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Citations de Arnaud Dudek (122)


Dans les tiroirs de Cathy, pas d'albums numérotés, juste des rouleaux de pellicule. Des souvenirs sagement enfermés, à l'abri, protégés : le soleil les aurait abîmés, la poussière les aurait salis, les yeux les auraient déformés. Dedans tout est bien calibré, tout resplendit, tout brille. Conservés dans les rouleaux, les clichés font la part belle à l'imagination. Regarde un peu cette pellicule, Martin. Ce qu'on a l'air heureux. En ne développant rien, Cathy avait l'impression de porter un peu moins le lourd fardeau des souvenirs.
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Les photos de l'enfance, c'est toujours un peu pareil. Un bébé couperosé, donnant l'impression d'avoir mangé un plat trop pimenté, un bébé à élever volets fermés et rideaux tirés, un bébé que tout le monde ose trouver mignon. Puis les enfantillages, les poses en anorak orange devant un bonhomme de neige raté, les poses en slip de bain kaki devant un château de sable raté, les poses en sous-pull bordeaux devant un fraisier penché (le cliché ne raconte pas l'océan de larmes, dix secondes avant le flash: un gâteau aux trois chocolats avait été commandé). Ensuite ? Le corps commence à pousser, à nous cerner, à nous enfermer dans un bocal. La vie angoisse, la mort angoisse, l'amour angoisse et les bagues grises d'un appareil dentaire voilent le sourire. Il n'y a rien de moins photogénique qu'un adolescent complexé. Un poulpe, à la rigueur.

Martin n'a pas échappé aux heures de sourire figé, aux « ouistitis » et aux « cheeses » prononcés avec conviction. Martin n'a pas échappé aux recule, aux encore un peu à gauche, aux bah on la double t'as fermé les yeux d'une mère rarement aussi directive que dans ces moments-là.
Là où Cathy se démarquait, c'était dans la phase suivante.
Elle ne développait jamais les photos.
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Au bout d'un moment, la colère. Contre l'unique coupable, celle qui l'a conçu dans un moment d'égarement, à l'arrière d'une voiture aux pare-chocs enfoncés. Cet automate, qui a fui une bonne fois pour toutes ses responsabilités, a lâchement gagné une sorte de no man's land où tout est plus simple, où les loyers ne se paient plus, où l'on part en vacances quand ça nous chante, à coups de neuroleptiques.
- Sois pas si dur, glisse la grand-mère sur le chemin du retour.
Désormais, les bougies se souffleront sans elle. Sa signature énorme ne zébrera plus les pages du carnet de liaison. Son joli minois n'éclairera plus les photos de famille. Il va falloir s'y faire.
- Tu veux qu'on sorte quelques albums après souper ? Ça te dit ? Il hoche la tête, pour lui faire plaisir.
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On connaît la mélancolie des fast-foods, on devrait également s'attarder sur celle des voyagistes. Derrière les catalogues colorés et les billets d'avion, des problèmes assez terre à terre, trésorerie, TVA, charges sociales, gestion des ressources humaines, stratégie commerciale. Des clients, aussi. Ceux qui veulent partir en plein mois d'août pour moins de cinq cents balles (tente canadienne et camping en Ardèche ? Non: les Antilles ou rien). Ceux qui déclinent une promotion pour le Népal (hors de question de partir en Afrique). Qui veulent découvrir la Septicémie, Malte (capitale de la Grèce), ou Melbourne (en Floride). Qui souhaitent réserver dans un hôtel de Las Vegas, chambre avec vue sur la mer.
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Hélas la réalité court plus vite que les rêves. Vieillir, c'est élever les désillusions au carré.
