née de cette susceptibilité qui s’empare des gens de mer lorsqu’ils atteignent un poste de commandement. Ils se méfient toujours des étrangers qui pourraient envahir ce qu’ils considèrent comme leur domaine. J’étais parvenu très vite à dissiper cette attitude première du Hollandais et nous avions fini par établir une relation distante, mais cordiale et ferme, grâce à la reconstitution d’anecdotes et d’expériences communes qui s’achevaient en un tonnerre d’éclats de rire ou s’en allaient mourir derrière un rideau de nostalgie rêveuse et triste.
– Wito ne peut échapper à l’embargo. C’est comme s’il l’avait cherché depuis longtemps. S’il perd le bateau et, avec lui, sa façon de vivre, tout finira par s’arranger pour lui. Ce sera comme arrêter une routine en laquelle il a depuis longtemps cessé de croire. Il y a des lustres que tout cela l’ennuie à mourir. C’est du moins ce que j’ai pu déduire de son attitude pendant le voyage. Qu’en pensez-vous, Cornélius, vous qui le connaissez mieux que moi ? Depuis quand travaillez-vous ensemble ?
Je tentais de soutenir la conversation sans grande conviction tandis que là-haut s’accomplissait l’obscure cérémonie judiciaire qui nous menaçait depuis plusieurs semaines.
– Il y a onze ans que nous sommes ensemble, répndit le contremaître. Ce qui a foutu en l’air le destin du pauvre Wito, c’est la fuite de sa fille unique avec un pasteur protestant de la Barbade, marié et père de six enfants. Il a abandonné fidèles, église et famille, et a emmené la petite. La pauvre, en plus d’être laide, est à moitié sourde. À partir de là, Wito a commencé à se fourrer dans des affaires invraisemblables. Il a hypothéqué le bateau et, je crois, une maison à Willemstad. Vous savez ce que c’est. Faire un trou pour en boucher un autre. Il n’est pas impossible que ces salauds soient là pour lui régler son compte.
Il haussa les épaules et, tirant fortement sur sa pipe, il regarda vers la cabine où se poursuivait un dialogue à l’issue fort prévisible. Les douaniers sortirent peu après. Ils rangèrent des papiers dans leurs serviettes, saluèrent en portant nonchalamment la main à la visière de leurs casquettes, descendirent l’échelle de coupée et remontèrent dans le canot. Celui-ci se dirigea vers Cristobal en fendant doucement l’eau de la baie.
Le capitaine apparut à la porte de la cabine et m’appela :
– Maqroll, voulez-vous monter un moment, s’il vous plaît ?
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Lorsque j’ai vu s’approcher l’embarcation grise des douaniers avec le pavillon du Panama flottant fièrement en poupe, j’ai immédiatement su que nous étions arrivés au bout de notre tumultueuse traversée. À dire vrai, au cours des dernières semaines, chaque fois que nous avions accosté dans un port, nous nous étions attendus à une visite comme celle-là. Seul le laxisme avec lequel, dans les Caraïbes, on expédie les affaires bureaucratiques nous avait protégés contre une telle éventualité. L’embarcation se frayait un chemin au milieu d’un marécage gris, à la surface duquel flottaient des restes anonymes d’ordures et d’oiseaux morts qui commençaient à se décomposer. La surface huileuse se fendait au passage de la quille, soulevant une vague indolente qui allait mourir paresseusement un peu plus loin. Nous étions loin du désordre éternel et fantasque de la mer. Trois fonctionnaires, dans leurs uniformes kaki largement tachés de sueur sous les aisselles et dans le dos, grimpèrent l’échelle de coupée avec une lenteur solennelle. Celui qui semblait être le chef, un Noir de ceux que l’on appelle ici Jamaïcains parce que les Yankees avaient amené leurs ancêtres depuis cette île pour les faire travailler à la construction du canal, nous demanda, dans un espagnol informe, truffé d’anglicismes, où était le capitaine du bateau. Je les conduisis sur le deuxième pont et frappai à plusieurs reprises à la porte de la cabine. Une voix opaque et fatiguée finit par répondre : « Entrez. » Je les fis passer et, après avoir refermé la porte derrière eux, je retournai près de l’échelle de coupée où j’avais entamé une conversation avec le contremaître. Le moteur du bateau ronronnait sur un rythme scandé de hoquets inattendus, tandis qu’une chaleur implacable, qui descendait d’un ciel sans nuages, augmentait le remugle des végétaux en décomposition et des palétuviers boueux qui séchaient au soleil en attendant la prochaine marée.
