Citations de Annie François (150)
Maintenant que je suis grande, je ne recommencerai plus à lire comme on abat les arbres. Car, pas plus que le boulimique s'accorde de droit à la digestion, le bibliomaniaque ne prend le temps de la rumination.
La pièce chavirait sous mes yeux. Je m'assis sur les marches, mettant le malaise sur le compte d'une récente opération. Je risquai un coup d'oeil. La pièce gîtait encore plus. C'est alors que je compris que la bibliothèque s'enfonçait dans le parquet. Je battis en retraite sur la pointe des pieds pour ne pas précipiter le naufrage. Il fallut retirer un à un tous les bouquins, arracher la moquette, renforcer les lattes de parquet, calfater. Au bout de quinze jours, le navire était renfloué.
Il y a des encouragements à la lecture qui sont de vrais actes de terrorisme.
« Comment le lecteur peut-il emmagasiner tout ça ? Il n’emmagasine pas. Il est amnésique. Un clou chasse l’autre. Pour limiter les dégâts de l’oubli, il note ce qu’il lit. » (p. 117)
Mais parfois, avant d'avoir pu retenir ma langue, je lâche le fatidique : "Tu me le passes?" Et les ennuis commencent. Outre que j'inflige aux autres les affres du prêt, je m'impose les tourments de l'emprunt.
Les romans russes sont délice-supplice
Elle ne poursuit pas des études, c’est les études qui la poursuivent
"Je n'ai même plus envie de lire". Il hocha la tête et partit. J'éprouvai un grand soulagement, un fugace remords et retombai dans mon apathie. Nouveaux bruits de pas. Même auteur. Il me tendit un petit rectangle empaqueté aux armes de la Hune. "Merci." "Ouvrez." C'était les Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar. J'eus un sourire contraint "Merci encore." "Écoutez, quand on n'a plus envie de lire, il faut choisir des nouvelles. Vous verrez ça va marcher." Je fis mine d'y croire et lui serrai la main. Il partit.
Le livre resta sur le bureau tout le jour. Je l'emportai. Il resta dans mon sac toute la nuit, puis tout le jour. Le surlendemain, rentrant à la maison, je cherchai mes clefs. Elles nichaient au milieu du bouquin. J'ouvris la porte, jetai le livre sur le canapé, pris un bain, mangeai un morceau et m'assis dans un fauteuil. Je fermai les yeux, tendis machinalement la main vers mon paquet de Gauloises et rencontrai le livre. Je ris, enfin j'émis une espèce de spasme nasal qui se rapprochait assez du rire. Je pris le livre et l'ouvris, sautant d'emblée la préface (une de ces énièmes préfaces cuistres qu'affectionnait Yourcenar - il me restait donc un rien de jugeote). Et j'entamais la première nouvelle, puis lus la deuxième. Je m'installai confortablement. La pompe était réamorcée. Les mots coulaient. A chaque nouvelle j'avais encore plus soif. La crise était finie. Tout recommençait.
« Depuis toujours, pour moi, livre et lit sont associés. Cela remonte à l’âge analphabète où l’on me lisait des « contes à dormir debout » dès que j’avais sauté dans mon petit pageot. Je me couchais sans histoire grâce aux histoires. » (p. 9)
En matières de livres, il y a mille approches, mille accroches, un auteur, un pays, une rencontre, un genre, des circonstances, un format, une humeur, une saison, une maison, etc.
Tant de choses. Tout est prétexte. Rien n'est indifférent.
Je ne supporte pas non plus qu’on lise par-dessus mon épaule. J’ai l’impression qu’on entre dans mon bain.
Pas plus qu'eux à moi, je ne peux résister à ceux qui me recommandent un nouvel auteur. Je note le titre dans ma tête, au revers d'une enveloppe, plus sûrement dans mon agenda.
"Il suffit de lire un bouquin par mois pour avoir des manies, des préférences. Tout est plaisir, tout fait problème..Préfère-t-on lire couché ou assis, dans un fauteuil ou sur une chaise? User d'un marque-page? Emprunter?Prêter, sans espoir de retour? Se fier aux critiques, n'écouter que ses amis ou son flair? Engranger encore, toujours, au risque de devoir déménager? Le livre ne sollicite pas seulement l'intelligence, la vue, mais l'ouïe, l'odorat, le toucher. Les muscles, les nerfs. La mémoire et l'oubli. Le coeur, le temps et l'espace. Le livre peut envahir la vie domestique, amoureuse, familiale, amicale, professionnelle. Toute bibliothèque est une sorte d'autobiographie d'un couple, d'une tribu d'amis, d'une confrérie de lecteurs. Où chacun peut se retrouver."
En matière de livres, il y a mille approches, mille accroches : un auteur, un pays, une rencontre, un genre, des circonstances, un format, une humeur, une saison, une maison, etc. Tant de choses. Tout est prétexte. Rien n'est indifférent. (p.90)
Tant qu'un lecteur n'a pas reposé son livre de plein gré, c'est un individu potentiellement dangereux.
[Parlant de vieux et lourds dictionnaires]
Ces usuels usés m'ont moi-même usée.
Comme le boulimique évite la devanture des pâtisseries, je me détourne de la vitrine des librairies pour éviter les fringales d'entraînement, les achats compulsifs qui ne feraient qu'augmenter l'immense pile d'attente qui vacille près du lit : sûr, les ouvrages se vengeraient en me dégringolant dessus pendant mon sommeil
Qu'est-ce que je fuis si frénétiquement en lisant? Qu'est-ce que je me dissimule? Quel vide je comble? Quelle incroyable vacuité m'habite où tourbillonnent des nuées de titres approximatifs, de noms d'auteur écorchés, de lambeaux de citations fautives, où se catapultent des météores de références d'ouvrages à acheter?
Quel soulagement d'évacuer la vaisselle ébréchée, les vieux pulls pas même bons à faire des chiffons à chaussures. Quel délice de se débarrasser de cinq des sept épluche-légumes, de l'antique batteur électrique, du dossier impôts 1965-1985. Mais jeter des livres, c'est aussi déchirant que de brûler des lettres d'amour ou un cahier d'école de sa grand-mère.
Il me faut lire avant de m’endormir. Même à quatre heures du matin, j’ai besoin de ma dose.