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Martin raconte tout, son idée de vengeance ce matin, le coup de sonnette dans le vide, le marteau dans son sac (c'était donc ça !), tu te mets à souhaiter une pause dans le récit. Tu espères une rupture de ton, un éclat de rire avec une claque sur l'épaule, un je plaisantais prononcé avec force mimiques, une grande bouffée de rire bruyant, oh oh, tu m'as cru, ce que tu peux être naïf. Un temps d'arrêt, une parenthèse florale, une respiration bucolique, la description d'un paysage argentin empreint de sérénité, une plaine pampéenne reposante où il existe d'importantes variations de reliefs, où des paysans fendent la brume fraîche qui recouvre les champs. Oui, à ce stade, l'histoire de Martin manque singulièrement d'un moment argentin.
Martin a fini son monologue désespéré et désespérant. Manifestement, c'est à toi de parler. Tu hésites entre un mon Dieu hystérique et un je passe plus doux. Tu mesures la gravité de la situation. Le raisonner, lui faire la leçon ?
- C'est pas une solution... Non, franchement... Ta voix s'effiloche avant de se dissoudre. Tes arguments: aussi convaincants que la photo d'un poumon cancéreux posée sous le nez d'un ado rebelle. Martin fait mine d'être d'accord et tu es trop content de changer l'orientation de la conversation. Tu exhumes des histoires, ressuscites des anecdotes. Des placards sortent de doux souvenirs, des doudous rassurants qui prouvent que vous avez été vivants, et que vous pouvez l'être encore. Les événements les plus banals se changent en formidables épopées.
- Eh, tu te souviens des boîtes aux lettres qu'on remplissait de soda, avec Laurent ? Et les dix-huit ans de Lolo ? La tête des gendarmes quand il a baissé la vitre de la Panda !
Vous étiez mignons à l'époque. La vie était facile. Même si vous teniez à peine debout, l'avenir qui vous attendait forcément était droit comme un i.
- On était cons.
Déjà treize heures trente. Au même moment, à deux rues de là, le libraire Dupont se fait livrer un pack d'eau minérale et des sous-vêtements propres. En direct d'un balcon, un journaliste décrit l'action à la manière d'un commentateur de football italien. Martin te quitte après le tiramisu maison.
- Ça va mieux ? lui lances-tu sur le trottoir.
- Disons que ça pourrait aller plus mal, dit-il en s'éloignant.
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Dix années, cela ne se rattrape pas facilement. Il faut bien commencer par quelque chose. On a davantage à dire à des gens que l'on voit tous les jours (un nouveau canapé en cuir, un cheval de Troie dans le PC de Berthier, un excellent chinois boulevard Foch, oh et puis je t'ai pas raconté, les locataires du dessus déménagent) qu'à un camarade perdu de vue depuis dix ans (j'ai rencontré une femme, on vit ensemble, je travaille, voilà voilà voilà). C'est qu'en dix ans, il s'en passe.
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La vie se termine souvent là où commencent les statistiques.

Avant d'être une série de données, Laurent étudiait le droit. Jouait au mot de cinq lettres en cours de constit'. Arpentait les couloirs de la fac à la recherche du sosie de Kate Winslet. S'endormait sur les dépêches du JurisClasseur. Avec Martin, avec toi, avec d'autres, Laurent se rendait à des soirées où l'on refaisait le monde autour d'un plat de pâtes. Les lendemains de Laurent démarraient rarement avant midi... Sauf ce mardi, où la Ford blanche du chauffard a percuté sa voiture.
