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Citations de Antonin Artaud (995)


À Anne Manson1

Ma vie terrestre est ce qu’elle doit être : c’est-à-dire
semée de difficultés insurmontables et que je surmonte. Car c’est la Loi.
Mais je m’aperçois que vous ne voulez pas me comprendre. Et évidemment il n’y a rien à faire. Je constitue
pour vous un beau spectacle, mais vous n’entrez pas
dans le jeu. Vous considérez mon existence comme une
spéculation brillante peut-être, mais hors du monde;
et vous vous croyez, vous, dans le Monde, sans vous
apercevoir qu’il est en train de craquer sous vos pieds et
que c’est pour vous que je travaille, si vous comprenez.
La Vérité, ma chère Anne, et il faut que cela vous entre
dans la tête, est que dans 1 an, à la même époque, tout
ce qui fait pour vous la vie du monde, aura sauté, vous
entendez, et que vous ne vous reconnaîtrez plus vousmême si vous continuez.
C’est Vous qui êtes dans l’illusion et l’aveuglement
et non pas Moi : certes, je souffre, mais pour peu de
temps car ma vie hagarde actuelle est en train de préparer quelque chose qui n’est pas une rêverie, mais un
Haut Calcul, que l’Époque actuelle est devenue trop
bête pour comprendre et c’est pourquoi il n’en restera
rien dans peu de mois :depuis quelques mois, annonce un avenir d’épouvante
pour le Monde.
Cet avenir est proche.
Une grande partie de Paris va disparaître sous peu
dans le feu. Ni les tremblements de terre, ni la peste, ni
l’émeute et les fusillades dans les rues ne seront épargnés à cette ville et à ce pays. Cela est aussi sûr qu’il est
sûr que je suis né le 4 septembre 1896 à 8 heures du
matin, à Marseille, et qu’il est sûr que vous ne craignez
pas de vous entendre avec des périodiques répugnants
pour y faire des articles sur des sujets répugnants. Ce
faisant vous ne cessez de compromettre une lumière
merveilleuse qui est en vous et qui fait votre grandeur,
mais c’est une grandeur à éclipses et une lumière sous
le boisseau.
Je vous écris ainsi parce que je veux avoir une haute
idée de vous-même. Vous pensez trop à votre vie particulière et pas assez à l’autre, qui vous concerne particulièrement encore plus, mais cela j’ai peur que vous ne
puissiez le comprendre que par la catastrophe, comme
les autres. Et c’est désespérant. On ne se plaint pas
de souffrir du tennis, de la pêche, de la famille, de la
chaleur, et de n’être pas au Mexique, quand on n’a
su tirer du Mexique qu’une volupté égoïste et terriblement individualisée, et quand la vie moderne n’est
faite que de meurs-la-faim, sans famille, de fous, de
maniaques, d’imbéciles et de désespérés par les erreurs
de la vie moderne
Ce que font les Anarchistes Espagnols est très inouï,
mais c’est une aberration humaine. Ces cartes d’amour
et de pain sont la consécration d’un désordre inhumain.
Car ce que les hommes appellent aujourd’hui
l’humain, c’est le châtrage de la partie surhumaine de
l’homme.
Une prophétie écrite {depuis 14 siècles 2
} imprimée,
et que j’ai vérifiée point par point et dans les faits C’est une erreur dans l’absolu.
Les Anarchistes Espagnols essaient maléfiquement
de fixer l’absolu de la vie terrestre. C’est un mensonge
et c’est une basse idée. Ce n’est pas une force d’amour
cette idée-là. Car de quoi s’agit-il pour un anarchiste.
De fixer dans ce monde la propriété de son moi.
Les anarchistes sont de répugnants propriétaires et
d’égoïstes jouisseurs.
Ils ne méritent que le massacre. Ils l’auront. Car
avec le Mensonge ! On ne discute pas avec toutes
les incarnations du Mensonge. On les détruit pour
rendre l’Homme à la Vérité, et à l’Amour, c’est-à-dire
à l’Amour de la Vérité!

