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Citations de Amanda Sthers (629)


Je suis navré d'entendre qu'un petit morceau de chair caché dans mon slip me prive peut-être de faire partie du peuple élu. Vous savez, je suis un homme gentil même si j'aime le jambon. Sacrilège !
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Je marche dans l’aéroport glacial. Les gens sont masqués et ne se regardent pas. Tous semblent en transit dans un monde étroit, le cou baissé sur un écran qui feint un rapport aux autres. Nous sommes devenus des abstractions sans relief. Alors je suis seul, à nouveau, comme je suis arrivé. Je n’ai plus rien à écrire, plus rien à dessiner que des paupières fermées, des visages cachés pour nous sauver la vie. Mais avec la fin des liens, la mort est entrée dans le monde moderne bien avant le virus. Il ne fait que nous achever. J’avance en ligne, je montre mes papiers, mon test, ma déclaration de santé. Les voyages ont perdu leur romantisme, le monde est une boutique de souvenirs suggérés, de moments qu’on n’a jamais vécus.
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Je laisse Naples alors que l’aube n’a pas encore vraiment éclairé le ciel. Comme un homme fuit son foyer protégé par la nuit. J’ai le sentiment de ne pas pouvoir lui dire au revoir. Je ne reconnais que les lumières des paquebots immenses qui me faisaient rêver dans ma jeunesse et ils me pétrifient désormais, comme ce retour dans un pays qui sera mon linceul. L’écrivain sans visage avait raison, j’en veux à Mauricio. Il m’a offert le luxe de pouvoir travailler peu, de faire partie d’une famille confortable, de vivre sans obligations réelles. Et je m’aperçois aujourd’hui que j’étais un fonctionnaire au service de ma liberté. Que nous sommes tous en prison quelle que soit celle qu’on se choisit. La peur, l’urgence m’auraient peut-être obligé à devenir l’artiste que j’ai laissé paresser. Que vais-je faire pendant ces quelques années qui me séparent de la mort ? Où vais-je dormir, aimer, manger ?
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Quand on est immigré où qu’on soit, on a abandonné une partie de ce que l’on est et on n’appartient pas complètement à ce que l’on vit. Jamais chez soi, toujours en soi, à chercher si un jour on pourra poser notre sac pour de bon. Je pense qu’en abandonnant son pays, on ne trouve plus jamais la paix.
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Tu sais, il existe une tradition napolitaine qui s’appelle le café de la consolation. Quand on veut réconforter une famille d’un deuil, on lui offre un sachet de grains de café.
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Tu sais comme on s’abstrait de ce qu’on est quand on lit et comme à la fois on est profondément soi-même ? Eh bien c’est cela, le sommeil. Les livres, ce sont les rêves que quelqu’un d’autre nous prête.
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Livia était connue dans le quartier pour être une fille facile. Son nom se promenait dans les conversations graveleuses et arrosées du café. L’architecte la surnommait « l’allume-cigare » et Francesco « le plat de résistance », elle était un peu trop dodue à son goût et ce qu’il aimait vraiment c’était les « petits desserts ». Les hommes ne sont jamais tendres avec celles qui le sont trop. Ce sont pourtant bien eux qui en profitent les premiers et c’est souvent dans les bras de ces femmes qu’ils sont le plus eux-mêmes, mais qu’importe on leur préfère les prudes, les offusquées et même les méchantes. Dans un pays où la vierge est une idole, être légère n’est pas vu d’un bon œil. Alors la volage Livia qui priait pourtant assidûment ne faisait pas partie de celles qu’on épouse. Elle me souriait toujours avec bienveillance mais nous n’avions jamais échangé plus que des sourires de politesse.
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Je ne sais jamais si je serai publiée. J’ai déjà sorti un ouvrage mais je ne suis pas un auteur connu, et puis je n’y tiens pas. J’ai demandé à rester anonyme, et ça n’a pas l’air de poser de problème puisque tout le monde se fout de mes romans… J’écris quand même, je n’ai pas le choix. C’est en moi comme je respire. Mais c’est violent. Un livre qui n’est pas lu n’existe pas, il n’est même pas écrit. Il n’est pas un fantôme, il est le néant.
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Quand je suis sorti, le sol s’est dérobé sous mes pieds. J’ai tenté de résister à la secousse, comme à bord d’un bateau dans la tempête, Naples et ses sœurs chaloupaient. Ça s’est arrêté un instant et la terre s’affola à nouveau comme un hoquet après un sanglot. Je suis tombé le visage sur les pavés qui ne cessaient d’exulter. Le tremblement de terre de l’Irpinia fut un des plus violents de la région et fit près de trois mille morts autour de la ville. (…)
On est bien peu de chose qu’une main que l’on tend ou celle qui l’attrape. L’accumulation de bibelots ne fait que rajouter aux débris quand la terre tremble et que la vie s’en va. Je n’ai plus rien désiré de matériel après ce jour-là.
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— Je pense qu’être artiste, c’est être hanté. On croit que ça n’arrive qu’aux maisons mais ça arrive aussi aux gens, les gens hantés deviennent des écrivains.
