Anna Funder est une autrice australienne qui a étudié (entre autres) la littérature anglaise et pour laquelle les séjours à Berlin, la connaissance de la langue allemande et l’intérêt pour les droits humains étaient sans doute des blocs de construction nécessaires à la rédaction de son ouvrage passionnant, Stasiland.
Afin d’écrire son livre, qu’on pourrait également qualifier de reportage ou témoignage, Anna Funder a donné la parole à des personnes de camps opposés pour ensuite reconstituer un tableau représentant la (ex-)RDA : les victimes du régime totalitaire d’un côté et les membres de la Stasi de l’autre. Venant d’un autre continent et grâce à de nombreuses recherches, Anna Funder a su poser un regard nouveau sur la vie et le fonctionnement de cette machine incroyable que fut la RDA, le « rêve socialiste » basé sur l’espionnage et mensonge.
Les destins de Miriam, Frau Paul ou Julia sont poignants et servent de douche froide à ceux dont les connaissances de l’Allemagne de l’Est se résument à des photos d’une trabi, au film Good Bye, Lenin ! ou aux bisous passionnés devant le Mur de Berlin entre Brejnev et Honecker. Ces histoires de vies brisées alternent avec des rencontres entre Anna Funder et les anciens officiers de la Stasi ou leurs collaborateurs. Ceux-ci ne font pas part de remords, loin de là, mais témoignent du travail « bien fait », de devoir envers le système et frappent par leur capacité à s’adapter aux temps nouveaux grâce à de nombreux entraînements ou formations (notamment l’art de manipuler), tout en contraste avec leur victimes, incapables de se reconstruire.
Certaines informations font tristement écho à des articles de presse contemporains – l’emprisonnement des opposants avant des événements importants (pour que ces derniers ne nuisent pas à la bonne image du régime), la désinformation dans les médias (exercées par le régime totalitaire à l’Ouest par l’intermédiaire des agents), la valeur nulle de la vie humaine, la retranscription des manuels scolaires, des pseudo avocats ou juges…
Outre des faits connus, j’ai appris l’existence des femmes-puzzles de Nuremberg qui essaient de recoller des milliers de bouts de papiers que les membres de la Stasi ont déchirés à la fin de 1989 avant que leur bateau ne coule définitivement. Le nombre de sacs s’élève à 16.000 (!), chiffre qui illustre parfaitement l’étendu de l’espionnage des citoyens. Il faudrait encore 400 ans pour recoller tous les documents, mais les nouvelles technologies offrent de l’espoir aux victimes qui souhaitent enfin comprendre certains éléments de leurs vies.
Anna Funder touche à toutes les facettes du système d’autrefois : les fuites vers l’Ouest, le chantage, les tortures, les « suicides » (le régime ne se préoccupaient même pas de fabriquer un camouflage à peu près crédible), ainsi que les différentes perceptions des citoyens (des dissidents, ceux qui s’adaptent, ceux qui vivent dans l’ostalgie des bons vieux temps alias « on n’a pas besoin de bananes« ) mais elle laisse le lecteur respirer à quelques moments en décrivant par exemple l’architecture de Berlin ou en donnant l’envie de visionner la danse nommée Lipsi.
Au final, Anna Funder a su brosser un tableau passionnant et riche d’informations d’une période pas si lointaine qui met en garde contre les régimes totalitaires et qui devrait faire partie des lectures imposées à l’école. A lire et à offrir !
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