Il n’empêche que vous avez d’étranges divinations en
ce qui me concerne!
Antonin Artaud
Je quitte Galway
mais écrivez quand même
Poste Restante
à Galway,
on fera suivre.
Ne donnez mon adresse à Personne à Paris. C’est
très important!
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À André Breton

Mon très cher ami

Il faudrait faire dire à Mme Deharme si elle a l’idée
de venir me chercher en Irlande qu’elle ferait mieux
de s’éviter le voyage. Elle ne me trouvera pas! En
revanche, moi, je la retrouverai lorsque l’heure en sera
venue. Et qu’elle ne triomphe pas trop vite si elle est
encore vivante le 1er janvier 1938. Un délai lui sera sans
doute laissé. Pour quitter ce qu’on lui a dit de quitter.
En tout cas ceux qui comme elle prétendront ne vouloir croire qu’à ce qu’ils voient, ceux qui comme cette
Riche Sinistre, fille sinistre des Banquiers juifs qui ont
fait le Monde Moderne, prétendront qu’il n’y a pas de
Dieu comprendront ce que c’est que Dieu en voyant
étrangler le Monde Moderne. Je ferai rentrer l’idée de
l’Éternel Dieu dans toutes les consciences, au milieu
du craquement de toutes les consciences.
Et cela sera en Vérité.
Je quitte Galway
et vais vers
mon Destin

Antonin Artaud
8 septembre 1937

Je compte sur vous pour envoyer le Sort
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À Anne Manson1

Anne.
On voudra sans doute me faire arrêter à Paris.
Ne vous inquiétez pas.
Une femme riche que j’avertissais charitablement de
quitter le communisme sous peine de risquer d’être
prise dans le massacre des forces de gauche révoltées
a répondu qu’elle me ferait brûler comme sorcier. Et
que j’étais un cabotin. Elle avait dit d’autre part qu’elle
voudrait manger vivants ceux qui parlent encore de
Dieu. J’ai répondu en lui désignant le supplice qui
lui serait imposé pour sa révolte et après le massacre
qu’elle aurait elle-même provoqué et je lui ai dit selon
la Justice de Dieu que je cabotinerai sur son cadavre
ce jour-là.

1. Ce mot non signé et non daté (mais de toute évidence postérieur au sort envoyé le 5 septembre à Lise Deharme) a été rédigé
sur deux morceaux de papier déchirés. En les accolant, on peut
lire ceci, qui était écrit au recto :
L’Homme a pu voir que l’Irlande ne l’avait pas trahi,
Dieu est tout
mais tout n’est pas Dieu,
cette parole qu’un Français ne comprend plus était à l’origine
d’un droit qu’avaient les anciens Rois hautains de l’Irlande de régner
en dédaignant de gouverner
cette parole, les Rois Anglais l’ont trahie.
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À Lise Deharme1
5 septembre 1937
5 9 2
14 2
7
Je ferai enfoncer
une croix de fer
rougie au feu dans ton
sexe puant de Juive
et cabotinerai ensuite
sur ton cadavre pour
te prouver qu’il y a
ENCORE DES DIEUX!

1. Ce sort a été expédié avec la lettre du 5 septembre à André
Breton, dans une enveloppe distincte.
1
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À André Breton 2

5 septembre 1937

La force de la loi a expulsé des êtres, elle les a mis
dehors dans la vie. Ils sont sortis de l’infini du Rien
car ce qui est quelque chose n’est plus l’infini. Or de
l’Homme à l’Infini les Êtres ont toujours fait triangle.
Et les Dieux ont toujours fait triangle et ils tendent vers
l’infini qui les remange, car il est ennemi des dieux, comme il est ennemi de dieu. Cet infini, ce Rien, c’est
le Non-Être des Hindous. Et de l’Homme au primordial Non-Être nous sommes ce Non-Être et ces Dieux,
à travers une formidable hiérarchie de dieux.
La Vie ne nous est donnée et nous ne nous sommes
laissés aller à la Vie, puisque c’est Nous qui avons fait
la Vie, que pour punir en nous cette force criminelle
d’Être qui ne nous laisse pas le repos.
Celui qui fuit la vie perd le bénéfice de la destruction
de la Loi, et il retombe sous le coup de la Loi. Or il
faut détruire la loi. Car le seul secret est d’apprendre
à détruire la loi pour retomber dans le Non-Être audessus même de l’Éternité.
Et cela aussi est la loi.
Car l’Éternité ne donne pas le repos. Et la Loi est de
revenir au repos, au-dessus du possible et de l’impossible, au-dessus des Éternités.
Le principe de contradiction est dans la nature même
de l’être, et il faut tuer jusqu’à l’être pour échapper à
la contradiction.
Être dans la vie, en refusant la vie, celui qui a su supporter de vivre en s’interdisant la joie de la vie, celui-là
a gagné son repos et il ne revient plus, car il a gagné de
rester dans le Non-être, et même si la Nature criminelle ressort puisqu’elle ne peut pas avoir de repos, lui
ne ressort plus jamais dans la Nature, il échappe à la
Hiérarchie des dieux. Il n’est ni le Premier dieu, ni le
dernier homme, il demeure dans l’irréalité.
Et il y a autant de danger à risquer d’être le Premier
Dieu qu’il y en a à risquer d’être le dernier Homme et
il y a eu autant de Premiers Dieux que d’Éternités, et il
y aura toujours un premier dieu et un dernier homme.
Ce qui importe c’est d’échapper à ce cercle qui n’arrête
pas de recommencer.
Ceci n’est pas une théorie, mais la Vérité. C’est la
Vérité vue et traduite autant que ces choses peuvent se
traduire. Ceux qui ne voudront pas la comprendre on
leur cassera la gueule cette fois. Car cette Vérité sera
imposée par la force. Étant salutaire. Et les hommes
ne comprennent pas la force de la vérité mais la vérité
de la force, qui leur fait accepter ensuite de tout cœur
et en conscience la force de la vérité. On commencera
ce travail dans deux mois.
Je suis contre les Juifs dans la mesure où ils ont renié
la Kabbale, tous les Juifs qui n’ont pas renié la Kabbale
sont avec moi, les autres, Non.
Il se peut que j’aille en Prison d’ici quelque temps.
Ne vous inquiétez pas, ce sera volontaire et pour peu
de temps.
Je vous ai dit que j’avais lu dans les Tarots que j’aurai
à me battre avec la justice mais que je ne savais pas si
elle me casserait la gueule ou si ce serait moi qui la lui
casserais.
Ce sera moi qui la lui casserai.
Votre ami
Je signe une des dernières fois de mon Nom, après
ce sera un autre Nom
Antonin Artaud
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À André Breton