— … Ou alors on devient fou. Souvent les deux à la fois.
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Nous, les écrivains, ne sommes que l’instrument d’une force qui nous dépasse, vous le savez bien. Nous réfléchissons, nous construisons, nous croyons travailler mais en fait nous ne sommes qu’une antenne réglée sur une fréquence qu’on appelle l’inspiration, nous écrivons sous la dictée. On peut croire en la littérature comme on peut croire en Dieu ou pas mais les livres sont là comme les églises, et ça doit vouloir dire quelque chose, non ?
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Ma vie filait sans que je la remplisse de rien de remarquable. La vacuité m’avait toujours obsédé et voilà qu’à quarante-trois ans, j’avais fait la moitié du chemin sans rien qui puisse me distinguer des autres êtres humains. J’étais resté prostré le premier mois de mes huit ans lorsque j’avais réalisé que la seule certitude de la vie était sa fin. Que l’amour, le succès, la peur, la joie, tout cela était en option mais que nous signions en prenant vie un pacte avec la mort qui rôdait dans notre sommeil, nos ébats, nos orgasmes, nos rires et nos retenues. C’est papi Marcel qui m’avait mis cela en tête. Je lui avais demandé « tu vas mourir papi Marcel ? » et il avait répondu « oui comme nous tous, mais pas ce soir ». Comme nous tous… et la compréhension intime de ma mortalité avait alors mordu ma chair. Une chose en moi le savait déjà mais je n’en n’avais jamais pris la pleine conscience. Un jour, je cesserai de voir, de respirer, de lécher mes lèvres, d’avoir mal au cœur. Je ne pouvais plus m’endormir sans que flottent dans mes rêves tous les corps de ma famille et de ceux que je connaissais, pendus au plafond, les pieds juste un peu au-dessus du sol. Je m’avançais entre ces quilles fantomatiques et je m’approchais de pieds plus petits, je reconnaissais les miens et je me réveillais en sursaut. Après plusieurs nuits d’effroi, mon corps refusa le sommeil, après plusieurs jours d’épuisement, je ne pouvais plus me rendre à l’école. J’ai un souvenir précis de tout cela mais pas de l’interruption de ma peur. M’étais-je habitué à l’idée de mourir ? M’avait-on adressé à un docteur ? Je ne sais plus comment je suis retourné à la vie. Ce que je sais c’est qu’un an après ma sœur est morte et j’ai su que c’était pour de vrai.
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Dans la langue italienne, on emploie peu le futur. Les choses qui vont arriver sont déjà inscrites, on les formule au présent. Les outils d’expression des Italiens expliquent fort bien leur tempérament ; ils usent d’un passé formulé dans une syntaxe empreinte de nostalgie aiguë, d’un conditionnel baigné de belles promesses et d’un temps qui même présent reste hypothétique et flottant. Ferdinando ne parle que sa langue natale, le napolitain, version encore plus forte de la langue de l’immédiateté, de l’amour de la vie et comme on lui a interdit d’évoquer les jours d’avant, aujourd’hui est tout ce qui existe. La vie de Ferdinando, c’est maintenant, maintenant, maintenant.
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En Chine, les docteurs apprennent à anticiper la maladie, leur médecine consiste à vous maintenir en bonne santé, quand ils vous soignent c’est qu’ils ont échoué et vous ne les payez pas. Je l’ai appris du docteur Chen lui-même, ce jour où me rendre à son cabinet juste en bas de chez moi avait été une épreuve. Alors qu’il m’expliquait les rudiments de la médecine de son pays, son visage presque toujours impassible s’obscurcit et je crus détecter la retenue d’un sanglot. Il se reprit en tortillant sa moustache :
« Avez-vous fait l’expérience récente d’une grande joie ou d’une grande peine ?
— Non. Je ne pense pas. Aucun médecin ne m’a jamais posé ce genre de question.
— Nous avons inventé la médecine en observant les êtres vivants et vous en disséquant des corps morts.
— Ah… dis-je sans comprendre tout de suite le rapport. Non, je ne crois pas. Pas de joie ni de peine je veux dire.
— Nous ne sommes pas des morceaux mais un tout. Les choses sont liées : l’esprit, l’âme, le corps entier, les organes entre eux. La maladie se manifeste pour nous dire que l’harmonie nous a quittés. Votre mal de gorge et le mien ne viennent pas du même endroit, voyez-vous ?
— Avez-vous mal à la gorge aussi ?
— Depuis que je suis arrivé en Italie, j’ai perdu mon harmonie, monsieur Madelin.
— Puis-je vous aider à la retrouver ?
— C’est moi le médecin, monsieur Madelin.
— Certainement. » J’ajoutai un « désolé » car je vis que cela l’avait mis en colère.
« C’est l’anniversaire ?
— Pardon ?
— Anniversaire de joie ou de peine ? »
Je tremblais. C’était en effet l’anniversaire du décès de ma sœur dans des circonstances si violentes que personne dans ma famille n’en parlait jamais. Nous avions fait comme si elle n’avait jamais vécu. Je ne lui dis donc rien, mais je sentais qu’il savait déjà.
