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Citations de Antonio Muñoz Molina (509)


’imagine la chienne seule entre nos murs, distraite par quelque chose ou endormie dans la solitude et le silence : elle dresse les oreilles bouge lentement la queue, soudain lucide et sur ses gardes. Elle se lève, tord sa truffe vers la fenêtre entrouverte du balcon. Sa léthargie a disparu, l’annonce d’un fait imminent a perturbé sa quiétude.
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Accoudés au muret de la terrasse, nous savourions la brise marine qui soufflait sur les cheveux de Cécilia et dégageait son visage. Une théorie me traversa l’esprit. Je l’exposai à Cécilia à mesure que je l’inventais, enhardi par le verre de vin interdit que nous buvions au mépris des règles implacables concernant la consommation d’alcool à cet endroit et inscrites par le syndic de l’immeuble sur une pancarte très visible.
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La vie a dû se poursuivre avec la même et étrange normalité que dans notre quartier de Manhattan, le matin et l’après-midi du 11 septembre. Pendant que les Allemands incendiaient et détruisaient le ghetto de Varsovie après avoir exterminé les derniers résistants, les tramways circulaient et les gens lisaient les journaux dans les cafés d’autres secteurs de la ville.
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Les avions ont très longtemps donné des cauchemars à Cécilia. Elle en fait encore certaines nuits des années plus tard. Cécilia dit que ces cauchemars récurrents sont une aubaine pour une personne qui se consacre à l’étude des mécanismes de la mémoire, où la peur reste inscrite après la disparition de la menace ou du traumatisme qui sont qui en sont à l’origine. La peur ne dort jamais, ajoute-t-elle. Nous descendons d’organismes primitifs et d’animaux auxquels ce que nous appelons la peur a permis de survivre. Cécilia se réveillait en criant parce qu’elle avait rêvé d’un avion qui se dirigeait vers notre appartement et occupait tout l’espace de la fenêtre.
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Je me suis installée dans cette ville pour y attendre la fin du monde. Les conditions sont inégalables. L’appartement se trouve dans une rue silencieuse. Du balcon on voit le fleuve au loin.
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Je ne veux penser à rien d’autre pour l’instant, à ce que je ferai demain et après-demain, dimanche quand je serai aller à la résidence, je ne sais pas ce que je vais faire et je n’ai pas envie de me cacher et de dissimuler, ni l’envie ni l’âge, je ne regrette rien, je ne sais pas si c’est de la canaillerie mais je ne me sens pas coupable. Cela aussi m’arrive pour la première fois de ma vie, je ne suis pas mort de culpabilité et de remords, et cela n m’est plus égal de mourir. Ce n’était pas du courage ce que j’avais, toutes ces années passées, quand je pensais avoir dompté la peur et que cela ne m’importait guère d’être tué, c’est que je ne connaissais pas la différence entre être vivant et être mort.
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Pour ce qui est de ce surnom, Bloom, j'ai de bonnes raisons pour penser que c'est Santiago Biralbo qui le lui a donné parce qu'il était gros et placide et qu'il affichait toujours sur ses joues une plénitude rose, très semblable à celle des pommes. Il était gros et blond et on aurait vraiment dit qu’il était originaire du Canada ou de Suède. Ses souvenirs, comme sa vie apparente, étaient d’une confortable simplicité : un ou deux verres lui suffisaient pour se rappeler un restaurant du Québec où il avait travaillé quelques mois, une espèce de guinguette au milieu d’une forêt où les écureuils venaient finir les assiettes et ne prenaient pas peur en le voyant : ils remuaient leur museau humide, leurs ongles minuscules, leur queue, puis ils s’en allaient à petits sauts sur le gazon et savaient exactement à quelle heure ils devaient revenir, le soir, pour finir le reste du dîner. Parfois, quand on y mangeait, un écureuil sautait sur la table. (p.72)