5 septembre 1937

Cher ami

Je vous confie un Sort que j’envoie à Madame
Deharme

. De ma main, elle pourrait ne pas ouvrir
l’enveloppe. Faites mettre l’adresse d’une main que ne
soit pas la mienne. Et envoyez le lui, je vous prie.
Vous verrez en prenant connaissance du Sort que
les choses vont devenir graves et que j’irai cette fois
jusqu’au bout.
Madame Deharme porte la peine d’avoir dit qu’il n’y
a pas de Dieux. De là la raison de ma haine.
Car il y a des Dieux, s’il n’y a pas de Dieu. Et au-dessus des dieux la loi inconsciente et criminelle de la
Nature, dont les dieux et Nous, c’est-à-dire Nous-lesDieux, sommes victimes solidairement.
C’est le Paganisme qui a eu raison, mais les Hommes
qui sont d’éternels saligauds ont trahi la Vérité Païenne.
Le christ ensuite est revenu pour remettre au jour la
Vérité Païenne, sur laquelle toutes les Églises chrétiennes ont chié ensuite avec ignominie. Le christ
était un Magicien qui a lutté dans le désert contre les
Démons avec une canne. Et une tache de son propre
sang est restée sur cette canne. Elle s’en va quand on
l’efface avec de l’eau, mais elle revient.
Il y a dans certains Hommes un dieu qui revient, et
ces hommes luttent contre ce dieu, car il les fatigue matériellement. Mais les dieux s’affirment toujours.
Les dieux ne prennent pas le pouvoir car ils ne s’affirment, par destination et par nature que pour détruire
tous les pouvoirs.
Or écoutez la Vérité Païenne. Il n’y a pas de Dieu,
mais il y a des dieux. Et au sommet de la Hiérarchie
des dieux le plus grand Dieu dont parle Platon, lequel
comme tout ce qui est est victime de la Nature. Ce
n’est pas un criminel, c’est un Impuissant, comme
Nous. Car ce qui est criminel c’est la Nature, et la
Nature elle-même qu’est-ce que c’est. En elle-même
Rien. Elle est ce Rien dont parle Lao Tseu, d’où pourtant est issue la Vie.
Qu’est-ce que cela veut dire?
Cela veut dire qu’on ne peut pas concevoir que ce
qui est ne soit pas et qu’il n’y ait rien. C’est une absurdité essentielle que de le penser. La loi veut qu’il y ait
quelque chose. Mais il nous est donné de détruire la Loi.
La révolte contre Dieu des magiciens Noirs est une
faiblesse et une absurdité. Car il n’y a pas de dieu, mais
il y a nous même, et quand nous nous révoltons contre
ce soi-disant Dieu nous nous révoltons contre nous
même, et c’est notre perte même que nous créons.
Anaximandre, Initié de l’École d’Ionie l’avait dit :
«C’est de l’infini que proviennent les êtres et c’est à
lui qu’ils retournent suivant une loi nécessaire, car ils
sont châtiés et ils expient selon l’ordre des choses leur
réciproque injustice.»
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Antonin Artaud
Ainsi donc le corps est un état illimité qui a besoin qu’on le
préserve,
qu’on préserve son infini.
Et le théâtre a été fait pour cela.
Pour mettre le corps en état d’action active,
efficace,
effective,
pour faire rendre au corps son registre organique entier,
dans le dynamisme et l’harmonie.
Pour ne pas faire oublier au corps qu’il est de la dynamique
en activité.
[...] le coït de la sexualité n’a été fait que pour faire oublier au
corps par l’éréthisme de l’orgasme qu’il est une bombe, une
torpille aimantée devant laquelle la bombe atomique de Bikini n’a
plus et n’est plus que la science et la consistance d’un vieux pet
rentré. (« Le Corps humain », mai 1947)
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Antonin Artaud
Et ce n’est pas d’un suppôt de Satan mais d’un suppôt acharné
de soi-même que je parle dans cet être dormant [...]. L’homme qui
vit sa vie ne s’est jamais vécu soi-même, il n’a jamais vécu son soimême, comme un feu qui vit tout un corps dans l’étendue intégrale
du corps, à force de consumer ce corps, [...] il est tantôt genoux et
tantôt pied, tantôt occiput et tantôt oreille, tantôt poumons et
tantôt foie, tantôt membrane et tantôt utérus, tantôt anus et tantôt
nez, [...] le moi n’est plus unique parce qu’il est dispersé dans le
corps [...] (XI, 103).
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Antonin Artaud
« Comme magie je prends mon souffle épais, et [...] je le projette
contre tout ce qui peut me gêner. / Et combien y a-t-il maintenant en
l’air, de boîtes, de caissons, de totems, de gris-gris, de parois, de
surfaces, de bâtons, de clous, de cordes, et de cent de clous, de
cuirasses, de casques, de blindages, de masques, de cardeuses, de
carcans, de treuils, de garrots, de potences et de cadrans, par ma
volonté projetés »
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Antonin Artaud
l’être, c’est du corps arrêté,
épouvantable sphincter de la constriction oculaire qui paralyse
ce qui doit marcher,
une espèce de putréfaction animale.
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Antonin Artaud
"en travaillant ainsi je me suis donné un autre corps / et ça c'est sérieux /
car il vit / et tiendra sans fin"
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21

