Rencontre avec Dominique Mainard qui présente son roman, "Je voudrais tant que tu te souviennes" au Poivre d'Ane.
Les médecins ont diagnostiqué une maladie complexe, un trouble plutôt – c’était un mot étrange, « trouble » comme une eau opaque, l’œil indéchiffrable d’une flaque sur un chemin boueux- dans lequel certains enfants finissaient pas sombrer jusqu’à n’avoir plus aucun contact avec le monde extérieur.
J'ai découvert moi aussi que les mots étaient des traîtres, des voleurs.
Il manque des années à ma vie comme il manquerait des doigts à ma main, quelques centimètres à l'une de mes jambes, je boitille sans relâche d'un bout à l'autre du ruban, quelqu'un a coupé le fil, les deux extrémités flottent librement et il m'est impossible de les renouer.
P31: "Je ne sais pas s'il est vrai que je devrais avoir honte de ce que je fais. Je ne sais pas s'il est vrai que je n'ai pas ou plus la moindre idée de ce qu'est la réalité, comme on me l'a reproché parfois; on m'a traitée de marchande de rêves et c'était indifféremment un compliment ou la pire des injures. Aux yeux de mes clients, je suis quelqu'un qui console et soigne ou qui vend la plus toxique des drogues. Mais la vie m'a appris qu'il n'y a rien de moins réel que ce qu'on nomme la réalité et qu'une mort, une trahison, une souffrance cessent d'exister du moment qu'on arrive à s'en distraire. "
Où dors-tu la nuit ? T'es-tu construit un lit d'herbes sèches comme un renard, ou dors-tu entre les branches comme un oiseau ? Reposes-tu sous un buisson, au bord d'une allée, comme une pierre repoussée du pied, dont l'éclat précieux est voilé par la poussière ? T'es-tu construit un palais plus beau que ceux des princes ?
Je suis monté dans le car et bien sûr tout le monde me regardait, parce que j'arrivais trois jours après les autres, parce que ma mère me tenait la main et aussi parce que je suis roux. J'ai l'habitude, ça s'est passé comme ça pour mon premier jour à la maternelle, à l'école et au collège ; il y a quelque chose chez les roux qui fascine alors que c'est juste une couleur comme une autre, châtain ou brun ou blond ou roux, pas de quoi en faire un plat. (p.15)
J'ai dû m'interrompre alors. J'ai fermé le cahier, je l'ai posé sur les autres et je les ai entourés de leur élastique, comme on maintient close la gueule d'un monstre, un de ces monstres dont les paroles et les rires sont cruels de vérité ou encore prémonitoires. Je pensais à mon errance dans la rue presque abandonnée, la veille, quand j'étais partie de l'appartement de Jones après ses menaces et ses injures. Je me rappelais le scooter surgissant et mon espoir insensé - peut-être était-ce Jones, peut-être était-il venu me consoler, incliner ma tête et la poser sur son épaule comme il l'avait fait pour Adorno voici longtemps ; mais, non, j'avais marché seule dans la rue avec les yeux humides et mon gros ventre, il n'avait sans doute même pas jeté un regard par la fenêtre pour s'assurer que je prenais la direction de l'arrêt de bus, et j'ai senti les larmes me monter aux paupières, difficilement, lourdes et brûlantes.
Rien n'efface jamais ce qui a eu lieu, sous mes faux ongles nacrés les vrais sont toujours rongés jusqu'au sang.
"Y-a-t-il un endroit précis dans nos vies où quelque chose s'arrête ou se brise, pourtant nous continuons à vivre comme si de rien n'était, faisant tourner inlassablement le fil des jours dan sle vide comme la roue d'un vélo dont la chaîne a sauté ?"
Y a-t-il un endroit précis dans nos vies où quelque chose s'arrête ou se brise, pourtant nous continuons à vivre comme si de rien n'était, faisant tourner inlassablement le fil des jours dans le vide comme la roue d'un vélo dont la chaîne a sauté ?