On ne devrait jamais rien changer à ses habitudes, songes-tu, et tu lâches la main courante. Après la mort de Laurent, quelque chose s'est cassé. Tu as voulu prendre l'air, te sauver, t'éloigner. Tu as passé une année à l'étranger à contempler, rêveur, les jupes des petites Anglaises insensibles au froid. Elles se baladent en soutien-gorge par moins dix degrés, crispées sur leurs talons, la lèvre supérieure tartinée de mousse de Guinness. De retour en France pour ton troisième cycle en ingénierie informatique, tu as subi les humiliations comico-sexuelles de tes aînés, avant de te venger sur la promotion suivante. Lors d'une soirée organisée par plusieurs associations d'étudiants, une soirée pleine d'alcools forts et de déguisements improbables, tu t'es pris pour Lucky Luke et tu as flashé sur le Petit Chaperon rouge. Elle a refusé de se laisser attraper par ton lasso. Tu as eu envie de la revoir. Pour lui offrir des fleurs (des gueules-de-loup, forcément), lui donner un double des clés, choisir un lave-linge commun, entendre tes parents lui dire Marie, appelez-nous Nicole et Robert. La vie était lancée. Plus le temps de rappeler les vieux copains, pas même Martin. Le temps a commencé à se compter en années.

Pas trop tard pour se rattraper.
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Une dizaine d'années plus tard, quand Martin analysera à froid sa haine des touristes et ses choix professionnels incongrus, quand, vissé à une copie de fauteuil Louis XV, dans une pièce qui empeste l'encens et les remords, sous le regard bienveillant d'une autre thérapeute d'âge indéterminé, il tentera de comprendre pourquoi son licenciement l'a anéanti, pourquoi il a eu le sentiment qu'on tuait une seconde fois sa mère en le mettant sur la touche (rien que ça), il comprendra que, même si tous les monsieur Démonté du monde ne deviennent pas kinés, même si tous les voyagistes de la planète ne jouent pas à Œdipe et Jocaste en signant leur contrat de travail, nos choix ne sont jamais totalement anodins.
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Tu la regardes, ses joues creuses, le noir de ses yeux qui étincellent un peu. Folle. Ça te glace le sang. Comment bascule-t-on ? On naît fou? On le devient ? Te voilà face à un précipice d'angoisse et de questions sans réponses. Le regard de cette femme ne peut rien pour toi.
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Martin a treize ans, des tas d'amis imaginaires, un appareil dentaire. Il aime s'entraîner à marcher les yeux fermés au cas où, un jour, il deviendrait aveugle. Sa collection de pin's vient tout juste de s'enrichir des nattes de la Belle des champs. Au-dessus de son lit, Jean-Pierre Papin réussit un retourné acrobatique. Rien de violent dans son quotidien: on ne mange pas de cocaïne à la petite cuiller, des femmes mal rasées ne vendent pas leur corps sous ses fenêtres.
En revanche, il ne sait pas qui est son père.
Sa propre mère n'a pas bien connu le géniteur; une demi-heure, tout au plus. Elle pense l'avoir croisé deux fois depuis la conception: dans la salle d'attente d'un dentiste, puis, l'année suivante, dans un ascenseur, sans certitude. Elle n'a jamais cherché à mythifier ce père inconnu, en faire un légionnaire couvert de cicatrices, l'inventeur du vaccin contre la variole ou un nouveau Hemingway: très tôt, Martin a compris qu'il était le fruit d'une erreur de jeunesse, le produit d'une banquette arrière et d'une soirée disco trop arrosée. Voilà bien le genre de révélation qui n'aide pas à se construire, ni à avoir confiance en soi.
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Peut-être que ce cauchemar a été l'élément déclencheur. La goutte d'eau. N'empêche, partir ainsi, foncer sans plan ni méthode, cela ressemble si peu à Martin. Ses comptes sont parfaitement tenus dans un cahier de brouillon, lignes tirées à la règle, colonne recettes, colonne dépenses. Dans le troisième tiroir de son bureau, un classeur contient tous ses bulletins de salaire. Lessive hypoallergénique, gel douche sans parabène, déodorant sans aluminium, nettoyant multi-usage taches tenaces, son quotidien est net, aseptisé. Difficile d'y improviser quoi que ce soit.
Martin prend une gorgée de nectar de poire. Trop épais, trop sucré, écœurant. Décidément cette matinée est une erreur, un non-sens, un horloger en retard, un labyrinthe sans entrée.