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Il conduisait, excité par la peur et la vitesse : maintenant ce n’était plus, comme d’autres fois, l’abandon des taxis, l’immobilité en face d’un bourbon, la sensation passive de voyager dans un train lancé à travers la nuit, la vie inerte des dernières années. C’était lui qui réglait la cadence du temps, comme lorsqu’il jouait du piano et que les autres musiciens et ceux qui l’écoutaient étaient poussés vers l’avenir et vers le vide par la vaillance de son imagination, par le vertige et la discipline de ses mains qui bougeaient pour presser les touches du clavier, ne domptant pas la musique et ne contenant pas son énergie, s’offrant à elle, tel un cavalier qui rassemble les rênes tout en plantant ses talons dans les flancs d’un cheval. (p.139)
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Ce sont des détails secondaires, des distractions dues à l’attente. La mémoire anxieuse emmagasine sans raison des informations superflues. Oublier, dit Cécilia, c’est se débarrasser de la charge gênante de ce qui n’est pas nécessaire. Le cœur de l’attente est toujours identique, suivant toujours le même modèle, à l’image de ces photogrammes aux formes très pures de film en noir et blanc. Je suis assis devant la fenêtre et regarde la rue sur laquelle la nuit tombe peu à peu. Luria est allongée à côté de moi. Le moteur d’une voiture, puis ses phares donnent l’alerte. Si ce sont les feux de la voiture d’un particulier, la tension se dissipe aussitôt. S’il s’agit d’un taxi, je ne peux plus en détourner les yeux. Il s’arrête et, sur le toit, l’enseigne où s’affiche son matricule s’illumine. Le chauffeur allume la lumière de l’habitacle, mais du troisième étage je ne distingue rien. Les portières sont fermées car le client est en train de payer. Celle du conducteur, devant mon immeuble, s’ouvre en premier. Le passager sortira par la porte du côté du trottoir. Quand il fait très sombre, j’ai du mal à voir si la personne qui descend de la voiture est un homme ou une femme.
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C’est à ce moment-là que je me suis retrouvé hors du temps ou suis devenu amnésique, mais uniquement pour les notions temporelles. Je ne suis pas certain d’être en mesure de m’expliquer. D’une voix ensommeillée, nue, enlacée à moi, Cécilia me dit après quelques instants de silence au cours desquels sa respiration s’est peu à peu calmée : « Que jour on est ? » J’allais lui répondre quand je me suis aperçu que je ne le savais pas. J’étais tout aussi incapable de me rappeler quelle date ou quel mois nous étions. C’était un espace vide qui ne cessait de s’étendre. Chaque référence temporelle disparaissait à la seconde où je la cherchais. J’avais également oublié l’année. J’étais sûr du siècle, ça oui, mais c’était une donnée irréelle, totalement abstraite, comme si j’évoquais un siècle à venir ou un passé historique sans aucun rapport avec ma vie.
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Je ne pense pas retravailler un jour. Je n’éprouve plus le besoin et encore moins l’envie de posséder la plupart des choses que je m’achetais avec ma paie. Cécilia aura un bon salaire dans le nouvel institut de neurosciences où elle poursuivra ses recherches, et immeuble blanc de Belém, près de l’embouchure du fleuve. Nous avons cessé de nous soumettre à l’extorsion permanente qu’est la vie à New York, le prix exorbitant à payer pour la simple vanité de pouvoir dire aux autres qu’on y habite ou de le dire à soi-même. Je n’ai pas d’enfants à aider ni de parents âgés à entretenir. Je n’ai personne d’autres que Cécilia et il ne me faut personne d’autre. J’ai été expulsé d’un paradis d’oisiveté, de rêveries et de lectures à treize ou quatorze ans, et je n’y reviens que maintenant, après une vie entière en exil.
Je n’étais pas né pour devenir adulte de manière aussi irrévocable ni pour gagner mon pain dans ces métiers sans cesse agités par des soubresauts de compétitivité et de cruauté.
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La lecture est compatible avec l’attente. Lire est un acte paresseux sans monotonie. Ce n’est qu’en cessant de travailler que j’ai découvert avec étonnement le vaste royaume de liberté que me garantissaient les matinées de la semaine. Si j’en ai envie, je peux m’asseoir et lire après avoir fait la vaisselle du petit déjeuner et ramené Luria de sa promenade. Lorsque je sors, j’emporte un livre avec moi. Les rares fois où je vais au restaurant, je lis en attendant mon plat, en buvant mon café ou en finissant mon verre de vin. Le vendredi midi, je lis au Mascote do Sacramento, à deux pas de chez moi, où on sert le meilleur bacalhau a bras de la ville. Je déniche une petite place silencieuse avec un banc, sous un des immenses acacias protecteurs qu’on trouve à Lisbonne, et je m’y installe pour lire un moment.