Sur la gauche du tableau, et un peu en arrière-plan, s’élève à de prodigieuses hauteurs une tour noire, étayée à sa base par tout un système de rocs, de plantes, de chemins en lacets marqués de bornes, ponctués çà et là de maisons. Et par un heureux effet de perspective, un de ces chemins se dégage à un moment donné du fouillis à travers lequel il se faufilait, traverse un pont, pour recevoir finalement un rayon de cette lumière orageuse qui déborde d’entre les nuages, et asperge irrégulièrement la contrée. La mer dans le fond de la toile est extrêmement haute, et en plus extrêmement calme étant donné cet écheveau de feu qui bouillonne dans un coin du ciel.
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20

Et en effet elles se pavanent, les unes en mères de famille, les autres en guerrières, se peignent les cheveux et font des armes, comme si elles n’avaient jamais eu d’autre but que de charmer leur père, de lui servir de jouet ou d’instrument. C’est ainsi qu’apparaît le caractère profondément incestueux du vieux thème que le peintre développe ici en des images passionnées. Preuve qu’il en a compris absolument comme un homme moderne, c’est-à-dire comme nous pourrions la comprendre nous-mêmes, toute la profonde sexualité. Preuve que son caractère de sexualité profonde mais poétique ne lui a, pas plus qu’à nous, échappé.
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19

Et en effet le ciel du tableau est noir et chargé, mais même avant d’avoir pu distinguer que le drame était né dans le ciel, se passait dans le ciel, l’éclairage particulier de la toile, le fouillis des formes, l’impression qui s’en dégage de loin, tout cela annonce une sorte de drame de la nature, dont je défie bien n’importe quel peintre des Hautes Époques de la peinture de nous proposer l’équivalent.

