Citations de Annie François (150)
Car le lecteur en apnée est imprévisible : un petit baiser dans le cou peut le faire sauter au plafond. C'est un asocial, un solitaire, une sorte d'autiste.
Essayez de l'empêcher de finir son paragraphe : l'être le plus amène s'ensauvage.
Tant qu'un lecteur n'a pas reposé son livre de plein gré, c'est un individu potentiellement dangereux. p.73
Je répugne au marque-page, mais mes livres sont fourrés d’articles, de vieilles lettres, de listes de courses. Saisis au hasard, ils exhalent leurs secrets oubliés.
Je souffre moins de l’effet des cigarettes que des restrictions de ma liberté sous les lois antitabac. Je vois les hygiénistes se frotter les mains. Sinistre triomphe. Rien que pour ça, avec l’imbécillité des impuissants, je ne céderai pas. Pire, l’angoisse m’accule à un surcroît de consommation.
Si on imposait une tête de mort sur les paquets de brunes, ils abandonneraient aussitôt les blondes. Ça tombe sous le sens. Il n’y a que les antitabagistes qui l’ignorent.
Si je n’avais commencé à fumer il y a si longtemps, je ne me risquerais pas aujourd’hui à allumer ma première cigarette. Non par hygiène mais pour me simplifier la vie.
Le fumeur est suffisamment persécuté pour que la Seita n’en rajoute pas. C’est à croire qu’elle cherche à tirer dans son propre but.
Avec « Donne du rhum à ton homme, du miel et du tabac »,on passe du protocole compassionnel des faubourgs au philtre d’amour exotique à usage de la femme de marin : « Tu verras, il aime ça. » On en conclut que l’amour ne suffirait ni à le retenir ni à le faire revenir et que le seul tiercé gagnant, c’est l’alcool, le tabac et le sexe.
L’univers des blondes, des brunes, est bien noir. Et la plus noire chanson est « Du gris », cette complainte de la pute qui dédaigne l’alcool et la drogue au seul profit « du gris que l’on prenddans ses doigts et qu’on roule ». Selon le principe que « le tabac, c’est l’beau d’la souffrance : quand on fume, l’fardeau est moins lourd », elle demande, avant de succomber à un coup de couteau, une dernière bouiffe, sûre que son « âme s’en ira, moins farouche, dans la fumée qui sortira de [sa] bouche ».
Un fumiste peut nous taxer d’une américaine et refuser, fumasse, nos brunes. Ce que ne fera jamais un ado fumeux s’adonnant à la fumette : il préfère l’herbe tout court à l’herbe à Nicot, au perlot, au gris.
J’avais perdu en voulant en faire trop. Le mieux est l’ennemi du bien.
Il m’arrive de détester autant les fumeurs dissimulés que les non-fumeurs rigides.
Le cinéma, comme tout art, reposant sur un ensemble de codes (et sur leur transgression) où tout est signifiant, ce ne serait qu’un élément de plus qui permettrait à chacun de jouer les pythies (longtemps, je n’eus pas ma pareille pour prévoir les grands moments en me fiant à la seule musique de film).
Le fumeur n’est glamour qu’au cinéma et c’est bien pourquoi les ligues antitabac bataillent pour en évacuer la cigarette.
N’empêche, à mes yeux, le fumeur n’est pas beau à voir. Mais,à tout prendre, je préfère aux fausses élégances les allures franchement vulgaires, clope au bec, lippe pendante, œil larmoyant ou cigarette coincée entre le pouce et l’index, cachée dans le cône de la main à la manière des écoliers et des taulards.
Quand il tire sur sa clope, c’est pire : son cou se ploie, ses épaules s’affaissent, son dos s’arrondit, sa silhouette s’étrique. Certes, ni plus ni moins qu’un mangeur de glace ou de panini, bref que toute personne portant quelque chose à sa bouche car, pour tous, le principe est le même : c’est la bouche qui va à la rencontre de la cigarette, du panini ou de la glace, et non l’inverse.
Sur le plan esthétique, le fumeur ne tire qu’un avantage de son vice : sa voix. Assourdie, réputée sensuelle, elle évoque moins l’abus de tabac que de sexe. Cette voix équivoque de viveur ou de radeuse ne manque pas d’émouvoir.
Le tabac jaunirait les dents. Encore une approximation malintentionnée. Il ne jaunit pas les dents, il les noircit. Un détartrage tous les trois mois s’impose. Idem pour les doigts jaunâtres. Un rien d’eau de Javel ou d’eau oxygénée suffit à les rendre impeccables. Un peu d’hygiène, que diable !
On dit aussi que fumer donne mauvaise haleine. Ça dépend des goûts. Il y a un tas d’amoureux qui potentiellement pourraient adorer embrasser un vieux soudard. Il convient de privilégier ceux-là. Et sinon, de se brosser les dents après chaque cigarette.
La peur du manque me donne des ailes, des mollets de chasseur et un souffle de baryton. Mais à part ces rares occasions (le fumeur est toujours précautionneux), le bilan n’est pas brillant.
Le souffle, parlons-en : il est bon en ce qui me concerne. Je peux monter jusqu’au troisième sans défaillir. Après, il me faut des paliers de décompression : au quatrième, poussifs halètements ; au cinquième, râles moribonds ; au sixième, effondrement.