La lecture trompe, écourte le temps de l’attente, un élément à prendre en considération dans cette ville où tout peut se dérouler à un rythme très lent. Quand je lis, le temps est suspendu.
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Chaque matin je me réveille et trouve incroyable de ne pas être obligé d'aller au bureau, de courir derrière un taxi pour me rendre à l'aéroport ou de passer de longues heures de torture dans une réunion où il faut faire mine de s'intéresser à tout et de comprendre ce qui est expliqué sur plusieurs écrans, dans des dossiers constitués de colonnes de chiffres et de paragraphes surchargés de blabla corporatif. Je m'étonne d'avoir consacré la plus grande parti de ma vie et mes plus belles années à des activités épuisantes qui, au fond, m'ont toujours paru détestables. Je n'ai jamais eu vocation pour ce genre de métier.
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La fin du monde est permanente. Quelque part, en ce moment même, survient peut-être une apocalypse. Dans les forêts tropicales d'Amérique, des millions de grenouilles jaunes ont succombé en un rien de temps à un champignon mortel se propageant aussi vite que la variole qui a décimé les populations indigènes au XVIIe siècle. En Amérique du Nord, une moisissure qui commence à se répandre en Europe tache les museaux des chauves-souris comme une poudre blanche. Dans le ciel des crépuscules de Lisbonne, elles sont encore moins nombreuses que les martinets. J'allume le téléviseur, le soir, avec Luria, ou lis la presse sur Internet, et aussitôt apparaissent les nouvelles de fin du monde.
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Dans beaucoup de sociétés, disparues ou non, la notion d'heures et de minutes n'existe pas, et les langues de certaines cultures primitives n'ont pas de termes pour mesurer les années. Personne ne connait son âge.
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Toutes ces années, j'ai acheté plus de livres que je ne pouvais en lire. Je devais parfois me contenter du métro ou d'une salle d'attente, quelques minutes avant un rendez-vous, furtivement comme on s'empresse de tirer sur une cigarette. Maintenant les ouvrages sont prêts et disponibles pour moi et pour Cecilia quand elle sera là. Je suis capable d'identifier ceux que nous avons achetés chacun de notre côté et ceux que nous nous sommes offerts l'un à l'autre et, dans la plupart des cas, je me rappelle même où et quand. Ce mélange nous garantit une diversité qui nous épargnera l'ennui, à l'image d'une sélection d'aliments non périssables préservant longtemps leur saveur et leurs qualités nutritives. S'il le faut, en cas de catastrophe, je pourrai passer le restant de ma vie sans mettre les pieds dans une librairie.
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La poésie d'une nouvelle ville court le risque de s'évanouir sans laisser de trace dès lors qu'on doit s'y installer.
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Je me suis installé dans cette ville pour y attendre la fin du monde.

(Incipit)
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Cela m'arrive parce que je suis retraité. Je réfléchis à ce terme sans même le prononcer et j'en ai des frissons. Etre retraité, c'est être vieux. Il est vrai que, dans mon cas, on peut parler d'une retraite anticipée. Mais le mot est assassin. "Retiré", "retired", serait plus digne ou, mieux, "reformado", comme on le dit en portugais. Etre reformado est moins ignominieux qu'être retraité. Quand il a cessé de travailler, mon père a sombré brusquement dans un état d'abattement bourru et silencieux. Lui qui s'était levé aux aurores chaque jour de son existence, à compter de ses huit ans, traînait au lit et passait ses matinées à regarder à la télévision des émissions s'adressant aux vieux qui voulaient garder la forme.
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"Vieillissante et effrayée, l'Europe ne voudra pas accepter autant d'immigrants" dit Beevor. Les deux présentateurs de l'émission sourient avec le même contentement ou le même intérêt que s'ils écoutaient une chronique sportive ou mondaine.
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