– Voilà. C’est fini. Maintenant, chacun pour soi et on verra bien ce qui arrivera, dit le contremaître, en regardant vers les quais de Cristobal comme si la réponse à son inquiétude pouvait venir d’eux.
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Nous traversons une région où les clairières se succèdent avec une exactitude telle qu’on les croirait l’œuvre des hommes. Le fleuve est une eau dormante et c’est à peine si l’on remarque la résistance du courant à notre avance. L’autre soldat a survécu à la crise et avale ses blanches pastilles de quinine avec une résignation toute militaire. Il prend soin des deux armes qu’il ne lâche jamais et bavarde avec nous sous le parasol du capitaine, nous racontant des histoires de postes avancés, la vie des soldats dans le pays frontalier et comment les bagarres dans les cantines, les jours de fêtes, finissent toujours de part et d’autre par plusieurs morts que l’on enterre avec les honneurs militaires comme s’ils étaient tombés dans l’accomplissement du devoir. Il a la malice des hommes de la région, siffle les s et parle avec cette vélocité particulière qui rend les phrases difficiles à comprendre tant que l’on n’est pas habitué au rythme d’une langue qui sert plus à occulter qu’à communiquer. Lorsque Ivar lui demande certains détails sur le poste frontière et plus particulièrement sur l’équipement dont il dispose ou le nombre de conscrits qu’il héberge, le soldat ferme à demi les yeux et, avec un sourire malin, répond quelque chose qui n’a rien à voir avec la question posée. De toute façon, il ne semble pas éprouver une grande sympathie à notre endroit et je crois qu’il ne nous pardonne pas d’avoir enterré son compagnon sans son consentement. Mais il y a une autre raison, plus simple celle-ci : comme toute personne qui a reçu une formation militaire, il tient les civils pour une espèce encombrante et maladroite qu’il faut protéger et tolérer. Toujours compromis dans des affaires louches et des entreprises d’une sottise flagrante, les civils ne savent ni commander ni obéir, c’est-à-dire qu’ils ne savent pas vivre dans ce monde sans semer le désordre et l’inquiétude. Et il nous le fait sentir à chaque instant jusque dans le plus insignifiant de ses gestes. Au fond, il me rend jaloux, et bien que j’essaie tout le temps de miner son inexpugnable système, force m’est bien de reconnaître que celui-ci le préserve des ravages perfides de la forêt dont les effets commencent à se manifester sur nous avec une évidence funeste.
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En montant dans la chaloupe, j’ai mentionné la scierie mais personne n’a pu me donner une idée précise de l’endroit où elle se trouve, ni me dire si elle existe réellement. Il en va toujours de même avec moi : les entreprises dans lesquelles je me lance sont marquées au signe de l’imprécision, de la malédiction de mouvements prétendument astucieux. Et me voici en train de remonter ce fleuve comme un soit, sachant à l’avance ce qu’il adviendra de tout cela. Je me retrouverai dans la forêt, où rien ne m’attend, où la monotonie et la touffeur de grottes à iguanes me font mal et me rendent triste. Loin de la mer, sans femmes, parlant une langue d’abrutis. Et pendant ce temps, mon cher Abdul Bashur, compagnon de tant de nuits passées sur les rives du Bosphore, de tant d’efforts inoubliables pour gagner de l’argent facile à Valence et à Toulon, m’attend ou me croit peut-être mort. Je suis au plus haut point intrigué par la manière dont ma vie est une répétition d’échecs, de décisions erronées au départ, de voies sans issue qui, mis bout à bout, seraient tout compte faut l’histoire de mon existence. Une vocation fervente pour le bonheur sans cesse trahie, chaque jour détournée, conduisant inlassablement et nécessairement à de misérables échecs, tous étrangers à ce qui, je le sais au plus profond de mon être, devrait s’accomplir, n’était mon attirance pour une incessante défaite. Qui peut comprendre cela ? Nous allons de nouveau pénétrer dans le tunnel vert de la jungle sombre et menaçante, de nouveau je perçois sa maudite odeur de sépulcre tiède et fade.
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