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Il m’a fallu du temps pour comprendre que le monde des impressions dépasse de beaucoup celui que l’on considère comme réel. Il y a dans ce qu’on appelle l’intuition, la part essentielle de la vie. Nommez-la : instinct, sensation, atmosphère ; je pense tout simplement à l’espace qui contient l’amour, abrite la haine avant qu’elle ne se loge dans les poings, l’espoir qui fait courir plus vite, la peur aussi, le dégoût, la méchanceté, et le plaisir avant qu’il ne devienne orgasme. J’ai toujours su que mon ouvrage consistait à appréhender cette abstraction pour en faire des mots, des images, des valses d’émotion afin de lui donner une forme. Chaque artiste tire cette couverture invisible du côté qu’il croit être juste ; parfois il prend sa revanche sur la surdité des autres à ce qui l’a fait souffrir, souvent, il pense détenir le secret de la morale. Aujourd’hui, j’ai la conviction que faire le bien c’est avant tout accepter les émotions flottantes sans laisser leurs ondes sales nous articuler tels des pantins de chair. Maintenant que je vieillis, j’ai l’impression qu’une tasse de café suspendu a parfois plus de valeur qu’une œuvre d’art. Du côté de celui qui laisse comme de celui qui reçoit, la vie passe dans cette tasse qu’on tend dans son imaginaire ou qu’on accepte de mains inconnues. Ce qu’on offre, ce n’est pas un café, c’est le monde autour, du chahut à partager, des regards à croiser, des gens à aimer.
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Je ne suis pas un spécialiste mais jamais je n’ai goûté de café meilleur que dans le sud de l’Italie. Rares sont ceux qui s’asseyent pour boire leur café. Les petits déjeuners s’avalent au bar dans une cohue joyeuse, jus d’orange sanguine mêlé à la grenade débarrassée de ses pépins par une machine qui n’existe qu’à Naples, gourmandises englouties à la va-vite, du sucre plein les mains. Blagues à la criée. On croirait les salles de marchés boursiers de l’époque où tout le monde hurlait pour vendre et acheter. Nul ne veut rater cette plongée matinale dans la vie. Même les vieux se calent contre le comptoir. Sur les banquettes, on retrouve les dodus, ceux qui comptent rester, ceux qui doivent convaincre une femme de se déshabiller, un homme de signer un chèque, un père de les écouter enfin, et moi, assis avec mon stylo comme dans un bistrot français à ma place habituelle, à l’angle droit du café Nube. Certains retirent leurs alliances chaque matin. Quand une femme entre, il y a un frémissement dont elle se réjouit, les regards s’unissent pour célébrer sa beauté, les voix se font plus fortes sans agressivité. Il faut en être témoin pour comprendre comment les Napolitains regardent les femmes. Un sourire, un café et on s’en va dans la ville sous les yeux du Vésuve. Mauricio aime à me rappeler qu’il est considéré comme le volcan le plus dangereux du monde avec un ton de fierté, comme si cela glorifiait la masculinité napolitaine.
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Lorsqu’on commande un café à Naples, on peut en régler un second indiqué sur l’ardoise du bar comme un café sospeso : un café suspendu, offert à qui entrera sans avoir les moyens d’en payer une tasse. Certains disent que cette tradition a été initiée lors des années douloureuses de la Seconde Guerre mondiale, elle serait née de l’habitude d’une bande de copains qui laissaient toujours un peu plus d’argent car ils ne savaient jamais lequel d’entre eux avait pensé à régler l’addition ; certains la font remonter au dix-neuvième siècle, lorsqu’il existait encore des cafetiers ambulants qui se promenaient avec deux gros récipients, l’un empli de café et l’autre de lait. Quand ils croisaient un malheureux, ils lui tendaient le café suspendu qu’un homme plus fortuné avait payé avec le sien, par solidarité et sans doute, dans ce pays imprégné de chrétienté, par charité. Un ami m’a dit que je me trompais, que c’est le fameux acteur Totò, proche de ses racines et généreux, qui en était l’instigateur. Peu importe son origine, le café sospeso vit encore aujourd’hui. On a beau faire une mauvaise réputation à Naples et recommander de prêter attention à son sac quand on s’y promène, il y a des tasses fumantes de générosité partout dans la ville.
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La vérité, c’est qu’il y a toujours trois vérités. Celle de l’un, celle de l’autre et celle de Dieu.
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Il se retrouva dans le Centro Storico. Jadis lieu de la noblesse et de la bourgeoisie de Naples, les palais ont été abandonnés dans les années cinquante, après le tremblement de terre, au profit de la banlieue plus chic… On peut regarder le centre comme une belle femme qui a vieilli. Naples est encore belle, pour son âge…
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Les grands religieux et les êtres transgressifs sont les deux versants d'une même névrose : l'incapacité à vivre sans passion, la joie d'appuyer sur ses bleus, de plonger les mains dans ses plaies, le masochisme.
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