Une tente se dresse au bord de la mer, devant laquelle Loth, assis avec sa cuirasse et une barbe du plus beau rouge, regarde évoluer ses filles, comme s’il assistait à un festin de prostituées.
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18

II

LA MISE EN SCÈNE ET LA MÉTAPHYSIQUE

Il y a au Louvre une peinture de Primitif, connu ou inconnu je ne sais, mais dont le nom ne sera jamais représentatif d’une période importante de l’histoire de l’art. Ce Primitif s’appelle Lucas Van den Leyden et il rend à mon sens inutiles et non avenus les quatre ou cinq cents ans de peinture qui sont venus après lui. La toile dont je parle s’intitule les filles de Loth, sujet biblique de mode à cette époque-là. Certes on n’entendait pas, au moyen âge, la Bible comme nous l’entendons aujourd’hui, et cette toile est un exemple étrange des déductions mystiques qui peuvent en être tirées. Son pathétique en tout cas est visible même de loin, il frappe l’esprit par une sorte d’harmonie visuelle foudroyante, je veux dire dont l’acuité agit tout entière et se rassemble dans un seul regard. Même avant d’avoir pu voir de quoi il s’agit, on sent qu’il se passe là quelque chose de grand, et l’oreille, dirait-on, en est émue en même temps que l’œil. Un drame d’une haute importance intellectuelle, semble-t-il, se trouve ramassé là comme un rassemblement brusque de nuages que le vent, ou une fatalité beaucoup plus directe, aurait amenés à mesurer leurs foudres.
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17

Le théâtre comme la peste est une crise qui se dénoue par la mort ou par la guérison. Et la peste est un mal supérieur parce qu’elle est une crise complète après laquelle il ne reste rien que la mort ou qu’une extrême purification. De même le théâtre est un mal parce qu’il est l’équilibre suprême qui ne s’acquiert pas sans destruction. Il invite l’esprit à un délire qui exalte ses énergies ; et l’on peut voir pour finir que du point de vue humain, l’action du théâtre comme celle de la peste, est bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartuferie ; elle secoue l’inertie asphyxiante de la matière qui gagne jusqu’aux données les plus claires des sens ; et révélant à des collectivités leur puissance sombre, leur force cachée, elle les invite à prendre en face du destin une attitude héroïque et supérieure qu’elles n’auraient jamais eue sans cela.

Et la question qui se pose maintenant est de savoir si dans ce monde qui glisse, qui se suicide sans s’en apercevoir, il se trouvera un noyau d’hommes capables d’imposer cette notion supérieure du théâtre, qui nous rendra à tous l’équivalent naturel et magique des dogmes auxquels nous ne croyons plus.
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16

Il se peut que le poison du théâtre jeté dans le corps social le désagrège, comme dit saint Augustin, mais il le fait alors à la façon d’une peste, d’un fléau vengeur, d’une épidémie salvatrice dans laquelle les époques crédules ont voulu voir le doigt de Dieu et qui n’est pas autre chose que l’application d’une loi de nature où tout geste est compensé par un geste et toute action par sa réaction.
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15

Et c’est ainsi que tous les grands Mythes sont noirs et qu’on ne peut imaginer hors d’une atmosphère de carnage, de torture, de sang versé, toutes les magnifiques Fables qui racontent aux foules le premier partage sexuel et le premier carnage d’essences qui apparaissent dans la création.

Le théâtre, comme la peste, est à l’image de ce carnage, de cette essentielle séparation. Il dénoue des conflits, il dégage des forces, il déclenche des possibilités, et si ces possibilités et ces forces sont noires, c’est la faute non pas de la peste ou du théâtre, mais de la vie.

Nous ne voyons pas que la vie telle qu’elle est et telle qu’on nous l’a faite offre beaucoup de sujets d’exaltation. Il semble que par la peste et collectivement un gigantesque abcès, tant moral que social, se vide ; et de même que la peste, le théâtre est fait pour vider collectivement des abcès.
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14

Il y a en lui comme dans la peste une sorte d’étrange soleil, une lumière d’une intensité anormale où il semble que le difficile et l’impossible même deviennent tout à coup notre élément normal. Et l’Annabella de Ford, comme tout théâtre vraiment valable, est sous l’éclat de cet étrange soleil. Elle ressemble à la liberté de la peste où de degré en degré, d’échelon en échelon, l’agonisant gonfle son personnage, où le vivant devient au fur et à mesure un être grandiose et surtendu.

On peut dire maintenant que toute vraie liberté est noire et se confond immanquablement avec la liberté du sexe qui est noire elle aussi sans que l’on sache très bien pourquoi. Car il y a longtemps que l’Éros platonicien, le sens génésique, la liberté de vie, a disparu sous le revêtement sombre de la Libido que l’on identifie avec tout ce qu’il y a de sale, d’abject, d’infamant dans le fait de vivre, de se précipiter avec une vigueur naturelle et impure, avec une force toujours renouvelée vers la vie.
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13

Si le théâtre essentiel est comme la peste, ce n’est pas parce qu’il est contagieux, mais parce que comme la peste il est la révélation, la mise en avant, la poussée vers l’extérieur d’un fond de cruauté latente par lequel se localisent sur un individu ou sur un peuple toutes les possibilités perverses de l’esprit.
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