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Citations de Andreï Platonov (29)


Andreï Platonov
La terre dormait nue et tourmentée comme une mère dont la couverture aurait glissé.
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- Mettez la date, dit l'envoyé de Potchep. Tel jour et tel mois : s'il manque la date exacte du jour, l'inspection invalidera le document.
Mais Tchepourny ignorait le mois et le jour, il avait oublié de compter le temps écoulé à Tchevengour, il savait seulement que c'était l'été et le cinquième jour du communisme, aussi écrivit-il : "Eté. 5 com."
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(…) il connaissait depuis l’enfance tous les sentiments des animaux sauvages et des oiseaux. Ils ne peuvent pas pleurer et trouver dans les larmes et l’alanguissement de leur cœur à la fois le réconfort et le pardon de l’ennemi. Ils agissent, afin d’épuiser leur souffrance dans la lutte, que ce soit dans le cadavre de leur ennemi ou dans leur propre mort.
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Ce pays d'enfance se trouvait dans l'ombre noire où s'achève le désert ; là le désert laisse glisser sa terre comme une profonde dépression, comme s'il préparait son propre enterrement, et des montagnes plates, rongées par un vent sec, protègent ce bas-fond de la lumière céleste, recouvrant la partie de Tchagataïev de ténèbres et de silence. Seule une lumière tardive y parvient et éclaire d'un crépuscule triste les rares herbes d'un terre trop salée dont les larmes avaient séché sans que sa peine disparaisse.
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Le tableau représentait une scène imaginaire, du temps où on croyait la terre plate et le ciel tout proche. Un homme de haute stature était dressé sur la terre, il avait crevé avec sa tête la coupole céleste et son corps ressortait jusqu’aux épaules de l’autre côté du ciel, dans l’étrange infini d’un autre temps, qu’il regardait avec fixité. Il regardait depuis si longtemps l’espace inconnu et étranger qu’il avait oublié la partie de son corps restée en-dessous du ciel habituel. L’autre moitié du tableau représentait la même scène, mais la situation avait changé. Le tronc de l’homme avait langui, s’était étiolé et avait fini sans doute par mourir ; quant à sa tête desséchée, elle avait roulé dans l’autre monde (à la surface d’un ciel pareil à une bassine en fer blanc), tête de chercheur d’un nouvel infini où il n’y a effectivement ni faim, ni retour vers la plate et maigre face de la terre.
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-[...] Tu as lu Karl Marx ?
- Non, camarade Tchepourny.
- Eh bien il faut le lire, mon cher camarade : l'histoire s'est achevée et tu ne l'as même pas remarqué.
[...]
Kopionkine n'avait pas eu le temps de lire Karl Marx et il fut troublé par l'instruction de Tchepourny.
- Pourquoi ? demanda Kopionkine. On est obligé de lire Karl Marx chez vous ?
Tchepourny mit fin à l'inquiétude de Kopionkine.
- C'était pour faire peur au bonhomme. Moi non plus je ne l'ai jamais lu. J'ai bien entendu des choses lors de meetings - ça me sert à faire ma propagande. C'est d'ailleurs pas la peine de le lire : tu sais, c'est dans le temps que les gens lisaient et écrivaient, mais pour ce qui est de vivre, zéro pour la question, ils ne faisaient que chercher des chemins pour les autres.
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- Et le bétail est à qui ? demanda Kopionkine [...]
- Le bétail aussi, nous allons bientôt l'éparpiller dans la nature, répondit le Tchévengourien, lui aussi est presque humain : c'est simplement par suite d'une oppression séculaire que les bestiaux ont pris du retard sur l'homme. Or eux aussi ont envie d'être des hommes !
Kopionkine caressa Force Prolétarienne, percevant qu'elle était son égale .
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Couché, il se demandait comment allumer une cigarette. Il avait du tabac, mais point de papier ; il avait depuis longtemps fumé tous ses papiers officiels - le seul papier qui lui restait, c'était la lettre de Kopionkine à Dvanov. Louï tira la lettre de sa poche, la défroissa, la lut deux fois pour la savoir par cœur et en fabriqua dix douilles vides pour cigarette.
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Le lendemain ils n'auraient ni travaux ni occupations, puisqu'à Tchevengour celui qui travaillait à la place et au profit de tous c'était le seul soleil, proclamé à Tchevengour prolétaire universel. Les occupations des gens n'avaient rien d'obligatoire - à l'instigation de Tchepourny, Prokofi avait fourni une interprétation spéciale du travail selon laquelle tout labeur était à jamais qualifié de survivance de la cupidité, de volupté bestiale et oppressive, puisque le labeur facilite l'apparition de la propriété - celle de l'oppression ; mais le soleil à lui seul fournissait aux hommes des rations vitales normales, tout à fait suffisantes, dont toute augmentation - due à des travaux humains délibérés - allait nourrir le foyer de la lutte des classes en créant des objets superflus et nuisibles.
