"Entre toutes les mères", d'Ashley Audrain (éditions Lattès).
Romans, polars, bandes dessinées, jeunesse
Tous les jours, de nouveaux conseils de lecture à découvrir sur Lecteurs.com, la communauté des passionné.e.e.s du livre !
Pour en savoir plus, visitez le site : http://www.lecteurs.com/
Suivez Lecteurs.com sur les réseaux sociaux :
Facebook : https://www.facebook.com/orange.lecteurs
Twitter : https://twitter.com/OrangeLecteurs
Instagram : https://www.instagram.com/lecteurs_com/
Youtube : https://www.youtube.com/c/Lecteurs
Dans une vie, un cœur de mère a un million de façons de se briser.
Les mères ne sont pas censées avoir des enfants qui souffrent. Nous ne sommes pas censées avoir des enfants qui meurent. Et nous ne sommes pas censées mettre au monde de mauvaises personnes.
Les filles de mon âge me mettaient mal à l’aise. Ma vie semblait tellement différente de la leur – avec leurs fours à cookies miniatures, leurs chouchous faits maison, leurs chaussettes propres. Et leurs mères. J’ai appris très tôt que ce n’était pas agréable de se sentir différente.
Tu mangeais trois repas par jour. Tu lisais des phrases écrites pour des adultes et tu portais une très jolie cravate. Tu avais une raison de te doucher. Moi j'étais comme un soldat exécutant une série d'actions en boucle. Changer la couche. Préparer le biberon. Chauffer le biberon. Verser les Cheerios. Essuyer ce qui a coulé. Négocier. Supplier. Changer la grenouillère. Sortir les vêtements. Où était la boîte à goûter
"Tu sais, il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas changer, concernant la personne qu'on est - on est simplement né comme ça. Mais une partie de nous dépend de ce qu'on voit. Et de la façon dont les autres nous traitent. Des sentiments que nous sommes amenés à avoir."

On m’avait parlé des seins durs comme des blocs de ciment. Des tétées rapprochées, à la demande. Du vaporisateur pour se rincer les parties intimes. J’avais lu tous les livres. J’avais fait des recherches. Mais personne ne parlait de la sensation de se réveiller sur des draps tachés de sang, après seulement quarante minutes de sommeil, terrifiée à l’idée de ce qui allait suivre. J’avais l’impression d’être la seule mère au monde qui n’y survivrait pas. La seule mère qui ne se remettrait pas d’avoir eu le périnée recousu de l’anus au vagin. La seule mère incapable de faire face à la douleur causée par des gencives de nouveau-né cisaillant ses tétons comme des lames de rasoir. La seule mère qui ne pouvait pas faire semblant de fonctionner avec son cerveau écrasé dans l’étau du manque de sommeil. La seule mère qui regardait sa fille en pensant, S’il te plaît. Va-t’en.
Violet pleurait uniquement lorsqu’elle était avec moi. Je le vivais comme une trahison.
Nous étions censées être liées l’une
J’étais à l’aube de l’âge auquel les femmes s’inquiètent de disparaître aux yeux de tout le monde sauf d’elles-mêmes, dissoutes dans leurs coupes de cheveux raisonnables, leurs manteaux pratiques. Tous les jours, je les regarde marcher dans la rue, comme des fantômes. Je suppose que je n’étais pas prête à devenir invisible. Pas encore.
Je me rappelle avoir un jour réalisé l’importance qu’avait mon corps pour notre famille. Pas mon intellect, ni mes ambitions littéraires. Pas la personne que j’étais, avec mes trente-cinq ans d’expérience. Uniquement mon corps. J’étais nue devant le miroir après avoir retiré mon sweat-shirt couvert de la purée de petit pois que Sam avait crachée. Mes seins étaient flétris comme la plante verte que j’avais oubliée d’arroser dans notre cuisine.
Lorsque l'heure du dîner arrive, elle ferme son ordinateur et se prépare une salade. Elle s'autorise à mettre de la musique, trois chansons seulement - certaines de ses joies sont encore mesurées. Mais ce soir, elle remuera légèrement les épaules, elle battra la mesure du pied. Elle essaie, et essayer est devenu plus facile.
Je m’efforçais uniquement de la garder en vie. Je me concentrais sur le fait qu’elle mange et qu’elle dorme. Sur les gouttes de probiotiques que j’oubliais tout le temps de lui donner. Je me concentrais sur le fait de survivre aux journées qui semblaient s’entrechoquer comme des rochers.