Un peu comme les vacances que sa mère lui a offertes en mille neuf cent quatre-vingt-douze.
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À sept heures trente, au bureau de tabac Le Pacha, tu as acheté des Camel bleues. Tu as payé avec un billet de vingt euros retiré la veille, à deux cents mètres de ton bureau, à un distributeur qui s'est montré dans l'impossibilité de délivrer des tickets. Ces cigarettes ont été vendues par une Sophie, vingt-quatre ans, chat tatoué sur la nuque. Une Sophie hypocondriaque qui souffre de douleurs musculaires depuis un footing de trois minutes onze secondes, une Sophie qui se demande si elle n'a pas un cancer du système lymphatique, une Sophie persuadée que ses organes vitaux vont un à un faire sécession, lui causer mille tourments. Une Sophie qui ne fume pas mais qui devrait songer à commencer (enfin une bonne raison de ne pas oublier qu'on va mourir).
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- Comment vous sentez-vous?
La question lui avait fait venir des larmes. Elle appelait une réponse sincère:
- J'ai mal.
- Où ça?
Victor avait désigné son cœur, et avait ajouté:
- Derrière.
- Sous le cœur?
- Oui. Pas le cœur qui bat, l'autre, derrière, celui qui se sert quand on perd.
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Forgeron passe à côté de lui, ne lui jette pas un regard. Il pense sans doute qu'une graine de champion n'a pas besoin de bonheur pour pousser, juste de l'effort, rien que de l'effort, toujours de l'effort, et puis de la violence aussi. Il faut les malmener ces gamins, pour qu'ils se transcendent, leur rappeler chaque jour qu'ils ne sont rien, et que, du reste, les champions n'existent pas, seule leur discipline compte, elle les dépasse, les traverse.
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Le sport consiste à déléguer au corps quelques-unes des vertus les plus fortes de l'âme: l'énergie, l'audace, la patience.
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Le bonheur ressemble parfois à un frisson que l'on rapporte chez soi en soupirant.
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Victor ignore par quels états, par quels tourments il va passer. Il est jeune, doué, déterminé mais relativement naïf, il pense que sa bonne étoile ne peut pas pâlir, mais voilà, elle est tellement complexe, la vie, tout à la fois plume d'oiseau et instrument de torture, couette en duvet d'oie et bombe à fragmentation, cœur gravé sur un tronc de hêtre et feu de forêt criminel, abécédaire poétique et discours négationniste, confiture fraise-litchi et page Wikipedia recensant les personnes mortes d'un cancer du pancréas, lumière ambrée, ténèbres bancales, dunes blanches et foyers d'accueil médicalisés, il faut la prendre avec soi, toute cette pagaille, ce yang, ce yin, toute cette beauté inexplicable, se dire qu'un jour les portes automatiques s'ouvrent en grand sur votre passage mais que, le lendemain, elles peuvent demeurer closes - et pour peu qu'un homme de ménage ait fait du zèle, qu'il ait rendu cette porte absolument transparente, on peut s'y écraser, oui, se la prendre en pleine figure.
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Il rêvait d'un entraîneur rigoureux et proche de ses athlètes, capable de créer un environnement propice à leur éclosion. Il espérait secrètement un fabricant d'harmonie, un créateur d'émulation. Il espérait au fond un coach-mentor, un coach-ami, qui aurait dégainé un check différent pour chacun de ses poulains. Forgeron souffle le chaud, puis le froid, en ayant l'air d'y prendre un certain plaisir. Il distribue bons et mauvais points avec outrance. Il monte parfois ses protégés les uns contre les autres. Mais il a sans doute raison.
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Il n'est pas nécessaire de disséquer cette amitié: il y a tout simplement des âmes aussi complémentaires qu'un violon et un archet, des bouches qui finissent les paroles que nous commençons, des cœurs qui savent nous abriter comme des dunes et qu'on met nous aussi à l'abri du grand vent.
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