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Un jour Zakhar Pavlovitch chercha longtemps le boulon qu’il lui fallait pour refaire le filetage d’un écrou forcé. Il parcourait le dépôt et demandait si personne n’avait de boulon de 8, pour refaire un filetage. On lui répondit qu’il n’y en avait pas, quoique tout le monde eût ce genre de boulon. C’est qu’en fait les ouvriers s’ennuyaient, ils se distrayaient en se compliquant mutuellement les soucis du travail. Zakhar Pavlovitch ignorait encore cet amusement sournois, caché, qu’on trouve dans tout atelier. Cette dérision discrète permettait aux autres ouvriers d’avoir raison de la longueur de la journée de travail et de la langueur d’un labeur répétitif. En vertu de ce divertissement cher à ses voisins Zakhar Pavlovitch fit bien des choses pour rien. Il allait chercher des chiffons au dépôt alors qu’il y en avait des monceaux au bureau ; il fabriquait des échelles en bois ou des bidons pour l’huile, dont le dépôt regorgeait ; incité par quelqu’un, il fut même sur le point de changer par ses propres moyens les bouchons-témoins dans le foyer de la locomotive, mais fut prévenu à temps par un chauffeur qui se trouvait là, sans quoi Zakhar Pavlovitch aurait été congédié sans aucun commentaire.
Zakhar Pavlovitch, ne trouvant pas cette fois le boulon convenable, entreprit d’adapter un pivot à la réalisation d’un filetage et il y serait parvenu, car il ne perdait jamais patience, mais on lui dit :
– Eh, 8 pour un filetage, viens donc prendre ton boulon !
Depuis lors Zakhar Pavlovitch eut pour sobriquet "8 pour un filetage", mais on le dupa désormais moins souvent lorsqu’il eut un besoin urgent d’outils.
Ensuite personne ne sut que Zakhar Pavlovitch préférait ce sobriquet à son nom de baptême : il rappelait une partie importante de toute machine et semblait intégrer corporellement Zakhar Pavlovitch à cette patrie authentique où les pouces de métal triomphent des verstes de terre."
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- Qu'est-ce que tu veux ? demanda à Makar le commandant de l'asile.
- Je voudrais le prolétariat, dit Makar.
- Quelle couche ? s'informa la commandant.
Makar n'eut pas besoin de réfléchir, il savait d'avance ce qu'il lui fallait.
- Inférieure ! annonca-t-il, on y est plus serrés, il y a plus de monde et c'est là qu'est la masse !
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Le soir Dvanov alla voir Choumiline ; à ses côtés beaucoup d’hommes marchaient à grands pas vers leurs bien-aimées. Les gens s’étaient mis à mieux se nourrir et ils se sentaient une âme. Quant aux étoiles, elles ne séduisaient pas tout le monde – les habitants étaient las des grandes idées et des espaces infinis : ils avaient acquis la conviction que les étoiles pouvaient se transformer en une mince poignée de millet – celle du rationnement – et que le pou du typhus montait la garde près des idéaux.
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- Ne me fourvoie pas, camarade Dvanov. Chez nous tout se décide à la majorité et presque tout le monde est illettré et il arrivera un jour que les illettrés décideront de désapprendre l'alphabet à ceux qui le savent - pour l'égalité universelle ... D'autant plus qu'il est plus commode de faire désapprendre l'alphabet à peu de monde que d'éduquer tout le monde à partir de zéro ! Que le diable s'en charge ! Tu peux toujours leur apprendre, ils oublieront tout ...
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Kopionkine alla dans la cour rejoindre son cheval. Ce cheval possédait une complexion massive et était plus propre à transporter des poutres qu’un homme. Accoutumé à son maître et à la guerre civile, le cheval se nourrissait de haies vives, du chaume des toits et se satisfaisait de peu. Cela dit, pour se rassasier il consommait par moments une demi-livre de bois jeune promis à la coupe, puis buvait dans une marre de la steppe. Kopionkine respectait son cheval et l’honorait de la troisième classe : Rosa Luxemburg, la Révolution et ensuite son cheval.
– Salut, Force Prolétarienne ! dit Kopionkine à l’adresse du cheval qui haletait, gavé qu’il était de nourriture grossière. Allons sur la tombe de Rosa Luxemburg !
Kopionkine espérait et croyait que toutes les œuvres et les chemins de sa vie menaient à la tombe de Rosa Luxemburg. Cette espérance réchauffait son cœur et provoquait la nécessité quotidienne d’exploits révolutionnaires. Chaque matin Kopionkine ordonnait à son cheval d’aller vers la tombe de Rosa Luxemburg et sa monture était si faite à ce mot de "Rosa" qu’elle y voyait un cri pour aller de l’avant. Après les sons de ce "Rosa", le cheval se mettait aussitôt à trépigner où que ce fût : marécage, fourrés, abîme des congères neigeuses.
– Rosa-Rosa ! murmurait de temps en temps en chemin Kopionkine et le cheval tendait les forces de son gros corps.
– Rosa ! soupirait Kopionkine et il enviait les nuages qui filaient du côté de l’Allemagne : ils passeraient au-dessus de la tombe de Rosa et de la terre qu’elle avait foulée de ses souliers.
Pour Kopionkine toutes les directions de toutes les routes et de tous les vents couraient vers l’Allemagne ou, dans le cas contraire, faisaient le tour de la terre pour tomber sur la patrie de Rosa.
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Tous les cinq ans, le village partait pour moitié à la ville et à la mine, pour moitié dans les bois : il y avait des années de disette. On sait depuis longtemps que, même dans les années de sécheresse, les herbes, les légumes et le blé poussent bien dans les clairières de la forêt. La moitié du village restée sur place se jetait sur ces clairières, préservant ses blés verts d’une spoliation instantanée due à des torrents de chemineaux faméliques. Mais cette fois la sécheresse s’était répétée l’année d’après. Le village ferma ses chaumières et gagna la grand-route en deux équipes – une s’en fut mendier à Kiev, l’autre s’embaucher à Lougansk ; d’autres enfin se détournèrent vers la forêt et les ravins embroussaillés, se mirent à manger de l’herbe crue, de l’argile, des écorces, et ils s’assauvagirent. Il n’y eut presque que des adultes à partir – les enfants étaient morts d’eux-mêmes, à l’avance, ou s’étaient dispersés aux quatre vents pour mendigoter. Quant aux nourrissons, c’étaient leurs mères nourricières qui les avaient achevés, en les empêchant de téter à leur faim.
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: «Toi et moi, nous sommes un fichu trésor, tu es maigre, tu n'as guère de forces, moi j'ai les seins qui se dessèchent, les os en dedans qui me font mal.» Lui: «J'aimerai tes restes.»
…………………….
"Parvenu au bord du Kounia-Daria, qui était à sec, Nazar Tchagataïev aperçut un chameau assis à la manière de l'homme, les pattes de devant appuyées à un petit monticule de sable. L'animal était très maigre, ses bosses étaient toutes flasques, il regardait timidement avec ses yeux noirs, comme un être intelligent et triste. Tchagataïev s'approcha, mais le chameau ne fit pas attention à lui : il suivait du regard le mouvement des herbes mortes chassées par les courants des vents : viendraient-elles à lui ? Passeraient-elles outre ? Un brin d'herbe voleta sur le sable à portée de sa bouche; alors le chameau le mâchonna avec les lèvres et l'avala. Au loin zigzaguait un gros chardon rond; le chameau suivit du regard cette grande herbe vivante avec des yeux attendris par l'espoir, mais le chardon obliqua et s'éloigna; alors l'animal ferma les yeux, car il ne savait pas comment on fait pour pleurer."
………………………..
Nulle part le ciel n'est plus proche de la terre que dans le désert - il se mélange simplement avec lui et est presque impossible à distinguer l'un de l'autre, surtout au crépuscule, dans la chaleur et la nuit, à une heure indéterminée, quand on voit que le temps est une horloge - un mécanisme, non une action de la nature : il n'y a pas de temps, et l'espace des substances de l'air et de la terre n'est pas clairement délimité, comme il devrait l'être .
…………………….
Chagataev essaya de se relever pour mieux voir, tous les os émaciés de son squelette craquèrent, tout comme ceux des gens de son peuple. Il écoutait et il avait pitié de son corps et de ses os - sa mère les avait autrefois récupérés pour lui à cause de la pauvreté de sa chair - non par amour et passion, non par plaisir, mais par nécessité quotidienne elle-même. Il se sentait comme la propriété d'autrui, comme la dernière propriété des pauvres, qu'ils voulaient gaspiller en vain, et il devint furieux. Chagataev s'est immédiatement assis fermement dans le sable.
………………………
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Il s'étendit sur son lit et s'endormit involontairement - avec ce sentiment de bonheur physique soudain qui n'existe que quand on est jeune.
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Andreï Platonov
Occupé qu'il était à changer le monde, l'homme a oublié de se changer lui-même.
La pépinière de l'homme nouveau.
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Un jour d’été dévasté s’éloignait vers le soir ; tout s’achevait peu à peu, près de lui comme au loin : les oiseaux se cachaient, les hommes se couchaient, la fumée montait paisiblement au-dessus de lointaines demeures campagnardes où des gens inconnus et las, assis près d’un chaudron, attendaient leur diner, décidés à endurer leur vie jusqu’au bout. Le chantier était désert, les terrassiers étaient allés travailler dans le ravin et c’est là que se déployait maintenant leur mouvement. Prouchevski, soudain, eut envie de séjourner dans la lointaine ville du centre où les gens tardent à dormir, pensent et discutent, où le soir sont ouverts les mùagasins d’alimentation, avec leur odeur de vin et de pâtisseries, où l’on peut rencontrer une femme inconnue et converser avec elle toute une nuit en éprouvant le mystérieux bonheur de l’amitié, ce qui fait qu’on voudrait vivre perpétuellement dans la même crainte émue ; pour au matin se dire adieu sous un bec de gaz éteint, pour se quitter dans le vide de l’aube, sans promesse de retrouvailles.
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Makar marchait dans Moscou vers le prolétariat et s'étonnait de cette force qui courait par la ville dans les autobus, les tramways et les jambes vivantes de la foule. "Il faut beaucoup de ravitaillement pour alimenter une gesticulation pareille", raisonnait Makar dans sa tête qui pouvait penser quand ses mains étaient libres.
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